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Billet de blog 13 juin 2013

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SNCF : de Jean Gabin à Mathusalem

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 Le personnel de la SNCF (les cheminots comme on dit, de façon un peu étrange, on va le voir ) doit une fière chandelle à Zola pour sa Bête humaine et à Jean Gabin pour son rôle dans le film qu'on en a tiré! 

Le mot lui-même mérite quelque attention. A la fin du XIXe siècle, le terme "chemineau" ou, plus rarement, "cheminot" (substantif masculin), désigne, selon le Trésor de la Langue Française, " un homme qui erre par les chemins et vivant de menus travaux, de charité, ou de larcins".Avec cette orthographe et ce sens, le mot est désormais "vieilli" et "cheminot" désigne un "agent des chemins de fer". Les attestations littéraires (Alain, H. Bazin, etc.) sont postérieures aux années 30 et, comme le note Dauzat, la langue française a mis plus d'un demi-siècle à trouver un dérivé à "chemin de fer" pour désigner ceux qui y travaillent ; elle a retenu "chemineau", en en changeant l'orthographe et en en spécialisant le sens ("chemineau" désignait d'abord des ouvriers terrassiers itinérants employés à la construction des voies ferrées à la fin du XIXe siècle).

Pour passer de la lexicographie à l'histoire sociale, le régime de retraite des cheminots date de 1909, à une époque où l'espérance de vie des dits cheminots est de 51 ans en raison sans doute des conditions de travail. Aussi ce régime était-il très favorable. Sur ce plan, les choses ont bien changé depuis La bête humaine ! On a d'ailleurs supprimé en 1974 la "prime de charbon", que ne percevaient d'ailleurs, à l'origine, que les "chauffeurs". La bête humaine et Jean Gabin demeurent néanmoins les figure tutélaires de la SNCF et préviennent, au sein de cette corporation, le moindre bruit de réforme. La seule concession notable des syndicats à la direction de la SNCF, durant le dernier quart de siècle, est que, depuis peu, les syndicats tolèrent l'usage du mot "clients" en lieu et place de "voyageurs". Vous aurez saisi, je pense, l'importance de cette concession. On doit, en effet, un service (public) au client qui l'aheté et payé, alors qu'à l'inverse, le voyageur doit être reconnaissant envers ceux qui acceptent de lui rendre, au prix fort, le service de le transporter, quelles que soient les conditions de ce voyage.

Le poids de la grève actuelle de la SNCF est parfaitement reconnu et illustré, non pas en province, car, après tout, quelle importance peut avoir pour la vie française ce qui se passe ailleurs que dans la région parisienne où, effectivement, des millions de voyageurs peuvent être immobilisés avec la plus grande des facilités, aussi bien à travers l'arrêt ds trains eux-mêmes comme des RER.

Qui tient la SNCF et la RATP tient la France! Il suffit d'ailleurs de considérer durant combien de temps (moins celui de son flirt avec Sarkozy) et comment Bernard Thibault (un "cheminot") a régné sur la CGT et, par voie de conséquence, sur le syndicalisme français. Après tant d'années de dur labeur syndical, fort heureusement, il a enfin droit à la retraite ... à 53 ans ....

L'âge précoce de la mise en retraite du personnel de la SNCF a d'ailleurs les plus heureuses conséquences. L'espérance de vie des cheminots (51 ans en 1909!) a bien changé, comme le métier. Une étude scientifique récente vient de démontrer que l'espérance de vie des retraités de la SNCF dépasse de deux ans et demi celle des autres catégories de retraités. Allez savoir pourquoi ? Il faut transmettre le dossier du CNRS à l'INSERM.

Une grève de la SNCF se déroule aujourd'hui même, jeudi 13 juin 2013 ; vous aurez noté que cette accumulation du chiffre 13 laissait prévoir des événements fâcheux et peut-être même cette date a-t-elle été choisie pour cette seule raison ; cette circonstance m'a permis d'entendre ce matin les récriminations, au demeurant modestes, de voyageurs parisiens qui notaient, non sans quelque déplaisir, que ayant dû partir de chez eux à six heures du matin, ils ne savaient pas, vu les événements ferroviaires du jour, à quelle heure de la nuit, ils seront en mesure d'y revenir.

J'ai d'ailleurs observé à nouveau, en cette circonstance, à quel point la situation d'interview, radiodiffusée ou télévisée, adoucit étrangement les mœurs des personnes interrogées ; écumant de fureur dans des circonstances normales, toutes et tous tiennent alors des propos plutôt mesurés, sans doute pour donner une image qu'ils jugent plus positive. Peut-être l'accumulation des caméras en tout lieu dans nos zones urbaines aura-t-elle une influence heureuse et contribuera-t-elle, plus que la musique, à adoucir les mœurs.

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