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Billet de blog 13 août 2016

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De la formation des commentateurs sportifs

En dépit des cris d'admiration de nos commentateurs franchouillards, la finale contre un autre Japonais, dans lequel on voyait un vainqueur possible de notre Teddy Riner, a été parfaitement ennuyeuse.

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De la formation des commentateurs sportifs

Je me suis laissé aller à intervenir hier, en tant qu'ancien basketteur, à propos du match France Serbie pour rectifier quelques sottises de nos commentateurs ; j'ai eu la satisfaction de voir mon billet commenté par un connaisseur qui avait exactement le même point de vue que moi. J'interviendrai ici sur un autre domaine sportif (mais pour la dernière fois je vous le promets) en raison des commentaires franchouillards à la suite de la victoire, en finale du tournoi de judo des plus de 100 kg, de notre compatriote guadeloupéen Teddy Riner, car j'ai été aussi judoka dans une période plus récente.

Teddy Riner, né le 7 avril 1989 aux Abymes, détenteur de huit titres de champion du monde est devenu pour le deuxième fois champion olympique. Je me garderai bien de dire pour la « seconde » fois comme aussi de dire du mal de lui, ce que vous comprendrez aisément quand vous saurez sa taille (2,04 m) et surtout son poids (de 131 à 139 kg selon les moments).

En demi-finale, il avait triomphé, non sans mal, du judoka israélien Or Sasson. Teddy étant créole je dirais, à propos de son adversaire, que son prénom lui « avait mis la bouche cabri » = « lui avait porté la guigne), expression dont on use quand on a le malheur de faire un pronostic qui se réalisera pas ! Sasson avait pourtant bien résisté à notre compatriote, qui avait même un moment frôlé la catastrophe, avant de l’emporter de justesse dans les dernières secondes par un tomoe nage (ce que nous appelions autrefois, nous autres Français, une « planchette japonaise ») qui sans être regardé comme ippon, lui avait fait attribuer le waza ari de la victoire.

En dépit des cris d'admiration de nos commentateurs franchouillards, la finale contre un autre Japonais, dans lequel on voyait un vainqueur possible de notre Teddy Riner, a été parfaitement ennuyeuse; l'arbitre a d’ailleurs attribué aux combattants trois « moulinettes » pour non combativité, ce qui a permis à Riner de l'emporter, pour n'en avoir reçu qu'une alors que son adversaire avait été sanctionné de deux pénalités de cette nature. C’est vous dire l’ardeur du combat !

En somme une finale parfaitement insipide comme désormais hélas beaucoup de rencontres qui s'achèvent de la même façon, ce qui est clairement causé non par le manque de qualité ou de technique des judokas en présence qu’il vaut infiniment vieux voir à l’entrainement qu’en compétition que par l'évolution fâcheuse de ce sport. Aujourd’hui en effet l'essentiel des combats se passe à empêcher l'adversaire de prendre le kimono de l’autre ; il devient donc impossible de porter les prises qui permettent de faire tomber ou de projeter sur le dos son adversaire. Si je me souviens bien (mais les spécialistes me corrigeront je me trompe), autrefois tous les combats commençaient lorsque l'un des deux combattants prenait le kimono de son adversaire, sans que ce dernier soit en mesure de l'en empêcher. Une fois le kimono solidement pris en main, on pouvait alors, au moment opportun ou choisi, placer son « spécial » favori, ashi barai, o soto gari, uchi mata ou tout autre mouvement de jambe, de hanche ou d’épaule. Pour voir de telles techniques qui sont l'essence même du judo, il faut désormais attendre la fin de la rencontre lorsque la fatigue se faisant sentir où la tension se relâchant, l'un des deux combattants parvient à prendre le kimono de l'autre.

On s’est beaucoup extasié sur notre Teddy Riner mais je n’ai à aucun moment entendu évoquer Anton Geesink qui, trois fois champion du monde de judo, l’avait été, dans la même catégorie en 1965… à Rio de Janeiro ! Cette autre figure historique du judo est pourtant tout à fait comparable à T. Riner tant par le physique (1,98 m. et 115 kg !) que par le palmarès. Geesink, né en 1934, n'avait pu participer dans sa jeunesse aux épreuves de judo des Jeux olympiques puisque ce sport n’est entré dans le programme olympique qu’à Tokyo en 1964 (époque à laquelle il avait déjà 30 ans). Il avait pourtant été sélectionné en lutte pour les JO de Rome en 1960, mais, étant professeur de judo, il avait été considéré comme professionnel et par là-même interdit de prendre part aux épreuves de lutte. Aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964 où le judo figurait pour la première fois, Geesink fut le seul non Japonais à remporter une médaille d'or (en toutes catégories). Il fut d’ailleurs la cause, suite à cette victoire qui traumatisa tout le Japon, de l'introduction au judo des catégories de poids. En 1997, la Fédération internationale de judo lui attribua le 10e dan et en 2003 il fut admis dans le « Hall of Fames » aux côtés de Jigoro Kano et de Charles Palmer.

Je ne veux en rien limiter les mérites et le talent de Teddy Riner mais de là à s'extasier sur l'extraordinaire qualité la finale, comme on dit chez nous (et même hors des tatamis), il ne faut tout de même pas pousser !

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