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Billet de blog 13 septembre 2018

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De l'arabe, des Arabes et des arabes (suite et fin)

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De l'arabe, des Arabes et des arabes (suite et fin)

Pour l'Islam lui-même, il en est un peu de même que pour la langue arabe …!

Je ne parle pas là de la différence, bien connue et toujours citée, entre Sunnites et Chiites dont on ignore en fait la nature et le détail qui paraissent des plus dérisoires, quand on prend en compte les immenses massacres que cette opposition a causés et cause encore. Il y a nombre d’autres différences fort heureusement moins funestes ! Comme l'arabe du Liban n'est pas celui du Maroc, de même l’islam du soufisme n'est pas non plus celui du salafisme et nos dirigeants, dans leurs perpétuelles rêveries sur "l’Islam de France", auraient été bien inspirés de s’informer un peu plus sur ces questions… de détail avant d’engager des politiques absurdes dont on voit aujourd'hui les sinistres résultats !

J'ai eu cent fois l'occasion, en particulier en Afrique (car je ne connais pas l’islam d'Asie ou d’Indonésie) de constater que l'islam africain était, jusqu'à une période récente en tout cas, beaucoup plus tolérant et ouvert que l’islam du Golfe et des Émirats que ses funestes et infinis moyens financiers ont hélas érigé, à peu près partout, en bailleur de fonds et en référence quasi exclusive ; de ce fait, il ramène partout sa fraise, avec notre complicité, consciente ou non. J'incline à croire qu'un argument très fort contre l'Islam tient à ce qu'Allah, dans son omniscience, ait ainsi, inconsidérément, placé la plus grande partie des richesses minérales du monde dans les territoires tenus par les pires de ses fidèles.

Un exemple avec l'archipel des Comores que je connais un peu et que j’ai déjà évoqué. Je devrais sans doute aborder cela avec prudence, car je ne suis pas retourné depuis plus de vingt ans à Moroni. Là-bas, invité à dîner chez un ami comorien, encore au tout début des années 90, j'avais pu constater que les femmes étaient à table avec les hommes ; je savais alors, de source sûre, que le plus haut responsable religieux musulman de l'archipel avait résisté, farouchement et victorieusement, aux multiples et alléchantes propositions des Èmirats, qui visaient, en particulier à créer aux Comores une université islamique.

Sauf erreur de ma part, le premier Président de la jeune université, créée en 2003, située près de Moroni et construite en partie grâce à des dons de Khadafi, a été mon vieil ami Damir Ben Ali, ce qui m'a alors rassuré ! Cette université comprenait quatre facultés dont une "faculté de  lettres arabes et sciences islamiques". La remarque suivante de Sophie Blanchy, l’anthropologue la plus compétente sur la zone, me rassurait aussi « Le radicalisme de certaines universités arabo-islamiques, où vont se former de nombreux Comoriens, provoque quelques tensions entre les savants eux-mêmes » !

L'université des Comores est toutefois dans une crise insoluble depuis plus de six mois à la suite de la démission de son Président Saïd Bourhane Abdallah, accusé d’avoir détourné la somme de 50 millions de francs comoriens, accusation contre laquelle il s’est toujours défendu. L’ex-président assure, lui, avoir remis la somme au représentant de la Fondation Al-Haramein, en mains propres, celle-ci se révélant insuffisante pour mener à bien le projet de construction d’un hôtel censé appuyer financièrement la faculté des lettres arabes et sciences islamiques dont il était doyen au moment des faits.

Toutefois, partout dans le monde où existent des communautés musulmanes, il y a depuis quarante ans des actions, puissantes, permanentes et efficaces, de l'intégrisme islamique en direction des pays pauvres du Sud, de l'océan Indien comme de l'Afrique subsaharienne. 

L’un des promoteurs les plus actifs de cette offensive a été autrefois feu le colonel Kadhafi ; à un moment, il avait, ainsi, par exemple, entrepris de convertir toute l'île Maurice à l'islam ; selon sa méthode, le pétrole aidant, il y donnait, comme ailleurs, des primes pour susciter et récompenser les conversions. Le gouvernement mauricien a toutefois fini par mettre un terme à cette tentative d’invasion religieuse de l’île, mais on sait que ce même colonel Kadhafi a aussi, un moment, lancé tout un programme de primes à la conversion à l'islam en direction de l’ensemble des responsables politiques africains. Pour un chef d'État, le tarif était d'un million de dollars ; c’est à ce prix qu'Albert-Bernard Bongo est devenu Omar Bongo ; pour les Premiers Ministres, le tarif était de moitié et il diminuait encore, au fur et à mesure qu'on descendait dans la hiérarchie administrative et politique.

Il y a, quelques années, dans un certain nombre de pays du Sahel, (je pense en particulier ici au Burkina Faso), les femmes pouvaient s’assurer un revenu mensuel, modeste mais régulier et facile à acquérir, simplement en portant le voile, ce qui, vingt ans auparavant, n’était guère dans les habitudes du pays.

La stratégie des Frères musulmans, en direction des populations pauvres surtout, consiste, essentiellement et partout, en de nombreuses aides sociales ou dons  de toutes natures. En Egypte, dans les élections, ils achetaient carrément les voix des pauvres ! Cela n'a rien de très original et le prosélytisme islamique politico-religieux emprunte, très souvent et un peu partout, ces mêmes voies. Je n'ai pas remarqué toutefois, à ce propos, que les journalistes qui rapportaient ces faits, se soient interrogés sur l'origine de ces inépuisables fonds. Vous me direz sans doute que leur origine est évidente, mais, comme toujours, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant.

S'agissant de l'Afrique, j'ai souvent tenu, depuis un quart de siècle, à propos de l'enseignement, des propos qui, en général, étaient ignorés ou, pire encore, très mal compris ! Je disais, en effet, que, du côté français, on aurait dû s'efforcer d'aider l'enseignement des écoles coraniques locales, les « medersas » (ou « medrasas »), par lesquelles  était diffusé l'islam africain traditionnel, dont je persiste à penser qu'il est ouvert et tolérant.

Le problème nouveau, depuis quelques décennies, est que cet enseignement africain est concurrencé très fortement et même souvent éclipsé, par un enseignement coranique intégriste "importé" et financé qu’on a même essayé, partout et toujours, d’intégrer à l’enseignement public, au Tchad comme au Niger par exemple, avec le soutien massif et calculé de la Banque Islamique et l’accord (inattendu, aveugle et absurde de l’UNESCO et même, plus étrange encore, de l’Organisation Internationale de la Francophonie !). Naturellement, tout cela s’opère à coup de milliards car cette stratégie dispose, on le devine, de moyens de séduction considérables et, en tous cas, très supérieurs à celui des écoles coraniques traditionnelles africaines, tant sur le plan de l'accueil des élèves et de l'équipement que sur celui des bourses qui peuvent être attribuées dans la suite pour les seules universités islamiques.

Puisque j'ai commencé avec une ou deux anecdotes, je conclurai sur un souvenir. Dans le début des années 90, je me suis trouvé à Moroni invité à un repas organisé par le représentant local de l’Union Européenne pour laquelle j’étais, par hasard, en mission. Je me trouvais, à table, voisin d'un membre français du service culturel (attaché linguistique ou culturel) avec lequel, naturellement, j'ai fini par converser sur les problèmes de l'enseignement local. Mon voisin n’était pas depuis très longtemps aux Comores (une dizaine de mois m’a-t-il confié). Il m’est apparu néanmoins très au fait des activités sociales locales, en particulier pour tout ce qui concernait le tennis et le bridge. En revanche, lorsque nous avons parlé des problèmes de l'enseignement aux Comores et que je me suis préparé à lui servir mon couplet sur l'encouragement qu'on devrait donner aux "medersas" traditionnelles, j'ai constaté avec stupeur qu'il ignorait jusqu'à l'existence de ce terme que j'ai dû lui expliquer ; il ne savait même pas qu'existait, dans cet archipel, un enseignement coranique ! Faut-il en dire plus ?

Ma conclusion sera des plus brèves. Tous les exemples cités précédemment montrent que, comme toujours, les décisions majeures sont prises par des politiciens. Notez que j’use volontairement à leur égard de ce terme péjoratif dans notre langue comme le souligne mon cher Trésor Informatisé de la langue Française : "POLITICIEN, -IENNE, subst. et adj. Péj. "Danton disait : Nous voulons mettre dessus ce qui est en dessous, et dessous ce qui est en dessus. Ça, petite fille, c'est un mot de politicien. Ce n'est pas un mot de socialiste révolutionnaire" (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 22). [Avec qualificatif actualisant la nuance péjorative] Personne qui s'occupe de politique à titre professionnel, en connaît et en utilise toutes les intrigues. "Ce caractère de la grève générale prolétarienne a été, maintes fois, signalé et il n'est pas sans effrayer des politiciens avides qui comprennent parfaitement qu'une révolution menée de cette manière supprimerait toute chance pour eux de s'emparer du gouvernement (SOREL, Réflex. violence, 1908, p. 375). Les politiciens retors qui se partagent le pouvoir en Europe (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936 p. 516).".

Je pourrais ajouter que le "politicien" est le plus souvent regardé comme "véreux"!

Ces politiciens non seulement ignorent souvent tout des domaines dans lesquels ils opèrent, mais ils ne prennent même pas la précaution élémentaire de s'informer, si peu que ce soit. C'est naturellement nous qui payons les pots cassés dans la suite, qu'il s'agisse des autoroutes d’Europe, des frégates russes, de la communauté musulmane de France ou de notre système éducatif, les deux derniers n'étant pas sans rapports comme vous avez pu le constater si vous m’avez lu !  

Ceux qui actuellement se lamentent sur les ravages du salafisme et/ou du wahhabisme dans la communauté musulmane française, devraient tout de même se souvenir qu’ils ont été ceux-là mêmes qui, dans leur ignorance, leur arrogance ou leur intérêt personnel (les uns et les autres ne s’excluant nullement, comme dans le cas de Valéry Giscard d'Estaing, le principal responsable, avec son "regroupement familial") ont réuni les conditions d'une telle évolution et l'ont même organisée.

Marcher, dans tous ces domaines, sur les brisées des États-Unis est évidemment des plus dangereux, dans la mesure où il n'y a guère que les États Unis dans le monde qui nous dépasse dans l'arrogante et stupide volonté d'ignorer les autres !

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