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Billet de blog 14 septembre 2018

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L'affaire Audin

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L'affaire Audin

«Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre... ». Rassurez-vous, je ne vais pas vous chanter « la bohème » de l'éternel Aznavour ! Il ne s'agit que de "l'Affaire Audin", qui est tout de même un peu plus récente (1957) et que notre Président a exhumée hier, ce qui m'amène à vous demander si vous savez ce qu'était, à cette époque et en Algérie, « la corvée de bois ». Pas de réponse ?

« Corvée de bois » était, en Algérie, l’expression utilisée par les soldats français pour désigner les exécutions sommaires de prisonniers algériens , le plus souvent des civils, qui souvent devaient d'abord creuser leur propre tombe. Pour la totalité des "événements d'Algérie", les documents français recenseraient officiellement 21. 132 « fuyards abattus » (selon la terminologie consacrée à l'époque) entre 1955 et la fin février 1962, soit 14,55 % des 145.195  "présumés rebelles" tués . En Kabylie et dans les Aurès, Légion étrangère et parachutistes en effet ne faisaient pas de prisonniers. La corvée de bois était donc de rigueur, mais la pratique était tout aussi courante ailleurs. La plupart des victimes de ces exécutions sommaires étaient des civils algériens soupçonnés, à tort ou à raison, de relations ou de  sympathie avec les indépendantistes du FLN. 

Une lettre d’un jeune soldat sur la « corvée de bois », a été rendue publique en 1958 par les prêtres-ouvriers de la Mission de France et publiée par Pierre Vidal-Naquet dans son livre La torture dans la République (1972, pp. 137-138 ) : 

« On demandait des volontaires pour descendre les gars qu’on avait torturés (comme ça, il ne restait pas de traces et on ne risquait pas  d’histoires) . Moi, je n’aimais pas ça. C’est vrai, vous savez : descendre un gars à 100 mètres dans le combat, ça ne me faisait rien, parce que le gars étant loin, on ne le voit pas trop. Il est armé, et puis il peut se défendre ou se barrer au besoin. Mais descendre un gars comme ça, sans défense, froidement ... non ! Alors je n’étais jamais volontaire et il est arrivé que j’étais devenu le seul dans la section qui n’avait pas descendu "son " gars. On m’appelait la "p’tite fille". Un jour, le capitaine m’a appelé en me disant : "Je n’aime pas les p’tites filles ... Prépare-toi, le prochain sera pour toi !" Alors, quelques jours après, on avait huit prisonniers qu’on a torturés, à descendre. On m’a appelé et, devant les copains, on m’a dit : "À toi, la p’tite fille ! Vas-y !" Je me suis approché du gars : il me regardait. Je vois encore ses yeux qui me regardaient ... ça me dégoû­tait ... J’ai tiré ... Les copains ont descendu les autres. Après, ça me faisait moins drôle ... Ce n’est peut-être pas du boulot très propre ; mais, au fond, tous ces gars là, ce sont des criminels quand on y réfléchit. Si on les relâche, ils recommencent ; ils tuent les vieillards, les femmes, les enfants. On ne peut quand même pas les laisser faire cela ... Alors, au fond, on nettoie le pays de toute la racaille ... Et puis ces gars-là, ils veulent le communisme, alors vous comprenez ... ? ». 

Si la plupart des victimes de "corvées de bois" étaient des Algériens, des Français qu'on soupçonnait de relations avec le FLN en raison de leurs opinions politiques (communistes en particulier), en furent également victimes. Maurice Audin, jeune et brillant mathématicien qui enseignait à l'université d'Alger, fut de ce nombre et à sa disparition, pendant la « Bataille d'Alger », en juin 1957, on ne s'interrogea guère sur son sort, après sa disparition suite à son arrestation par l'armée française et à une "évasion".

Sa fille Michèle Audin, (il avait trois enfants)  lui a consacré un livre, Une vie brève (L’Arbalète, Gallimard, 2013) où elle résume brièvement les circonstances de sa mort : « Maurice Audin avait vingt-cinq ans en 1957, il a été arrêté au cours de la bataille d’Alger, il a été torturé par l’armée française, il a été tué, on a organisé son simulacre d’évasion et fait disparaître les traces de sa mort. ». 

Dès cette époque, bien rares ont dû être ceux qui ont cru à cette fable officielle qu'on a servie dans bien d'autres cas que celui de Maurice Audin ; si le détail des faits et en particulier l'identité précise de l'auteur de l'assassinat de Maurice Audin préoccupe toujours très légitimement sa famille (et en particulier sa femme Josette Audin, 83 ans, et ses enfants) ; si je reviendrai sur ce point à la fin de ce blog, il me paraît un peu inutile, de revenir longuement sur cette affaire  sauf pour en tirer des leçons politiques et morales actuelles que fait apparaitre clairement la citation suivante du texte d'E. Plenel (Mediapart, 18/09/18).

"Comment oublier que les dispositions de l’état d’urgence instauré sous la présidence de François Hollande, puis entré dans le droit commun sous celle d’Emmanuel Macron, avaient pour texte de référence une loi votée en 1955, pour réprimer le mouvement indépendantiste algérien, et dont la loi instaurant, un an après, les pouvoirs spéciaux ne sera que le prolongement et l’extension ? ".

On comprend donc bien par là le but politique  d'Edwy Plenel dans cet article intitulé  «La torture, l’Algérie et la République : la vérité, enfin ». 

On peut en revanche s'interroger sur les raisons qui ont rendu aux gouvernements français si difficile la reconnaissance par eux des erreurs  commises, de la Collaboration aux guerres coloniales et aux événements qui les ont accompagnés. L'histoire politique est faite de telles erreurs !

On peut s'interroger aussi sur le constat d'Edwy Plenel quand il note : « Deux présidents peu ou prou de droite auront donc réussi à dire ce que leurs prédécesseurs élus à gauche n’avaient pas su énoncer. Après Jacques Chirac, qui en 1995 avait déverrouillé la mémoire française sur l’Occupation et la collaboration avec le nazisme, Emmanuel Macron vient enfin d’ouvrir grand le placard à blessures et à secrets de la guerre d’Algérie. ». Le « placard à blessures et à secret de la guerre d'Algérie » me semble  toutefois n'avoir été qu'entrouvert, puisque, somme toute, on ignore toujours comme on le verra, l'identité de l'assassin de Maurice Audin.

Un joli « fake new » consisterait à répandre la nouvelle que l'auteur de cet assassinat n'est autre que...  Jean-Marie Le Pen qui n'a jamais fait mystère de s'être plus ou moins livré alors à ce genre d'exercice, en 1957 précisément...  ; ce détail de sa biographie a fait, de sa part même, l'objet de diverses déclarations et même de procès !

Maintenons donc le suspense...la suite demain.

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