Francophonie ou Francofolie ? (suite 9 )
Tergiversations, abandons et immobilisme : Franco-polyphonie ou Franco-cacophonie
En fait, autant le dire tout de suite, trente ans plus tard, le bilan de ce fameux « Plan décennal d'aménagement linguistique », si solennellement annoncé lors du Sommet de Dakar en mai 1989 et confirmé à son terme, est tristement nul. On est tenté de comparer la francophonie à ces chœurs d'opéra qui ne cessent d’entonner, sur un air martial, de claronnants et guerriers " Marchons ! Marchons …! », tout en piétinant sur place, les scènes des théâtres ne leur offrant généralement pas l'espace qui leur permettrait de mettre en accord la parole et le geste.
On constate même, en effet, non sans étonnement, que, dès l'année suivante, les résolutions les plus officielles de Dakar sont déjà contestées et remises en cause, sur le plan juridique, au sein même de la Francophonie, du côté du Canada-Québec disons-le, et que les efforts de l’ACCT pour encourager la réalisation d'actions liées à ce Plan ne sont guère suivis d'effet.
De façon tout à fait inattendue, on voit, dans des instances francophones officielles, des États ou des Gouvernements (doublement « du Nord ») soutenir le point de vue que certains textes de Dakar, dont nul n’avait rien dit, n'auraient pas été « légalement « inscrits dans les décisions de Dakar et, en particulier, qu'« Enjeux et défis », qu’on pouvait juger comme le document fondateur du Plan Décennal 1990-2000, n’était qu’un simple document préparatoire au Sommet et non pas une pièce officielle de cette réunion. Le débat juridique est naturellement sans intérêt pour nous ici, mais le fait qu'il ait pu être suscité et pris en compte est, en revanche, tout à fait significatif et essentiel.
Peu après, on voit, de la même façon et du même côté, s'élever des protestations contre la diffusion par l’ACCT d'un ouvrage essentiel, rédigé et même déjà imprimé, intitulé Propositions pour un plan d'aménagement linguistique (1993) ; il présentait les actes d'une réunion d'experts tenue à Brazzaville en mars 1992 (donc plus de deux ans après les Actes de Dakar) ; ce livre, préparé et réalisé dans le droit-fil total des décisions de ce 3e Sommet, offrait à la fois un cadre d'approche théorique des situations et des propositions très concrètes. Cet ouvrage rendait compte d'une réunion au cours de laquelle des experts du Nord et du Sud avaient réfléchi ensemble sur les modalités de mise en œuvre des décisions de Dakar ; ils avaient même élaboré un protocole complet concernant en particulier le choix des langues à aménager.
Cette question est en effet majeure, car réclamer, comme certains l’ont toujours fait, la promotion de toutes les langues africaines, est la meilleure des voies pour maintenir indéfiniment le statu quo antea, car les contraintes économiques et techniques imposent inévitablement des choix réfléchis et orientés parmi les centaines de langues africaines qui sont en usage. Cet ouvrage posait aussi les principes de création et de fonctionnement d' « offices des langues nationales ». Tous ces atermoiements feront que ce Plan, si solennellement approuvé et voté à Dakar en 1989, n’aura pas la moindre suite !
En effet, tant qu'on n'aura pas trouvé, dans une Afrique multilingue et des États eux-mêmes plurilingues (cf. R. Chaudenson, Mondialisation : la langue française a-t-elle encore un avenir ?, Paris, l’Harmattan, 2000: 25-27), des formes de solutions réalistes à la gestion de la coexistence des langues (français et langues nationales) dans les plurilinguismes nationaux, on ne pourra jamais mettre en place une éducation adaptée et efficace dans laquelle on s'accorde pourtant à reconnaître l’une des clés du développement économique et humain. On sait même aujourd'hui, selon l'opinion de spécialistes des neurosciences, comme Jean-Pierre Changeux, que l'éducation joue un rôle dans le développement cérébral même de l'individu.
(Demain suite et ...fin!)