La création et la reconnaissance de l'État d'Israël (suite et fin)
En septembre 1947, un premier vote a lieu à l'ONU sur le partage de la Palestine. Résultat : 25 voix pour le partage, 13 voix contre et 19 abstentions. Toutefois la résolution doit obtenir les deux tiers des voix pour être acceptée. Les Etats-Unis, mécontents du résultat, vont faire pression sur les petites "nations" récalcitrantes en leur octroyant des prêts (comme à Haïti), ou encore par des menaces de délocaliser des industries (Libéria) afin de les pousser à accepter la résolution .
Le 25 novembre 1947, nouveau vote à l'ONU. Le résultat ne change guère : 25 voix pour, 13 voix contre, 17 abstentions et 2 absences. Il manque encore une voix pour que la résolution soit acceptée. Les USA vont donc user de tout leur pouvoir, allant jusqu'à menacer la France qui s'est abstenue, de lui couper les vivres de Plan Marshall si elle n'accepte pas cette résolution. Le 29 novembre 1947, nouveau vote de l'Assemblée Générale de l'ONU qui adopte, par sa Résolution 181, le plan de partage de la Palestine en deux États, l'un arabe, et l'autre juif, Jérusalem ayant un statut particulier sous l'égide de l'ONU.
Le projet est toutefois désormais soviéto-américain ; la grande nouveauté est la prise de position inattendue de l'URSS que nous avons présentée dans son détail dans la première partie de ce blog. Selon les historiens spécialistes, l'URSS a appuyé la création d'Israël en pensant créer ainsi un nouvel État communiste : le nouvel État hébreu semblait pouvoir se fonder sur une idéologie sioniste libertaire proche des idéologies socialistes et des méthodes collectivistes soviétiques, en créant, par exemple, des collectivités semblables aux kolkhozes russes où tout est mis en commun au service de la communauté. Toutefois, la véritable relation entre les kolkhozes et les kibboutz est, en réalité, inverse et ce sont même les kolkhozes qui se sont inspirés du modèle juif des kibboutz !
Pourtant, tandis que Moscou chante naïvement ses louanges, Ben Gourion déclare à l'ambassadeur américain : « Israël salue le soutien russe aux Nations Unies, mais ne tolérera pas de domination russe. Non seulement, Israël est occidental dans son orientation, mais notre peuple est démocrate et réalise qu'il ne peut devenir fort et rester libre qu'à travers la coopération avec les États-Unis. » (in Arnold Kramer, "Soviet Policy on Palestine 1947-1948", Journal of Palestine Studies, Vol. 2, Numéro 2 ).
La résolution de l'ONU sur le partage en trois entités (État juif, État arabe et Jérusalem sous administration internationale), a été finalement votée par 33 voix contre 13 et 10 abstentions. Le détail est intéressant ; ont voté pour : Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, Biélorussie, Canada, Costa Rica, Danemark, République dominicaine, Etats Unis, Équateur, France, Guatemala, Haïti, Islande, Libéria, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, Pologne, Suède, Tchécoslovaquie, Ukraine, Union Sud Africaine, URSS, Uruguay et Vénézuéla. Ont voté contre : Afghanistan, Arabie saoudite, Cuba, Égypte, Grèce, Inde, Iran, Irak, Liban, Pakistan, Syrie, Turquie, et Yémen. Abstentions : Argentine, Chili, Chine, Colombie, Salvador, Éthiopie, Honduras, Mexique, Royaume-Uni, Yougoslavie.
On doit retenir surtout de ce vote, obtenu répétons-le, à une seule voix de majorité, que la Grande-Bretagne s'est abstenue et que le rôle de l'URSS a été essentiel non seulement dans l'élaboration du texte lui-même que par le vote massif des Etats satellites de l'URSS naturellement imposé par Staline lui-même. On y constate aussi l'opposition constante et acharnée des Etats arabes qui ont tous voté contre la résolution 181 et qui manqueront pas d'agresser le nouvel Etat dès le mois de mai 1948, agression que Staline ne manquera pas de condamner. Son appui va toutefois très au-delà des prises de position et des paroles puisque il avait déjà entraîné de sa part l'arrêt des livraisons d'armes aux Etats arabes ; elles leur étaient faites, pour l'essentiel, par la Tchécoslovaquie ; ces mêmes armes sont désormais livrées à Israël et ce sont assurément ces armements de guerre qui, comme l’a souligné Ben Gourion dans le texte précédemment cité, permettront à Israël non seulement de résister aux attaques arabes mais même de vaincre ces agresseurs arabes.
Dans ces années 1947-1948, ce virage lof pour lof de Staline, dans lequel l'idéologie communiste s’allie à son opportunisme et à son antisémitisme dans un soutien résolu et sans faille à Israël demeure malaisé sinon à expliquer du moins à comprendre ! Il faut à Laurent Rucker tout un volume pour entrer dans les méandres d'une pensée complexe quand elle n'est pas largement contradictoire ; les visées politiques extérieures de Staline se heurtaient en effet, en outre, à ses préoccupations de politique intérieure, dans la préparation éventuelle d'une succession difficile. N’oublions pas que Staline approche à ce moment des 70 ans et qu’autour de lui les luttes d'influence sont féroces et les méthodes expéditives !
Limitons-nous donc, sans doute,un peu abusivement, au rapport entre Staline et Israël. Si la décision de Staline en faveur de la création d'Israël étonne le monde entier, elle prend tout particulièrement de court les Etats arabes. Ces Etats étaient, en effet, habitués à une certaine indulgence de sa part, dans la mesure où il voyait en eux un accès au Moyen-Orient donc au pétrole et une façon de disputer cette zone stratégique à l'influence britannique qui y était traditionnelle ce que confirme encore à l'ONU en 1947 l'abstention britannique !
Après la Seconde Guerre Mondiale, tous les spécialistes prévoient que l'essentiel de la production pétrolière va passer aux pays arabes et qu'il convient d'en tirer les conclusions ; Roosevelt, dès 1945, le fait avec son accord dit "du Quincy" signé avec Ibn Séoud. Les Arabes étant dans le camp américain, Staline, d’une façon étonnante mais assez logique, va donc tenter de jouer, dans cette zone stratégiquement essentielle, la carte israélienne. F. Thom, dans son analyse du livre de L. Rucker, résume son hypothèse sur cette question. : « Consciente que le sort des Juifs d’Europe centrale entassés dans les camps de réfugiés est une pomme de discorde entre Américains et Britanniques – les Américains poussant les Britanniques à ouvrir la Palestine à ces rescapés du nazisme –, l’URSS va en 1946 autoriser 150 000 Juifs polonais à gagner les zones d’occupation américaine et britannique en Allemagne et en Autriche. Par haine de l’Angleterre, elle va miser sur la carte du sionisme, traditionnellement dénoncé par la propagande soviétique comme « nationalisme bourgeois ».
"Le choix définitif de l’URSS en faveur de la création d’un État juif a lieu à l’été 1947, c’est-à-dire qu’il est directement lié à l’annonce du plan Marshall et au début de cristallisation du camp occidental." […] "Laurent Rucker estime que le désir de saper les positions britanniques au Moyen-Orient fut la principale motivation de la décision de Staline en faveur de la création de l’État juif. Selon lui, l’espoir d’en faire un bastion socialiste dans la région ne fut pas sérieusement entretenu par le Kremlin. Pourtant la réaction des Soviétiques est vive lorsqu’ils apprennent, début 1949, qu’Israël a accepté un prêt américain de 100 millions de dollars. Pour eux c’était l’indice qu’Israël était en train de basculer dans le camp américain.
Les premiers signes apparents d’un refroidissement entre Israël et l’URSS datent du milieu de l’année 1949. Au fond, la politique juive de Staline en 1947-1948 montre à quel point il était incapable de tirer les leçons de ses échecs précédents : dans le cas d’Israël comme dans celui de la Turquie et de l’Iran, l’URSS avait agi dans le but d’affaiblir l’Angleterre, en misant sur les « contradictions entre les impérialistes » ; et une fois de plus, en s’attaquant à la Grande-Bretagne, elle n’avait fait que renforcer les États-Unis qui pourtant, à partir de 1947, étaient considérés comme l’ennemi principal".
Certains ont même été jusqu'à penser que Staline avait pu espérer établir un État juif communiste (une « République populaire israélienne et démocratique ») avec le nouvel Etat qui était alors en gestation. Un certain nombre de détails ont pu faciliter, comme on l'a vu, l'émergence de cette idée. Staline toutefois ne tardera pas à renoncer à ces chimères de république populaire israélienne, les relations du nouvel État s'orientant rapidement et fortement vers la communauté juive des États-Unis dont l'importance et les moyens sont considérables, sans même parler de son influence auprès la Maison-Blanche. Le revirement de Staline sera très rapide et il aboutira même, après quelques années de relâchement des liens entre les Etats, à une rupture des relations diplomatiques qui ne se rétabliront en fait qu'après la mort de Staline en 1953.