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Billet de blog 15 juin 2018

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Du crucifix au drapeau (1)

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Du crucifix au drapeau (1)

Les voies du Seigneur sont décidément impénétrables ! J'ai écouté il y a un jour ou deux, réfugié sur France Culture dans une fuite désespérée devant l'envahissement de toutes les stations par la publicité, une émission sur la dernière décision de Markus Söder, le ministre président d'une Bavière "riche, conservatrice et catholique".

À partir de ce vendredi, une croix devra être accrochée dans tous les bâtiments publics de Bavière. Une mesure controversée.  Pascale Hugues, correspondante du. Point en Allemagne, en a rendu compte par un article le 1er juin 2018 : « C'est le jour J en Bavière. D'ici ce vendredi soir, tous les bâtiments publics devront avoir accroché un crucifix bien en vue dans leur hall d'entrée. Il rappellera aux visiteurs « la tradition historique et culturelle de la Bavière » et sera « un signe visible d'adhésion aux valeurs fondamentales de l'État de droit en Bavière et en Allemagne ». La décision a fait grand bruit en RFA, moins sur le plan religieux que politique ; il est clair en effet que la CSU, le parti conservateur bavarois, allié au niveau fédéral à la CDU d'Angela Merkel lors des difficiles élections régionales au mois d'octobre, sera menacée sur son flanc droit par l'AfD, le parti populiste d'extrême droite. Front (ou Rassemblement) National en France, AfD en Allemagne, Ligue du Nord en Italie, etc…, les partis européens d'extrême droite progressent vers la formation d'un "front" ! Je conclurai ici rapidement avec Pascale Hugues : « La rébellion gronde et la confusion règne », ce qui ajouterai-je, ne me fait ni chaud ni froid.

En effet, je n'ai évoqué la polémique bavaroise autour du crucifix que parce que cette émission, au demeurant intéressante sur le fond, m'a conduit à évoquer, dans une perspective différente quoique analogue, notre drapeau national. Sans qu'à ma connaissance (sauf peut-être quelques royalistes attardés réfugiés à proximité du Puy-du-Fou), nul n'ait songé encore à contester sur le plan symbolique notre emblème tricolore national, rares sont probablement celles et ceux (parité oblige) qui se sont interrogé(e)s sur l'origine et les raisons du choix de ses couleurs comme de leur disposition. Ces éléments sont désormais arrêtés par le deuxième article de la Constitution de la Ve République : "L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge". Si nous souvenons en général que le choix de ce drapeau date de la Révolution, cette réminiscence est confirmée par le site de l'Élysée où on lit que "Le drapeau tricolore est né de la réunion, sous la Révolution française, des couleurs du roi (blanc) et de la ville de Paris (bleu et rouge)". 

L'origine royale du blanc (ici médian et le choix de cette place n'est pas sans intérêt lui-même...) tient, du moins à l'en croire, au marquis de Lafayette ; raconte, dans ses Mémoires, que, trois jours après la prise de la Bastille, il a pris sur lui d'ajouter le "blanc", couleur royale, à la cocarde bicolore de la Garde Nationale, milice populaire qui venait de se créer en choisissant pour emblème les couleurs traditionnelles de Paris, le rouge et le bleu (la première étant associée à la dynastie des Carolingiens, la deuxième à celles des Capétiens). Il aurait en outre convaincu Louis XVI de porter cette cocarde pour se présenter à l'Hôtel de Ville de Paris et reconnaître cette Garde Nationale. 

Lorsque l'Assemblée constituante décide, à l'automne 1790, que tous les vaisseaux de guerre et navires de l'Hexagone porteront désormais un pavillon formé de ces trois couleurs, elles sont encore dans le désordre par rapport à aujourd'hui :  rouge, blanc, bleu. Ces couleurs étaient en outre disposées dans le sens vertical pour éviter que notre emblème ne se confonde avec le pavillon néerlandais, lui aussi rouge, blanc, bleu, mais avec ces couleurs à l'horizontale. Quatre ans plus tard en revanche, le 15 février 1794, c'est le drapeau tricolore sous sa forme actuelle que la Convention Nationale choisi par décret comme pavillon officiel de la France : c'est  dit-on Jacques-Louis David, le peintre, qui aurait déterminé cet ordre et "fourni les dessins du nouveau pavillon à la nation". 

" Mais c'est pas tout..." Comme Pascal Riché l'a longuement souligné (L'Obs, 25/11/2015) dans un article fort érudit et au titre tout à fait explicite ( « DIx choses que vous ignorez probablement sur le drapeau français »), l'histoire de notre emblème national est bien plus compliquée et je ne retiendrai ici de son texte que quelques  éléments

curieux, en vous invitant à aller le lire car mon propos est ailleurs ! Vous pouvez aussi consulter pour plus de détails encore Charles Hacks et le général Jean-Etienne Linares, Le drapeau français des origines à 1918 : 1934, 273 pages (Paris, Union latine d'éditions).

En effet, le drapeau français a failli être vert ! " Le lundi 13 juillet 1789, veille de la prise de la Bastille, une foule immense s'est réunie au Palais-Royal, où se trouve le comité insurrectionnel. "Plus de 10.000 hommes sont armés, ils annoncent qu'ils vont attaquer les troupes royales aux Champs-Elysées puis, de là, aller à Saint-Denis rejoindre les régiments et se rendre à Versailles", écrit le commandant des troupes au président de l'Assemblée nationale. Il ajoute : "Les armuriers ont été pillés et chacun porte la cocarde verte." Cette cocarde est dite "de Camille Desmoulin", car c'est lui qui l'a imaginée la veille, 12 juillet. Mais l'histoire va très vite, dans ces journées dramatiques : dès le lendemain, la cocarde verte est oubliée. ».

[ ...  ] « Le drapeau français aurait pu aussi être bleu-blanc-rose ! Dès le 14-Juillet, la mode du vert est en effet passée, comme en témoigne le libraire Hardy dans son journal : On commençait à changer les cocardes de couleur, en faisant succéder le rose, le bleu et  blanc à la couleur verte." Le drapeau français aurait donc pu être bleu-blanc-rose. Témoignage similaire d'un négociant, Failly, dans une lettre écrite le 23 juillet 1789 :  On donna d'abord [le 13 juillet, NDLR] pour passeport la cocarde verte, mais, le soir, réfléchissant que cette couleur était la livrée du comte d'Artois, on la prit rose, bleu et blanc." [ ... ]

En octobre 1789, un décret de l'Assemblée interdit les cocardes noires, prise comme symbole par des contre-révolutionnaires . « L'Assemblée, informée que plusieurs personnes ont pris des cocardes différentes de celles qui sont aux couleurs de la Ville, et notamment des cocardes noires ; considérant que la cocarde originairement adoptée a été un signe de fraternité pour les citoyens, et que Sa Majesté l'a adoptée elle-même ; ordonne que les arrêtés précédemment rendus, qui sont en tant que de besoin confirmés, continueront d'être exécutés, déclare que la cocarde aux couleurs rouge, bleue et blanche est la seule que les citoyens doivent porter ; fait défense à tout particulier d'en porter d'autre." » 

Le 29 pluviôse An II (le 15 février 1794), on débat de nouveau du drapeau. A l'initiative du conventionnel Jean Bon Saint André, l'Assemblée décide qu'il soit composé de trois bandes verticales : de manière que le bleu soit attaché à la gaule du pavillon, le blanc au milieu et le rouge flottant dans les airs." A la restauration, le blanc revient. Ce n'est qu'en 1830 que le drapeau tricolore est définitivement adopté. "La nation reprend ses couleurs", dit le roi Louis-Philippe, bonhomme."

Concluons avec P. Riché : « Lamartine l'a sauvé en 1848. Lamartine devant l’Hôtel de Ville de Paris le 25 février 1848 refuse le drapeau rouge.  (H. F. E. Philippoteau).Lamartine devant l’Hôtel de Ville de Paris le 25 février 1848 (Philippoteau/Wikimedia)

Lors de la révolution de 1848, c'est le drapeau rouge ("l'étendard sanglant" de la révolution de 1789) qui flotte sur les barricades. Le 25 février, la République est de nouveau proclamée. Les insurgés (conduits par Blanqui) exigent un drapeau rouge. Louis Blanc appuie leur proposition. Mais Lamartine, membre du gouvernement provisoire et orateur hors pair, retourne la foule dans un discours improvisé et resté célèbre : « Jamais ma main ne signera ce décret [instaurant le drapeau rouge, NDLR]. Je repousserai jusqu'à la mort ce drapeau de sang, et vous devez le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous rapportez n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et en 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie."

Le 26 février 1848, un décret confirme le drapeau tricolore comme emblème national. ».

Une fois de plus je n'ai pas traité le sujet prévu, mais ce n'est que partie remise !

(À suivre)

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