Le Macron nouveau est arrivé
C'est un Emmanuel Macron nouveau que nous avons découvert hier soir dans la longue émission (plus de deux heures et demie) diffusée à la fois sur la chaîne populaire de RMC et sur la chaîne du grand capital BFM-TV. Je ne sais pas sur laquelle des deux il était le plus risqué pour Edwy Plenel de s'aventurer ; les cadreurs malicieux l'ont montré à de nombreuses reprises, sur la partie droite de l'écran, au-dessous de Jean-Jacques Bourdin, avec sous le cou la pancarte rouge de RMC en forme de carcan qui donnait à son image l'allure d'un condamné au pilori ou ce qui est guère mieux, d'une photo anthropométrique. Je doute que cette présentation lui ait plu, même si autrefois, sous le pseudonyme de «Krasny », il avait fait quelques piges malencontreuses dans Rouge, l'organe de la Ligue communiste révolutionnaire.
Une bonne partie de la clientèle visée par cette émission (on ne l'a pas caché), constituée des classes populaires et des retraités (en qui on voit les principales victimes du marcronisme ) s'est sans doute endormie avant la fin du spectacle. Cela dit, à le comparer avec l'interview du Président de la République par Jean-Pierre Pernaut, il n'y a pas photo comme on dit ! J'ai rendu compte de l'émission de jeudi dernier dans mon blog sous le titre « Un Pernod pour Manu » sue le modèle des vieilles pubs de cet apéro ( "Un Pernod sinon rien!" ou "Un pernod pour Arthur!") ; je poursuis aujourd'hui dans la veine alcoolique avec mon « Le Macron nouveau est arrivé » qui démarque l'annonce qui figure sur les vitrines de tous les bistrots lyonnais lors de l'arrivée du Beaujolais nouveau!
Je n'évoquerai pas ici le contenu même de ces entretiens car il n'a guère changé ! En revanche la mise en scène elle-même et le déroulement des dialogues valaient le déplacement. .
Entrée des artistes : Le Président de la République qu'on avait auparavant vu longuement descendre les marches (comme on l'avait vu marcher solitaire lors de son élection), cette fois la main dans la main avec Brigitte, toujours ravissante et élégante, était "sapé" comme un milord ; « costard » sur mesure, sans manchette qui dépasse comme certain de ses prédécesseurs, mais, on l'espère , costume acheté par ses soins (ou ceux de son épouse) à la différence d'un autre qui avait failli être de ses prédécesseurs, ; notre président devait avoir sur lui la facture en cas de problème… Chemise amidonnée sans le moindre pli, rien de guinguois (suivez mon regard vers un passé récent et un prédécesseur immédiat), cravate sombre au noeud parfait. Rien à dire et moins encore à jeter, Brigitte a l'oeil et était passée par là !
Du côté des intervieweurs, rien de pareil ! On a fait, à dessein dans le négligé mélenchonien à fond la caisse ; il y eu manifeste concertation ! Plenel, n'a pas osé aller jusqu'à la chemise rouge (le bon vieux temps est passé et il s'est calmé) et s'est mis en bleu (le bleu passe très bien à la télé où il est recommandé) mais naturellement sans cravate comme Bourdin qui lui a opté pour le blanc. Leurs efforts d'élégance étaient plutôt d'ordre pileux ; Bourdin était manifestement passé entre les mains de la maquilleuse qui avait ordonné sa chevelure, élégante quoique grisonnante, de quasi septuagénaire ; une tignasse qui lui avait sans doute permis de séduire naguère avant de l'épouser Anne Nivat, de 20 ans sa cadette. Edwy Plenel, lui, avait fait porter ses efforts sur la moustache, soigneusement peignée et sobrement taillée au ras du sol (comme disait Pierre Dac!) mais rigoureusement ordonnée de part et d'autre de son appendice nasal. Impec !
Les deux compères, qui ne le sont sans doute guère "dans la vraie vie", s'étaient répartis les rôles : l'ouverture pour J.J., habitué aux matinales comme au genre martial : "Tiens! Voilà du Bou(r)din ! Plenel se réservant de finir avec les flèches du Parthe mais loupant un peu la cible, hélas mouvante !
Il était plus facile de répartir les sujets puisque leurs perspectives communes étaient toujours de mettre dans l'embarras leur interlocuteur ! L'élément majeur de leur stratégie qui n'a évidemment échappé à personne était de ne jamais appeler par son titre (fût-il abrégé en Monsieur le Président) le Président de la République ; JJB (pas le JJBoy de "Malheur aux barbus" mais Jean Jacques Bourdin) a craqué sur ce point la première fois ! Pour la suite, ils ont parfaitement tenu le coup avec toutefois une bévue lorsque Plenel (Vous ne vous fâcherez pas, cher Edwy, que je vous appelle Plenel !), qui n'avait que la démocratie à la bouche, a reproché à son interlocuteur de n'avoir été élu qu'avec 18 % des voix françaises totales. Erreur évidente de sa part qui a donné à Emmanuel Macron l'occasion de lui renvoyer dans les gencives sa chère démocratie et de faire allusion aux conditions mêmes de l'élection en cause, parfaitement régulière bien entendu !
Le seul moment réellement animé et rigolo de ce fait a été l'évocation par Plenel du « verrou de Bercy », formule qui sert à désigner le curieux monopole du ministère du budget en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. Seul Bercy dispose en effet du droit de déposer plainte, un procureur ou une partie civile ne le pouvant pas. Avec la loi du 29 décembre 1977 un nouvel élément est apparu. Le ministre du budget doit dorénavant saisir la Commission des infractions fiscales, s’il désire engager des poursuites pénales. Sans un avis favorable, il est impossible pour le ministre de le faire. La décision revient donc également à la CIF, même si elle suit toujours, semble-t-il, le gouvernement.
Selon la décision du ministre des finances, les fraudeurs, les "harmonisateurs fiscaux" si vous préférez, peuvent donc éviter les poursuites judiciaires. Comme dans les WC publics, quand on va à Bercy il faut toujours fermer le verrou derrière soi ! Les exemples ne manquent pas ! Cent milliards par an à la louche et en tout ! Vous me suivez ???
Ce point évidemment trop administratif et technique a bien entendu tourné en eau de Bou(r)din (Hi ! Hi !) ; Plenel et le Président ont croisé sinon le fer, du moins les regards vipérins et se sont bornés, dans la confusion, à se jeter au visage, sans trop de brutalité toutefois, des noms de milliardaires plus ou moins proches d'eux mêmes ou de leurs activités, dont les « harmonisations fiscales » exotiques sont connues de tous. Plenel a évoqué les archi-ltilliardaires Arnaud et Pinault, Macron a riposté avec Drahi ( propriétaire de BFM et de RMC donc patron de Bourdin ! Ouille ! Ouille !) en regardant Bourdin qui lui regardait .... le plafond et, d'émotion, oubliait ses devoirs de chef d'orchestre de la séance !
Bref du grand et bon spectacle, même si l'on n'a pas appris grand-chose sur les affaires de la France. Le meilleur des trois à mes yeux a été incontestablement le Président de la République car la nullité de Pernaut ne lui avait pas permis de faire montre de tout son talent de comédien ; hier en revanche, il a alterné les sourires enjôleurs auxquels on comprend que Brigitte n'ait pas résisté autrefois et les contre-attaques vives comme les dérobades opportunes que lui permettent manifestement une excellente connaissance des dossiers et une préparation sans faille. Bravo l'artiste !
Il faut dire que notre Président était la vedette de la soirée. Plenel n'a guère pu que retrousser la commissure de sa lèvre, à droite bien sûr, dans ce qui lui sert de sourire ironique ; il l'a peu fait au vu et au su de tous, par la faute des cadreurs qui ne nous ont guère régalé de son image sauf lorsqu'on nous le montrait avec au cou la pancarte rouge de RMC. Quant à Bourdin, il n'a guère qu'une seule corde à son arc dramatique qui consiste à énoncer les formule les plus banales (sur la grande misère des retraités ou la légitimité des revendications des cheminots) tout en prenant un air inexplicablement et mystérieusement diabolique dont on se lasse vite vu le propos qui l'accompagne.
Post scriptum et remarque finale , sauf erreur (tout à fait possible de ma part), nul ne semble pas avoir remarqué que, mutatis mutandis, on nous a rejoué hier deux scènes politiques classiques ; la première qui, en 1974, avait opposé F. Mitterrand à Giscard : La réplique est reprise mot pour mot : "Interrogé à plusieurs reprises par VGE sur sa connaissance des dossiers, le candidat socialiste lui rétorque : « je ne suis pas votre élève et vous n’êtes pas mon professeur ».
La seconde tient aux formules de salutation et d'adresse comme au refus de dire "Monsieur le Président" à Emmanuel Macron ; c'est une simple reprise des échanges vifs entre F. Mitterrand et Jacques Chirac en 1988 : " F. Mitterrand : "Je continue de vous appeler monsieur le Premier Ministre puisque c’est comme ça que je vous ai appelé pendant deux ans et que vous l’êtes. J’ai constaté que si vous aviez de très réelles qualités, vous n’avez pas celle de l’impartialité, ni du sens de la justice dans la conduite de l’Etat ». Et J. Chirac de répondre : « Ce soir, je ne suis pas le Premier Ministre et vous n’êtes pas le Président de la République, nous sommes deux candidats […] Vous me permettrez donc de vous appeler monsieur Mitterrand »,. Ce dernier ironisera pour finir : « Mais vous avez tout à fait raison monsieur le Premier Ministre ».
Les Français et surtout leurs journalistes politiques (ce qui est plus fâcheux), ont décidément la mémoire courte !