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Billet de blog 16 août 2018

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Fondation Vasarely : Ad usum delphini ! (suite)

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Fondation Vasarely : Ad usum delphini ! (suite)

Ch. Debbasch mentionne et évoque lui-même, non sans une légitime émotion, l'épisode le plus inattendu et le plus marquant de cette saga artistico-universitaire : " Violenté par les forces de "sécurité" venues l’arrêter au sein même de son université [ dans la faculté de droit d'Aix-Marseille III ], embastillé pendant trois mois, mis en examen à deux reprises, il [Ch. Debbasch] fut l’objet d’une véritable cabale orchestrée par certains magistrats avec la complicité de personnages très haut placés." 

Examinons les faits dans leur étonnant détail. En novembre 1994, alors que Ch. Debbasch s'apprête à donner une conférence de presse à l'Université d'Aix-en-Provence sur l'affaire Vasarely, la gendarmerie arrive et tente d'interpeller le Doyen [ Ch. Debbasch a été en effet successivement Doyen de la Faculté de droit et, plus récemment ( 1973-1978)  Président de cette même université et, dans ces cas, l'usage est qu on conserve ces titres !] en se prévalant d'une commission rogatoire.

Alléguant que les gendarmes ont tenté de le faire pénétrer par la force sans mandat dans leur véhicule,  il se retranche d'abord dans "l'amphi Portalis" dans lequel ses étudiants de deuxième année l'attendent pour son cours hebdomadaire, puis dans son bureau de la faculté sous la garde d'un groupe d'étudiants qui soutiennent sa cause. Le juge Le Gallo délivre un mandat d'amener le 27 novembre 1994. Ch. Debbasch est interpellé et placé en détention le 28 novembre 1994 à la prison des Baumettes, à Marseille, où il demeurera incarcéré en détention provisoire jusqu'au 15 février suivant.

Renvoyé devant le Tribunal correctionnel sous les préventions de faux, d'usage de faux et d'abus de confiance, Charles Debbasch est condamné le 20 février 2002, condamnation confirmée pour l'essentiel par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 7 janvier 2003, qui le relaxe de l'accusation de faux, mais le condamne pour usage de faux et abus de confiance. 

Cet arrêt sera cassé l'année suivante, mais en ses seules dispositions concernant l'usage de faux ; il est donc définitif en ce qui concerne la condamnation de M. Debbasch pour abus de confiance ainsi que pour les réparations civiles dont il est déclaré redevable (405 000 euros à sa seule charge, et 214 028 euros solidairement avec Pierre Lucas, condamné à ses côtés). À la suite de cette cassation partielle, la procédure est rouverte devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui condamne Charles Debbasch le 11 mai 2005 pour le seul délit d'abus de confiance à 2 ans de prison dont 1 an avec sursis sous le régime de mise à l'épreuve pendant trois ans, peine assortie d'une amende de 150 000 euros et d'une privation de certains droits civiques, civils et de famille pendant 5 ans. (Wikipedia).

Le Président Debbasch aux Baumettes ! Si invraisemblable que cela paraisse, tout ce qui précède est rigoureusement exact ; on comprend donc que cette expérience vécue fin 1994 et débuts 1995 lui ait servi de leçon et l'ait définitivement détourné de tout conflit direct avec la justice française. Toutefois s'il évite  avec efficacité la justice française, il n'échappera que de justesse à la justice belge ; en effet, le 16 mai 2007, il est l'objet d'une interpellation à l'aéroport de Bruxelles alors qu'il s'apprête à décoller à destination de Lomé. Il est placé un moment sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la Belgique, mais l'affaire se règlera assez vite pour qu'il puisse regagner Lomé la semaine suivante.

Désormais, Charles Debbasch n’a plus jamais purgé ses condamnations préférant à la prison un exil africain définitif (il est même désormais Togolais!). Cet exil est toutefois , comme on va le voir, doré et il sera même un moment ministériel car il lui est arrivé d'être Ministre-Conseiller d'un Président d'une République africaine. Libération (18/02/2005) explique comment il a pu devenir l’un des premiers personnages du Togo en se faisant l’ami du Général-Président Gnassingbé Eyadema, auquel il avait été présenté en 1992 par un personnage pourtant peu recommandable, l’avocat Jacques Vergès.

On peut toutefois s'étonner que Ch. Debbasch se soit lié d'amitié avec Jacques Vergès, alors que leurs idéologies affichées étaient très sensiblement différentes ; comme j'ai pu le montrer ailleurs, ils fréquentaient pourtant l'un et l'autre les mêmes dictateurs ! Cf. R. Chaudenson, Vergès père, frères & fils : une saga réunionnaise, l'Harmattan, 2007  et divers blogs parus ici même ). Non sans humour, Charles Debbasch s'est même fait, en 1994, Président d’un « Observatoire International de la démocratie » que ses amitiés politiques africaines rendent très pittoresque !

Conseiller (stipendié) de  multiples "Chefs d'État" africains, C. Debbasch a contribué à diverses constitutions locales. Au Maroc, de 1981 à 1985 — à la demande  d'Hassan II — il dirige une équipe de juristes chargés de former le prince héritier, l'actuel Mohammed VI ; il a aussi joué en Côte d'Ivoire ce rôle de conseiller auprès de Félix Houphouët-Boigny puis d'Henri Konan Bédié. Enfin, à la fin des années 1990, il conseille également le Président gabonais Omar Bongo et est sous contrat avec la République du Congo en vue d'aider à la rédaction de la nouvelle constitution. On constate par là que ses séjours africains et sa crainte des prisons françaises l'ont fait passer sans encombre du droit de l'art au constitutionnalisme !

(Demain la suite).

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