Le dab de Manu
Je ne veux en rien, sous ce titre, évoquer Monsieur Jean-Michel Macron, né en 1950, médecin, professeur de neurologie au CHU d'Amiens et père de notre Président ! Il faut dire que ma pratique de l'argot français est un peu ancienne et que ce terme "dab" n'évoque pour moi que " le père", comme le notent encore nos dictionnaires et quelques-uns de nos auteurs : « "T’as palpé vingt balles de ton dab ?" — Georges Courteline, Les Gaîtés de l’escadron, ) ; "Ce que me disaient mes dabs, en somme c’était bien raisonnable." — (Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit ).
Hélas comme bien des choses aujourd'hui, le "dab" n'est plus ce qu'il était et je dois sans doute apporter à mes lecteur(e)s une aide lexicographique à laquelle j'ai dû moi-même avoir recours. « Le dab est, en effet, un mouvement chorégraphique où le danseur place son visage dans le pli du coude, tout en pointant le ciel dans la direction opposée avec les deux bras parallèles. Ce mouvement a été popularisé par la musique hip-hop à la fin de l'année 2015 et au début de l'année 2016.[...] Le dab fut inventé par le joueur de basket Dee Brown en 1991. En effet, ce joueur de l’équipe des Celtics de Boston réalisa le premier ce mouvement, appelé à l'époque le « no look » dunk [ un "dunk" est un smash dans le panier de basket ; étant moi-même ancien basketteur, je suis donc doublement coupable de cette ignorance ] lors du "NBA Slam dunk contest" de 1991. ».
Le " dab de Manu " n'est donc en rien une allusion à Monsieur Jean-Michel Macron, père de notre Président de la République, mais fait référence à la visite que notre Président, après la victoire en Coupe du monde de football, est allé rendre aux joueurs français dans les vestiaires, pour les féliciter. il avait déjà manifesté à plusieurs reprises son enthousiasme durant la rencontre par de spectaculaires manifestations de joie, mais il s'est allé laisser aller là à exécuter un "dab" en compagnie de Benjamin Mendy.
L'ennui, qu'on peut juger modeste, est que Paul Pogba a filmé en direct (et publié) l’intérieur du vestiaire des Bleus et en particulier cette scène ; ce direct de Paul Pogba sur son compte Instagram est une scène des plus étonnantes . « Après avoir débuté sa vidéo au son de « We are the champions », le milieu des Bleus se balade au milieu de la foule des vestiaires comme s’il était dans son salon. Premier arrêt auprès du président de la République, Emmanuel Macron. Ce dernier se plie au jeu et lâche un « Merci à vous et vive la France » avant de « daber » au milieu de Benjamin Mendy et « la Pioche » hilares ! ».
Si le Président de la République ne peut guère espérer gagner quinze points de popularité comme l'avait fait en 1998 Jacques Chirac (ce dernier, moins connaisseur du football que notre Président, s'était planté dans l'identification de quelques membres de l'équipe victorieuse) et si l'on doit le supposer sincère dans son enthousiasme, on ne peut pas croire toutefois qu'au-delà des vacances d'été l'enthousiasme national actuel aura, en sa faveur, sur les plans économique et politique, des effets aussi importants.
Je suis également enclin à penser que quelques membres de l'entourage présidentiel ont dû juger, non sans bon sens, que cette vidéo de Pogba allait tout de même un peu trop loin et que l'enthousiasme même du Président le poussait un peu trop ; au-delà même de l'extraordinaire chaleur amicale de ses propos, ce sentiment lui avait fait forcer sa voix, un peu comme on avait pu parfois l'entendre durant sa campagne électorale !
J'avais par hasard vu cette vidéo le soir même du match et j'en avais été, je dois le dire quelque peu "estomaqué" ; j'ai donc essayé de la revoir à tête reposée et je constate que j'ai été dans l'incapacité de la retrouver, sous sa forme originelle du moins, seuls en demeurant accessibles un très bref extrait anodin et de vagues résumés, alors que dans cette affaire, la forme importait infiniment plus que le fond ! On ne voit plus guère désormais en effet de cette scène qu'une image du Président effectuant le "dab" avec un Benjamin Mendy, hilare, torse nu , la médaille d'or autour du cou et qui crie : « Président, c'est quoi le nouveau geste maintenant, yahhh, dab !»
Restent à ajouter quelques mots du match lui-même dont il est tout de même difficile de dire avec Emmanuel Macron : « Vous avez fait un magnifique football. ». Après une victoire française 4-2, l'examen des statistiques est pour le moins étonnant. Pour ne prendre que la première mi-temps, les Croates qui ont eu les deux-tiers du temps de possession de la balle, ont tiré au but 7 fois et les Français une seule, ce qui ne les a pas empêchés de marquer deux fois ! Bien des spécialistes se sont interrogés à la fois sur ces statistiques comme sur le coup franc et le penalty qui ont amené les deux buts français ( cf. François Kulawik, 16 juillet 2018).
Si cet aspect n'a pas été évoqué sur TF1, à la mi-temps, Bein Sport, plus objectif, a passé le ralenti et des images fixes du coup franc dont a bénéficié Griezmann qui montre qu'à l'évidence, il n'y a pas de coup-franc et qu'aucun des joueurs croates ne l'a touché (je l'ai d'ailleurs entendu dire lui-même que ce genre de ruse faisait partie de la technique d'un joueur) ; la question du penalty est plus discutable même si les protestations des Croates ont été très mesurées : "A l’instar de l’entraîneur de la Croatie, de nombreuses personnalités du foot ont regretté le penalty accordé aux Bleus pour une main dans la surface".
Le sélectionneur, Zlatko Dalic déclare . "Normalement, je ne fais pas de commentaire sur l’arbitrage, tout ce que je peux dire est que, dans une finale de Coupe du monde, on n'accorde pas ce genre de penalty", a-t-il regretté. « "Ça ne minimise pas la victoire de la France", a-t-il néanmoins tout de suite précisé avant d’édulcorer encore plus son propos sur l’arbitrage. "Ne pensez pas que j'ai dit quelque chose de négatif sur l'arbitre, j'ai simplement donné ma propre pensée. J'ai beaucoup de respect pour l'arbitre, il a pris sa décision sur la base de ce qu'il a vu et mon intention n'était pas d'être négatif", a-t-il ajouté avant d’assurer à propos de la video, que "la VAR reste une bonne chose pour le football." ».
« Les plus virulents auront finalement été les spectateurs, téléspectateurs ou consultants. "Honnêtement, je ne comprends pas bien comment est utilisée la VAR", a notamment déploré Iker Casillas sur Twitter, ajoutant : "Autre erreur ! Perisic ne peut pas retirer sa main. Matuidi veut reprendre de la tête, la rate et ne la touche pas. Perisic touche la balle. Pour moi, ce n'est pas penalty." De quoi s’attirer l’adhésion de... Luis Suarez. "Tu as raison Iker. Et en plus, il y a hors-jeu de Pogba sur l’action", a en effet renchéri l’Uruguayen. ». Dont acte !
Loin de moi l'idée d'accuser dans cette affaire l'arbitre, mais il est clair que les deux buts français, qui sont un élément décisif dans cette confrontation, étaient pour le premier abusif, pour le deuxième très discutable. N'allons pas plus loin ! Retenons simplement que Bernard Tapie, grand connaisseur en la matière et qui savait de quoi il parlait, disait que, dans un match important, il vaut mieux acheter les arbitres que les joueurs.
Ce qu'on peut retenir est que, si le football des Français n'a pas été "magnifique" comme le déclare, dans son enthousiasme, notre Président, il reflète surtout, l'expérience italienne de Didier Deschamps et la permanence de la validité du système du "catenaccio" ; il faut rappeler à ce propos, et la seconde mi-temps des Français le montre qu'il n'est pas exclusivement défensif. De plus, la rapidité d'exécution et la vitesse de relance ( Mbappé, Griezmann, Pogba) étaient, en effet, un élément essentiel du système d'Herrera qui interdisait que les joueurs ralentissent le jeu en dribblant.
Les Français ont donc gagné ce match par la qualité de leur catenaccio en seconde mi-temps, à l'exception bien entendu de la sottise de Llorris, qui n'en est guère coutumier mais qui a voulu mettre du sucre sur le miel en humiliant l'attaquant qui osait venir lui disputer le ballon !