Migrants ? Incertitudes à propos des Africains (suite 5)
Cet article des deux dirigeants français de l’"Institut de recherche pour le développement" mérite assurément considération, mais il perpétue fâcheusement, par quelques formules, l'ambiguïté à propos de l'Afrique dans son ensemble qu'on persiste à confondre avec « l'Afrique subsaharienne ».
Sans refuser des approches plus générales, tentons ici de résumer les précédentes considérations et essayons d'évaluer l'incidence des migrations africaines prévisibles sur l'avenir de la France seule, car comme l'a dit M. Rocard dans son discours prononcé le 6 juin 1989 à l’Assemblée nationale : « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France [ et à plus forte raison la France seule, surtout dans son état actuel ] puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles », avant d’ajouter qu’il faut «résister à cette poussée constante».
Le problème urgent me paraît donc moins ici de comparer, au plan démographique mondial et dans la perspective générale du développement, le Maghreb (en y associant l'Egypte, c'est-à-dire " l'Afrique du Nord") et l'Afrique subsaharienne que d'examiner seulement quelles sont les perspectives de migrations possibles vers la France (puisque c'est ici est essentiellement de l'Afrique qu'il s'agit), ce qui amène à prendre en compte, en même temps, les zones vers lesquelles migrent de préférence les populations de ces deux régions (Afrique du Nord et Afrique subsaharienne), mais aussi les pourcentages actuels de chacune de ces deux populations africaines dans la population française elle-même avec les conséquences que cela implique. il s'agit donc en rien ici, pour reprendre les termes de l'article cité, de « donner la possibilité de choisir le nombre d'enfants qu'elles souhaitent aux femmes africaines » , qui restent dans leurs pays d'origine mais de n'évaluer que les incidences démographiques sur la population française des populations de femmes d'Afrique déjà immigrées en France, en cours d'immigration ou appelées vraisemblablement à y immigrer.
La loi de 1978 «Informatique et libertés», dispose qu'«il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.».
Le Conseil constitutionnel a déclaré anticonstitutionnel en 2007 l'article 63 de la loi sur l'immigration qui visait à modifier la loi de 1978 en autorisant les statistiques ethniques sous le contrôle de la CNIL dans le cadre de la « conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ». Il avait été alors affirmé que les statistiques ethniques étaient contraires à l'article 1er de la Constitution, qui dispose que la France «est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion».
Les données faisant apparaître directement les origines raciales ou ethniques et « l'introduction de variables de race ou de religion dans les fichiers administratifs» sont donc interdites. Le non-respect de ces règles est passible de cinq ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende selon l'article 226-19 du Code pénal.
Pour autant, le Conseil constitutionnel a, dans le même temps, considéré que « les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration peuvent porter sur des données objectives», liées à l'ascendance des personnes. Dans le commentaire de sa décision, il explique ainsi que «ces données objectives pourront, par exemple, se fonder sur le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française.» En plus de ces «données objectives», il autorise les données fondées sur le «ressenti d'appartenance». Les enquêtes "Trajectoires et Origines "(TeO) menées par l'INSEE et l'INED s'appuient ainsi notamment sur le "ressenti d'appartenance" des personnes interrogées.
En 2013, la France accueille, selon la définition internationale des Nations Unies (« toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays », ce qui inclut les Français nés à l'étranger), 7,4 millions de personnes, soit 11,6 % de sa population, dont environ 5,5 millions (8,3 %) nées hors de l'Union européenne. [... ] La France est également l'un des pays de l'Union Européenne qui compte proportionnellement le plus de personnes issues de l'immigration (1re et 2e générations) parmi les personnes âgées de 25 à 54 ans avec 13,1 % d'immigrés et 13,5 % d'enfants d'au moins un immigré, soit un total de 26,6 % ".
[... ]
Si l'on observe à la fois les immigrés et les descendants directs d'immigrés, on arrive déjà, pour l'année 2013, à 12,5 millions de personnes, soit 19,3% de la population. Certains démographes appellent à une meilleure prise en compte des différentes générations de personnes d'origine étrangère dans la statistique publique comme Michèle Tribalat, qui estimait en 2011 que sur trois générations, près de 30% des personnes de moins de 60 ans étaient d'origine étrangère. «L'inclusion des petits-enfants d'immigré(s) redonne de la profondeur historique», déclare cette démographe de l'INED.
"Un changement majeur dans le phénomène migratoire au XXe siècle concerne la provenance des immigrés. La part extra-européenne de l'immigration a progressé, notamment celle venant d'Afrique. En détail, ce fut d'abord le Maghreb après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis 1975, cette immigration maghrébine représente environ 25 à 30% de l'immigration totale. Elle a été suivie d'une immigration en provenance d'Afrique subsaharienne. Alors qu'elle ne représentait que 2% du total en 1975, celle-ci compte aujourd'hui pour 14%. Dans l'ensemble, l'Afrique, avec 43% de l'immigration en 2013, est passée devant l'Europe, dont la part est tombée entre 1975 à 2013 de 66% à 36%.".
Selon Cris Beauchemin, (Professeur associé à l'Université de Montréal , département de démographie ; chercheur à l'INED), on peut estimer que deux personnes sur cinq (soit 40 % de la population vivant en France) sont issues de l’immigration sur trois générations.
(La suite 6 demain)