Migrants !
Je m'amusais récemment, je ne sais pas trop quand, du goût bien français pour les "concertations" ; on les aime tant que pour les désigner, on est en passe d'avoir mis en œuvre toutes les formes « d'assises » (j'ai renoncé à les compter depuis longtemps), de « Grenelles" de toutes compositions, et nous voilà réduits, à force de remonter le fil de notre histoire, aux « États généraux » qui, fort heureusement, ont commencé chez nous bien avant 1789 !
Et voici que ce matin même, vers six heures, en ouvrant un œil et du même mouvement le poste de radio qui m'accompagne dans mes sommeils, j'apprends que s'ouvrent ou se sont ouverts je ne sais pas trop quand, en ce 17 décembre 2017, à Briançon, les « États généraux des migrations ».
Ma longue série de blogs sur la francophonie qui s'était terminée vendredi dernier (je m'étais accordé un week-end de congé de façon fort imprudente) m'avait empêché de me rendre compte que, dans le cadre de la " Journée internationale des migrants ", (« Journée internationale » n'est pas mal non plus dans le genre!), l'association "Tous migrants", le "Réseau hospitalité" et la CIMADE, se sont réunis à Briançon pour des premiers "États généraux des migrations" avant de se retrouver à Paris en juin 2018.
Si les noms des deux premières associations mentionnées sont transparents, le terme C>IMADE (devant lequel mon logiciel Dragon n’a pas bronché et qu’il a parfaitement orthographié, ne l'est guère en revanche, ce qui justifie une explication, si longue qu'elle soit) : La CiIMADE est en effet le Comité Inter-Mouvements Auprès Des Évacués ; la mention « Service œcuménique d’entraide » a été ajoutée en sous-titre lorsque l'acronyme « Cimade » est devenu un nom propre. La Cimade est une « association loi de 1901 » de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d'asile et à tous les individus en situation irrégulière. Initialement fondée par des mouvements protestants dont certains liés au scoutisme (Éclaireuses Éclaireurs de France). elle demeure membre de la Fédération protestante de France, mais, cependant, est aujourd'hui une association œcuménique et une partie de ses bénévoles se définissent comme laïcs. Ouf !
Sans que je sache si , en quoi que ce soit elles sont liées à ces associations, j'ai appris par les médias que plusieurs personnes (souvent dans les régions par lesquelles transitent les migrants clandestins) ont pris des risques considérables pour accueillir ou faciliter le passage de ces migrants, ayant parfois même, de ce fait, maille à partir avec la justice ! On ne peut qu'être admiratif pour ceux et celles qui prennent ce genre de risques et vont au-delà de la pure et simple déploration. Tout cela me fait penser à ce mini sketch désopilant de Fabrice Lucchini qui interrogé, sur sa sensibilité politique qu'on suppose être de gauche comme c'est souvent le cas dans le milieu artistique, répond, avec beaucoup d'humour qu'il aimerait bien et qu’il a essayé, mais que c'est vraiment trop difficile d'être de gauche si l'on veut mettre en accord ses opinions et son mode de vie !
L'opinion la plus générale sur ces questions a été évidemment formulée autrefois par Michel Rocard et on ne manque pas de rappeler souvent sa phrase bien connue selon laquelle « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ! ». Je ne reprendrai pas ici cette formule mais une expérience, désormais relativement longue, de l'Afrique et plus généralement du Sud, m’a rendu sensible au rôle qu'a joué dans l'émergence du désir de migration vers le Nord, l'image, idyllique et fausse, qui en a été donnée par la télévision dans les pays du Sud.
On me reprochera sans nul doute de considérer ce problème en le regardant par le petit bout de la lorgnette ! Ce qui me conduit à ce propos est la diffusion à laquelle j’ai jadis assisté de la télévision du Nord en Afrique qui en a généralisé cette image idéalisée, en particulier à travers les "telenovelas".
Bien entendu dans cette affaire le rôle essentiel est revenu à la télévision elle-même. Il y a une vingtaine d'années encore un poste de télévision était en Afrique une rareté ; souvent une communauté humaine importante se réunissait pour regarder l'unique poste d'une région ou une zone qu’on sortait de la maison pour que tous puissent le voir ; les rares postes étaient alimentés par des batteries ou, dans les zones quelque peu urbanisées , par des dérivations clandestines à partir de rares lignes électriques. Je me souviens même, il y a vingt ans, d'une réunion à Abidjan où soudain la salle à manger où nous étions en train de dîner, s'était soudain vidée de la totalité des convives africains, car était venue l’heure de je ne sais quel feuilleton télévisé que nul n'entendait manquer.
Je lis aujourd'hui même dans Mediapart, dans l'article de Michel Pinault sur la migration : « Dites ? N'avez-vous jamais rêvé d'Amérique, d'Australie, de Canada… De cartes postales idéales parce que votre " né quelque part " vous paraissait tellement petit ; tellement vide ; tellement loin de vos aspirations… . Alors imaginons un instant que notre " né quelque part " soit la guerre, l'esclavage, la torture, la violence, la misère et que rien ne permet de penser que " demain ce s'ra vach'ment mieux ". ».
Bien évidemment, Michel Pinault, a présente à l'esprit la formule de Michel Rocard que j’ai citée et il ne manque pas d'en faire mention sans doute avec un peu de facilité et dans des termes qui n'auraient guère plu à feu Michel Rocard. « L'ouverture d'une frontière est l'exact contraire de la colonisation. Beaucoup de conflits entretenus par les grands de ce monde sont des pays fabriqués et " frontalisés ". L'ouverture d'une frontière est le contraire du reniement de soi. Contrairement à l'argument fallacieux et tronqué souvent utilisé par nos institutionnels, il ne s'agit pas " d'accueillir toute la misère du monde " mais au contraire d'en partager toute la richesse, celle qui élève les esprits, celle qui a forgé aussi le meilleur de ce que nous sommes. ».
Pour connaître un peu l'Afrique, je pense personnellement et sans le moindre doute, que si j'étais un jeune Africain, au Gabon, au Sénégal ou en Côte d'Ivoire (pour prendre les pays d'où sont originaires bons nombres de migrants car l'aventure européenne nécessite inévitablement quelques moyens de la réaliser), et si j'étais tenté par cette aventure, souvent coûteuse et dangereuse, je ne me fierai pas aux images flatteuses du Nord que diffusent là-bas depuis des décennies nos télévisions ou leurs succédanés.
On ne trouve pas nécessairement et inévitablement dans tous les pays africains " la guerre, l'esclavage, la torture, la violence, la misère « et précisément (et chacun en convient), sans contester ou nier le « droit à la migration » reconnu à chacun en 2011 par la « déclaration de Gorée » (ce qui ne manque pas d’humour !), il est indispensable de faire le départ entre ce qu'on appelle désormais les "migrants économiques "et les véritables victimes de situations que les massacres ou les guerres rendent véritablement insupportables.