Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

1484 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 février 2018

Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

Comité Français du Culte Musulman : Maghreb ou Turquie ? (suite 2 et fin)

Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Comité Français du Culte Musulman : Maghreb ou Turquie ? (suite 2 et fin)

Dalil Boubakeur, double ancien président du CFCM, sentant tourner le vent, avait rappelé que cette instance "ne représente pas les Musulmans mais le culte musulman. ". Mais notre Président ne l'entend pas de cette oreille : finances, composition et dirigeants, formation des imams, il envisage une réorganisation complète du CFCM. Il avance « touche par touche mais il entend aller vite » et sans doute... ailleurs. 

Comme le montrent les sondages, les critiques de ses réformes économiques et sociales et sa future et incertaine politique d'immigration, le Président songe à une réorganisation complète de l'Islam "de France". But : inscrire le culte musulman dans une relation apaisée avec l'Etat et les autres religions et donc l'associer à la lutte contre le fondamentalisme. Plusieurs fois annoncé, le grand discours présidentiel sur la laïcité, qui devait être l'occasion de dévoiler le projet, n'est toujours pas prêt.


Se dessine toutefois une orientation probablement majeure et qui en évoque quelques éléments, comme le titre même de ce blog : il s'agit, dans le CFCM d'abord réduire l'influence des pays arabes et tout particulièrement du Maghreb. Un plan d'ensemble paraît à l'étude au ministère de l'Intérieur. Il va de la création de nouvelles instances représentatives des Musulmans à l'élaboration d'un cadre pour le financement des lieux de culte et la collecte des dons, sans oublier un programme de formation des imams. Le Président n'en fait pas mystère et souhaite ouvertement : « réduire l'influence des pays arabes, qui empêche l'islam français d'entrer dans la modernité » comme le souligne l'un de ses proches qui aborde régulièrement la question avec lui.

Sa formule est : « Ma méthode, c'est d'avancer touche par touche ». Le 4 janvier 2018, dans ses vœux aux autorités ­religieuses auxquels, comme on l'a vu et pour la première fois, le Recteur de la Grande Mosquée de Paris n'avait pas été invité, le Président de la République a pourtant annoncé « un travail sur la structuration de l'islam en France » et promis aux Musulmans français qu'il les aiderait. Chacun sait que le mode de désignation des membres du CFCM contribue à y maintenir le poids décisif du Maghreb (et un degré moindre celui de l'Arabie Saoudite et du Qatar) depuis la création de cet organisme par Nicolas Sarkozy en 2003. En effet, ses membres sont élus dans les mosquées selon une répartition des sièges proportionnelle à la surface des bâtiments. L'influence des pays étrangers y est donc déterminante. Un groupe de travail a été créé au sein du CFCM, et désormais, le ministre de l'Intérieur a pour mission de préparer la réforme du CFCM et de livrer au gouvernement des propositions de réforme en juin 2018.

On saisit par là l'importance de quelques détails, apparemment anodins, comme la nomination d'un président du CFCM franco-turc ou l'attachement gouvernemental à maintenir dans sa fonction ministérielle, Gérald ( Moussa) Darmanin, de mère algérienne, petit-fils de Musulman et auteur d'un rapport sur « l'Islam français » en 2016, du temps où il militait encore à l'UMP. Si l'intention est d'ouvrir le CFCM aux Musulmans "les mieux intégrés", la difficulté est de structurer une religion qui elle-même n'est aucunement hiérarchisée, ce qu'illustre la carrière même du nouveau président du CFCM 

Une autre figure, moins connue mais sans doute essentielle pour les projets en la matière de notre Président, est Hakim El Karoui, né en 1971 à Paris, magnifique exemple de Musulman (du moins d'origine et de patronyme) des mieux intégrés. D'origine tunisienne, son père, venu en France en 1958, était professeur d'anthropologie juridique de l'islam à la Sorbonne. Sa mère, française (née Schvartz), fut professeur de mathématiques financières à Polytechnique. Son oncle, Hamed Karoui, a été Premier Ministre de la République tunisienne de 1989 à 1999. Un autre de ses oncles, Ahmed Ben Salah, avait été ministre sous la présidence de Bourguiba. Hakim lui-même est l'époux de Delphine Pagès-El Karoui, chercheuse à l'INALCO. Quel pedigree, mazette !

Ancien "Cloutard", Hakim El Karoui est agrégé de géographie, titulaire d'un DEA de géopolitique sur la Palestine. Il a en cours une thèse sur la « politique des frontières de l'Union européenne ». Il a enseigne en divers lieux (Université de Tunis, Égypte, où il a appris l'arabe, etc.)

En 1993, il se rend en Tunisie, où il enseigne la géopolitique à l'Université de Tunis, puis il part en Égypte pour y apprendre l'arabe et y enseigner le français au Collège jésuite du Caire dans le cadre de la coopération française. Après son service, en 2003, il devient conseiller technique du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin (durant son séjour à Matignon, il crée la Cité nationale de l'histoire de l'immigration) avant d'être, ensuite, conseiller technique chargé des « études et prospectives », du ministre des Finances, Thierry Breton.

Il sera ensuite directeur chez Rothschild & Cie Banque (intéressant non?), chargé des fusions/acquisitions en Afrique et sur le pourtour méditerranéen, et il est aujourd'hui "partner" du cabinet de conseil en stratégie Roland Berger Strategy Consultants, chargé notamment du développement du cabinet en Afrique. Hakim El Karoui a créé et présidé (avec Jérôme Cohen comme directeur) le réseau Young Mediterranean Leaders (YML). Lancé en 2008, « ce réseau réunit de jeunes décideurs de tous horizons professionnels et géographiques, désireux de bâtir ensemble l’avenir de la Méditerranée sur la base de projets concrets, entrepreneuriaux, scientifiques ou culturels ».

Hakim El Karoui est l'auteur de L'Avenir d'une exception, pourquoi le monde a encore besoin des Français (Flammarion, 2006), livre où il soutient que, dans un monde en recomposition où les pays émergents sont de plus en plus puissants, la France a un rôle majeur à jouer, car elle seule parmi les pays occidentaux porte en elle l'exigence d'égalité. Hakim El Karoui a publié Réinventer l'Occident, Prix spécial du jury de l'Excellence économique 2011 et, en 2013, chez Flammarion, La lutte des âges. Comment les retraités ont pris le pouvoir, qui est une interprétation de la crise financière de 2008 à la lumière du conflit des générations. Il a publié, enfin et surtout, chez Gallimard, L'Islam, une religion française, paru en janvier 2018 !

À lire tout ce qui précède, on comprend aisément le rôle que peut jouer auprès de notre Président de la République; Hakim El Karoui qui pense que « le moment est venu de confier l'organisation [ du CFCM ] à la nouvelle génération des Français de confession musulmane ». Cet ancien banquier d'affaires (chez ­Rothschild, comme qui vous savez) est aussi assurément l'un des meilleurs analystes de l'Islam français, à la différence de nombre de nos "experts" de la télé ! Suivez mon regard !

Dans son tout récent livre, L'Islam, une religion française, « Hakim El Karoui explore les pratiques, les croyances et les comportements des Musulmans de France, grâce à l'exploitation minutieuse de la grande enquête réalisée en 2016 par l'Institut Montaigne. Il décortique la stratégie de diffusion de l'islamisme et les ressorts de son succès. Il analyse enfin les mécanismes qui conduisent, petit à petit, intellectuels et commentateurs à tomber dans les pièges des islamistes : réduire l'Islam à l'islamisme pour encore et toujours imposer une seule et unique vision de l'Islam.
Il y a pourtant une voie, explorée dans ce livre, qui doit permettre à l'Islam de trouver sa place sereinement dans la République, grâce à une nouvelle génération qui émerge peu à peu, fruit de l'assimilation à la française, ici réhabilitée. C'est cette nouvelle génération qui doit mener la contre-insurrection culturelle dont l'Islam a besoin, en France bien sûr, mais aussi dans le monde musulman. ». Fin de citation ; vu les habitudes de nos éditeurs, ce texte est assurément de l'auteur du livre !

En somme, rien à ajouter et rien à jeter !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.