La Cour des miracles ou la Cour de justice de la République ?
Vous ne l'aurez sans doute pas noté mais on a totalement oublié, en 2013, dans le cadre des festivités de notre belle République, de fêter les trente ans de notre Cour de justice de la République. L'affaire Tapie est pourtant une belle occasion de rappeler quelques souvenirs !
Cette Cour de justice de la République (CJR) est une juridiction française qui a pour compétence exclusive pour juger les infractions commises par les membres du gouvernement pendant l’exercice de leurs fonctions.
Ouvrez le ban ! Le statut de la Cour de justice de la République et ses attributions ont été fixés par la Constitution en 1993 ; notre CJR comprend quinze juges dans sa formation de jugement : douze parlementaires ( six députés et six sénateurs, on a les moyens !) et trois magistrats du siège de la Cour de cassation, dont l’un est président de la Cour. En somme, tout est étudié, dès le départ, pour qu'on reste "entre soi".
Quoique son fonctionnement nous coûte près d'un milliard d'euros par an, la CJR ne croule pas sous les tâches. De sa création à fin 2012, la commission des requêtes a reçu 1.124 plaintes de particuliers et en a examiné 1 115, dont 1 082, soit 97%, ont fait l’objet d’un classement "sans suite". On est sans cesse dérangé pour rien à la CJR ! Depuis la création de la Cour, la commission d’instruction n'a instruit que quinze procédures, dont six ont fait l’objet d’un arrêt de renvoi ! Respectueuse des traditions de notre justice, la CJR « se hâte lentement » (en latin, langue normale en pareil cas, "festina lente") : ainsi, depuis le 29 juin 2014, une instruction est en cours, sur la fameuse affaire des frégates d'Arabie Saoudite et des sous-marins du Pakistan. On n'a pas pensé hélas en haut lieu à la rapprocher de l'affaire Tapie avec laquelle semble pourtant avoir quelques liens, certes inattendus mais peu contestables.
"Les Français ont la mémoire courte" et l'issue finale de l'affaire Tapie dans laquelle on a reconnu Madame Christine Lagarde coupable de "négligence" mais sans pénalité ni sanction (elle s'est donc bien gardé de faire appel!), n'a même pas rappelé au bon peuple de France la décision de la CJR, dans l'affaire dite « du sang contaminé » ; cette même Cour de justice de la République (dont certains mauvais esprits se demandent si elle n'a pas été faite "sur mesure" pour régler ce problème du "sang contaminé", casserole fâcheuse aux fesses de l'ex-Premier Ministre L. Fabius qui rêve alors de l'Elysée), d'une part, avait déclaré non-constitués, à la charge de Laurent Fabius (Premier Ministre entre 1984 et 1986) et Georgina Dufoix (ministre des Affaires sociales et de la Solidarité), les délits d'atteintes involontaires à la vie ou à l'intégrité physique des personnes et, d'autre part, déclaré coupable Edmond Hervé (secrétaire d'État à la Santé) des délits d'atteintes involontaires à la vie de Mme M... et d'atteinte involontaire à l'intégrité physique de Mme R... Cependant, Edmond Hervé déjà lui aussi avait été « dispensé de peine ».
G. Dufoix, ancienne ministre des Affaires sociales, à qui la commission d'instruction reprochait d'avoir freiné, pour des raisons financières, la mise en place du dépistage systématique et surtout d'avoir différé l'entrée en application d'un arrêté du 23 juillet, qui mettait fin au remboursement des produits sanguins non chauffés, largement contaminés, est restée célèbre par sa déclaration sur TF1, le 4 novembre 1991 : « Je me sens profondément responsable ; pour autant, je ne me sens pas coupable », propos sobrement résumé dans la suite en « responsable mais pas coupable »… comme Christine Lagarde en somme !
L'affaire du "sang contaminé" avait même été plus exemplaire en quelque sorte que l'affaire Tapie puisque le procès des ministres (L. Fabius et G.Dufoix) avait été précédé en 1992-1993 par celui de quatre médecins, dont l'ancien directeur du CNTS, Michel Garretta, jugés eux pour "tromperie et non-assistance à personne en dange". En première instance, Jean-Pierre Allain, responsable au CNTS du département recherche et développement jusqu'en 1986, avait été condamné à quatre ans de prison dont deux avec sursis, Jacques Roux, ancien directeur général de la santé, à quatre ans de prison avec sursis, Michel Garretta à quatre ans de prison ferme et 500 000 francs d'amende ; Robert Netter, ex-directeur du laboratoire national de la santé, avait été lui relaxé.
Quoiqu'il s'agisse de la mort de cinq personnes et de la contamination de deux autres, la CJR s'était donc montré nettement plus indulgente, confirmant ainsi principes qui ont conduit à sa création comme les célèbres propos tenus sur la justice, d'abord par notre bon La Fontaine (« Selon que vous serez puissant ou misérablI, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ») comme plus tard par Figaro sur une justice « Indulgente aux grands, dure aux petits ».
Il ne faut jamais désespérer puisque même notre Manolo a fini par le comprendre, du moins à entendre ses propos du moment au lendemain de l'affaire Lagarde, comme Flamby l'avait fait lui aussi, du moins dans son programme électoral, quitte à oublier dans la suite de supprimer la CJR !