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Billet de blog 22 juin 2018

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ONGs et migrants (suite et fin)

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ONGs et migrants (suite et fin)

Quoique l'article de Mediapart et surtout la « reconstitution 3D » qui est proposée en fin d'article, soient très convaincants, je me ferai ici « l'avocat du diable » sur deux ou trois points de détail.

Le premier point tient aux lieux mêmes, où se sont produits les "naufrages" des embarcations de fortune utilisées par les passeurs sans doute tunisiens ou libyens (des barcasses ou des zodiacs hors d'âge surchargés de façon folle) . on en a largement fait état dans les médias et ils ont probablement, des mois durant, provoqué des milliers de noyades. Désormais toutefois, du moins pour ce que nous pouvons voir sur le document en cause, tout se passe dans les zones territoriales tunisiennes ou libyennes. Précisions pour les ignorants du droit maritime dont j'étais :  Les eaux territoriales sont la partie de mer côtière sur laquelle s'étend la souveraineté d'un État côtier. Sa largeur maximale est fixée à 12 milles marins , soit 22.224 mètres. ( Convention des Nations Unies sur le droit de la mer !.

J'en conclus donc que les navires des O.N.G. ne peuvent s'aventurer plus près des côtes et que, par ailleurs, les embarcations officielles des Etats eux-mêmes ne peuvent intervenir au-delà de la limite de leurs propres eaux territoriales. Nous n'en sommes manifestement plus au temps où, comme en cette semaine du mois d'avril 2015, on avait pu dénombrer plus de 1200 noyades dans les naufrages de deux navires en pleine mer ! 

De telles circonstances ne peuvent évidemment que favoriser la propagande et la publicité des passeurs locaux dans le recrutement de passagers payants (en outre très cher !). Il ne s'agit plus désormais en effet d'affronter une véritable mais incertaine traversée vers l'Europe, pénible, longue et très périlleuse, les "migrants" étant recueillis par les O.N.G. à la limite des eaux territoriales donc à une faible distance ( à peine plus de 2 km !) des côtes de départ. 

J'ajoute que ce système a, en outre, pour ces "passeurs-" un avantage considérable puisque, dans la quasi-totalité des cas semble-t-il, ils prennent la précaution de récupérer les moteurs des embarcations utilisées alors qu'auparavant, tout (embarcations et moteurs) était irrémédiablement perdu, quels que soient les sorts des passagers. 

De ce fait, on peut imaginer que, si l'on veut combattre effectivement et efficacement ce système, les embarcations des passeurs, qu'il s'agisse de grandes barques ou de zodiacs, soient détruites par les O.N.G., une fois que leurs passagers ont été recueillis à bord. Cela ne semble pourtant pas être le cas, du moins d'une façon généralisée ou systématique, même si,  me semble-t-il, dans la vidéo proposée, on assiste à l'incendie un canot pneumatique, une fois ses passagers recueillis. 

En revanche, dans un passé récent, beaucoup  de "migrants" sont morts durant les traversées, souvent même abandonnés au large par les "passeurs". Le "pic de mortalité" en 2015, a été particulièrement visible avec le décès de plus de 1 200 personnes avec le naufrage de deux bateaux durant la même semaine du mois d’avril. C’est d'ailleurs dans ce contexte même que « de nombreuses ONG ont considéré qu’elles ne pouvaient plus se contenter de témoigner de ce qui se passait, mais qu’il fallait intervenir directement pour sauver ces vies ». Elles ont ainsi commencé à affréter des bateaux à l’instar du Iuventa , mais aussi à intervenir, non en pleine mer, mais à la limite même des eaux territoriales. Ce système a ses avantages (énormes) et ses inconvénients (limités mais incontestables) ! 

Dans le cas récent de "l'Aquarius", les refus de débarquement italien et français (à l'exception étrange de la Corse) et la dégradation soudaine de l'état même de la mer ont certes fait souffrir, plusieurs jours durant, les passagers embarqués à son bord et placés, de ce fait, dans des conditions matérielles très difficiles au point que nombre d'entre eux ont dû être soignés et même hospitalisés dès leur arrivée en Espagne. En revanche, cet état soudain de la mer fait qu'ils auraient tous été noyés s'ils avaient poursuivi leur traversée sur les raffiots où ils avaient embarqué ! 

Toutefois comme on l'a vu, si ce système de secours à la limite des eaux territoriales sauve assurément des vies, il encourage, dans les conditions où il est mis en oeuvre, les entreprises des "passeurs" qui peuvent en faire un instrument de leur publicité ! Va dans le même sens la décision d'un juge de Raguse en Sicile qui a récemment décidé d’annuler le placement sous séquestre du navire de POA (Proactiva Open Arms), appartenant à une ONG espagnole, également soupçonnée d'aide à l'immigration clandestine. 

Dans Libération (18/07/2017), sous le titre "Cessez d’accuser les sauveteurs en mer", on a pu lire une "tribune" de Charles Heller et de Lorenzo Pezzani, l'un et l'autre chercheur de l’université Goldsmiths à Londres (texte traduit de l’anglais par Isabelle Saint-Saëns). 

Ces auteurs rappellent, comme je l'ai fait hier, qu'en 2014, déjà, l’opération militaro-humanitaire italienne « Mare Nostrum», qui avait déployé des moyens considérables pour le sauvetage en mer des "migrants", avait été accusée d'augmenter considérablement par là le nombre de traversées et donc de morts en mer. La fin de Mare Nostrum n’a cependant pas amené moins de traversées, mais plutôt une effrayante augmentation du nombre de morts en mer. "C’est justement pour pallier cette carence mortelle des capacités de sauvetage de l’Union européenne et de ses États membres que les ONG sont courageusement intervenues avec leurs navires.". 

Charles Heller et Lorenzo Pezzani, qui ne font en rien mystère de leurs positions sur le sujet, font toutefois apparaître le mode de développement et de diffusion de ces théories :

" Au cours des derniers mois, les ONG ont néanmoins été la cible d’accusations, initialement formulées dans les cercles confidentiels du conspirationnisme d’extrême droite, de « collusion» avec les passeurs. Par ailleurs, recyclant ses attaques contre Mare Nostrum, l’Agence européenne Frontex a accusé les ONG d’inciter plus de migrants à tenter la traversée et d’encourager les passeurs à utiliser des tactiques encore plus dangereuses. Par un habile tour de passe-passe, les sauveteurs deviennent responsables du nombre croissant de morts en mer. Ces accusations se sont répandues comme une traînée de poudre et ont fait, au cours des derniers mois, la une de journaux de premier plan, comme le New York Times, lequel titrait depuis peu « Les efforts pour sauver les migrants ont des conséquences mortelles et imprévues». Elles ont été reprises en chœur par les ministres de l’Intérieur des États membres de l’Union Européenne lors de leur rencontre à Tallinn les 6 et 7 juillet au cours de laquelle ils ont acté la proposition d’un code de conduite limitant les activités des ONG.".

Ces auteurs, clairement de bonne foi dans toute leur argumentation, reconnaissent toutefois au passage deux points que j'avais moi-même soulignés avant même de lire leur tribune : d'une part, on ne peut "exclure que la présence des ONG ait pu précipiter certains changements dans les tactiques des passeurs" (elle leur fait; on l'a vu, la meilleure des publicités en écartant tout risque réel) , d'autre part, pourquoi avoir renoncé à la stratégie de " l’opération européenne antipasseurs «Sophia» qui, en détruisant les bateaux en bois des passeurs une fois les migrants sauvés," empêchait que ces embarcations" ne soient de nouveau utilisés. Qu'il s'agisse de barques ou de canots pneumatiques où est la différence ? N'était-ce pas efficace,  simple et de bon sens ? La récupération des moteurs comme des embarcations  par les passeurs n'est-elle pas le seul réel fondement des accusations de "collusion"?

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