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Billet de blog 22 décembre 2017

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Genépi ou FLE (suite 2)

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 Genépi ou FLE ? (suite 2)

Mais venons-en maintenant à l'article d’A. Senna (qui , faut-il le préciser, est Agathe Senna et non feu Ayrton Senna) !

"La langue est un outil de domination, mais aussi une arme de violence symbolique. Une violence " invisible " faite aux personnes dans la mesure où ce n'est pas une violence physique - mais justement d'autant plus sournoise, acide et tranchante qu'elle est prétendument " invisible ". Pourtant, pour nombre d'exilé.e.s, et par là on parle des demandeurs [ Pourquoi pas « demandeures » ou « demanderesses » : je laisserai ce point de côté ici ] d'asile, personnes migrantes et réfugiées, arrivées en France, cette domination et cette violence n'ont rien d'invisible. Elle rythme leur vie au quotidien, leur rapport aux institutions, leur rapport aux autres, leur rapport à ce pays qui bien souvent refuse de les accueillir, et utilise la langue pour le leur faire savoir. Apprendre est un combat. Dans ce contexte, l'apprentissage de la langue est le lieu central de ce conflit et des rapports de domination qui le travaillent.".

« L'apprentissage de la langue » aurait dû être, lors de la loi giscardienne sur le « regroupement familial » (en 1975-1976) la préoccupation, première et majeure, du gouvernement français. Il n'en a rien été et on en a la preuve dans les programmes alors définis pour les CEFISEM, créés à cette fin, mais où l'on ne se préoccupait en rien du niveau de compétence en français des élèves, le seul souci étant de les évaluer dans les autres disciplines, ce qui était évidemment absurde.

Ces « Centres de formation et d'information pour la scolarisation des enfants de migrants » (CEFISEM) sont créés dès 1975 (on avait donc conscience du problème !) afin d'assurer la formation des enseignants chargés d’accueillir les enfants de l'immigration. On ne cessera d’en modifier les dénominations dans la suite, selon le bon vieux principe, bien français, qui pousse à changer les noms faute de se résoudre à changer les choses ! N’allez pas croire toutefois que le ministère de l'Éducation nationale avance sans réflexions sur un terrain si glissant. Ainsi lit-on d’emblée dans les textes officiels : « l’institution scolaire [ les] appelle « élèves nouvellement arrivés en France » ou ENAF (sigle que nous serons conduits à utiliser par commodité). On trouve aussi l’appellation « élèves nouveaux arrivants ». La mission a fait le choix de parler d’ « élèves nouvellement arrivés », par référence au Code de l’éducation ainsi que ... par souci euphonique. Foutre ! « Euphonique ta mère » comme on dira bientôt à Marseille ! Il est vrai que "ENAF" évoque un peu fâcheusement Naf Naf !

Rassurez-vous, je ne vous infligerai pas, même en résumé, le "Rapport - n° 2009-082 septembre 2009" qui expose par le menu les débuts des réflexions de nos plus hautes autorité sur ces questions… le seul aspect, réellement stupéfiant est leur acharnement à ne pas voir l’essentiel ! Je n’en retiens donc que quelques dates.

La circulaire n° 2002-100 du 25 avril 2002 concerne « l’organisation de la scolarité des élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages». « Beaucoup plus directive que l’ensemble des précédentes circulaires rédigées sur le sujet, elle vise à présenter un véritable protocole d’accueil et de scolarisation des ENAF.

Ce n’est pas sot en effet ! Mais l’Intendance pédagogique suit elle ?

Les « Centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage » [ sic !!!], les CASNAV remplacent les CEFISEM en 2002-2003 ; leur mission est recentrée sur « l'aide à l'intégration des élèves nouvellement arrivés en France et des enfants du voyage, à et par l'école. Toutefois, ô stupeur, selon le rapport officiel cité ici, il n’existe pas de "pilotage académique" et les membres du CASNAV les plus anciens témoignent que, depuis la création du CASNAV, il n’y en a jamais eu stricto sensu. Les membres des CASNAV disent « porter au mieux le dossier » et « essayer d’impulser une politique » !

En 2012, avec la circulaire no 2012-143 du 2 octobre 2012, ces centres sont renommés « Centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs » ! Ouf ! Le sigle d'origine reste inchangé.

À Marseille, dans les années 80, au CEFISEM du boulevard d'Athènes, j'ai eu suffisamment de discussions vives et parfois orageuses, avec le personnel de cet établissement et à ce sujet, pour ne pas avoir à y revenir ici. La question de l'alphabétisation des adultes est toute autre et elle est d'une importance infiniment moindre puisqu'il est évident que tous les efforts d'éducation en français des jeunes migrants, si urgents et prioritaires qu’ils soient, seront totalement vains si ces derniers n'ont pas une maîtrise suffisante de la langue française dans laquelle leur sera donné tout l'enseignement.

Je suis en revanche d'accord que l'alphabétisation des adultes pose des problèmes de solution plus difficile, comme le souligne à juste titre l'article en cause. Ils sont toutefois bien moins essentiels et urgents !

« Les cours d'alphabétisation en sont un exemple. Chez l'apprenant.e, cela demande un investissement émotionnel et un effort important. La situation d'analphabétisme est vécue comme une humiliation pour les personnes, qui sont précarisées, isolées. Et avec le nombre de formulaires et de procédures administratives qui martèlent la vie des demandeurs d'asile, c'est une humiliation à répétition. » Op. cit.

Il est à cet égard stupéfiant de constater avec quel luxe de détails et quel soin on a alors défini les caractères et les modes de fonctionnement de centres d'alphabétisation en français desitnés aux jeunes élèves ; on précisait même le nombre de lavabos et de toilettes qu’exigerait leur agrément, sans toutefois se préoccuper de savoir qui, comment , quoi et à qui on allait y enseigner ! Ces futures institutions n'ont, en fait, jamais existé et on s'était même pas posé la moindre question concernant les didactiques pédagogiques qu'on allait mettre en œuvre ni défini les objectifs visés.

Il en était évidemment tout autrement pour les établissements scolaires où l'apprentissage du français par les enfants n'aurait pas dû poser de problème si on s'était donné la peine d'en souligner la nécessité et d'en définir les conditions et les stratégies. En revanche il est exact que, dans les rares cas où on s'est efforcé de mettre en place, trop rarement hélas, des structures où en particulier les mères de famille auraient pu apprendre le français courant selon les méthodes du FLE, cet enseignement, qui n'était en rien obligatoire ni contrôlé ni encouragé (fût-ce financièrement), n'a pas rencontré le succès qu'on aurait pu espérer ; ces mères de famille, peu motivées voire réticentes (parfois faute de « papiers ») étaient naturellement très occupées par ailleurs par les soins à donner à leurs enfants, souvent nombreux, en usant des langues "maternelles". Sur ce point je suis aussi parfaitement renseigné par des amies qui s'étaient engagées dans ce type de programmes sur la base du volontariat et qui m’ont fait part de leurs constats.

Sur ce dernier point, je suis donc tout à fait d'accord avec l'analyse que présente A. Senna « Mais dans ces cours, il y a toute sorte de profils. Des personnes de toutes classes sociales, de tous âges. Récemment sont arrivées plusieurs femmes, parfois très jeunes, originaires du Nigéria, où elles n'ont jamais pu aller à l'école. En arrivant en France, le schéma de domination se reproduit, car elles n'osent pas aller à des cours de français, par honte de ne pas savoir lire. De même, l'absence d'habitude scolaire, le stress émotionnel lié à la salle de classe, le stress lié à l'écrit en général, tout cela les a souvent poussées à abandonner, et a posteriori rend l'apprentissage de l'écrit moins facile que pour des personnes ayant une expérience scolaire. ».

(La suite demain)

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