
Sans qu’on le sache toujours, il y a dans le « cumul des mandats politiques électifs » une remarquable spécificité et une rare originalité de notre système ; ce cumul, totalement inconnu aux Etats Unis comme au Canada, peu courant au Royaume Uni et rare (moins de 20%) en Italie comme en Allemagne, caractérisait déjà entre 35 et 40% des élus nationaux dans la France de la Quatrième République. Selon un rapport sénatorial publié en février 2012, le pourcentage de tels élus exerçant un autre mandat électif atteignait, en 2012, 83% pour les députés et 72% pour les sénateurs !
De tels pourcentages de cumuls ont fini par faire problème ; au terme d'un parcours parlementaire de plusieurs mois car si une telle situation était unique dans le monde, les élus eux-mêmes se montraient peu soucieux d’y mettre un terme et ont trainé les pieds de leur mieux ; le Parlement a fini par adopter, le 22 janvier 2014, un projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec un mandat de député ou de sénateur. Ce projet de loi était d’ailleurs une des promesses de campagne de François Hollande. Pour entrer en vigueur, la loi devait toutefois d'abord être validée par le Conseil constitutionnel, toujours saisi pour tout projet de loi organique. Celui-ci a rendu le 13 février 2014 deux décisions déclarant les deux textes conformes à la Constitution. La loi a donc été publiée au Journal officiel du 16 février 2014.
Festina lente ! Cette réforme ne s'appliquera pourtant qu'après le 31 mars 2017. Toutefois, le cumul des mandats a été légèrement réduit dès les municipales de 2014 car, dans les villes moyennes (de 1000 à 3500 habitants), un parlementaire qui est aussi conseiller municipal ne peut plus exercer simultanément le mandat de conseiller général ou de conseiller régional.Tout cela n’a donc pas été obtenu sans mal, indépendamment de toute considération d’appartenance politique !
Après le 31 mars 2017, un parlementaire ne pourra plus être maire, adjoint, président ou vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale, d'un conseil départemental, d'un conseil régional ou d'un syndicat mixte. L'Assemblée Nationale avait dû d’ailleurs ignorer les modifications voulues par les sénateurs qui avaient voté le maintien du cumul pour eux-mêmes ! Dans le vote final, la majorité des députés de gauche a voté pour, la majorité de ceux de droite votant contre !
L'UMP (les futurs « ripouxblicains ») a alors promis de revenir sur cette loi en cas d'alternance en 2017 ; le principe de la loi a été, si l'on peut dire, quelque peu écorné, par M. Monsieur Le Driant, qui resté ministre lors de son élection à la présidence du Conseil régional breton! Monsieur Larcher, Président du Sénat, d’emblée hostile à cette loi comme on l’a vu, n’a pas manqué de faire rappeler la position des « Ripouxblicains », car on ne sait pas si un tel rappel ne pourrait pas permettre de gagner les sympathies secrètes de quelques élus de l'autre bord, peu portés à renoncer à ce cumul des mandats, si limité qu’il soit.
Je trouve d'ailleurs amusant l’usage qui est fait du mot « mandat » à la lumière de quelques affaires récentes, alors que, dans notre vie politique, tous ceux qui sont en position d'en « recevoir » en douce dans les affaires qui s’y prêtent, n'acceptent jamais que les espèces et refusent, pour les « commissions » occultes ou dessous-de-table en tous genres, les « mandats » comme les chèques. On ne paye qu’en en nature (pour un rond-point, on vous refait la piscine !) ou en cash ! Pour les élections, on devrait donc éviter ce mot «mandat » par trop équivoque !
Le non-cumul des mandats (qui connaît d’ailleurs des accommodements importants car un mandat national peut se cumuler avec un mandat local) est lui-même une demi-mesure. Le vrai changement dans notre fonctionnement électoral ne devrait pas être d’empêcher un sénateur ou un député d'être en même temps maire, conseiller général, voire président de Conseil régional. Le simple bon sens indique qu'il est impossible de remplir convenablement ces deux fonctions en même temps. La seule vraie réforme serait, de toute évidence, le mandat unique et non renouvelable dont évidemment personne ne parle dans les assemblées nationales où une infime minorité des élus à moins de quarante ans et où nombre de ces élus le sont pour la cinquième ou sixième fois !
Je prendrai un exemple hors de la vie politique et dans un domaine qui m'est familier car il illustre tout à fait le même aspect : les universités.
Edgar Faure, dans la loi qui porte son nom et qui a réformé de façon drastique et efficace, le fonctionnement universitaire, avait, fort raisonnablement, rendu « non renouvelable » le mandat des présidents d'université ; c’était bien entendu la meilleure façon à la fois de les pousser à faire durant ce premier et seul mandat les actions qui leur semblent urgentes et indispensables, mais, aussi et surtout, est la garantie d’éviter l'électoralisme et le clientélisme qu’engendre inévitablement tout mandat électif renouvelable.
Bien entendu, la suppression de cette disposition du mandat unique a été la première et permanente revendication de la Conférence des présidents d'université (CPU) depuis 1968 ; Madame Pécresse, fine mouche, avait pris pour conseiller principal un ancien président d’université qui, contrairement à ce que son nom donne à croire n’était pas, « couillon » (Il n’était que Coulhon !). Pour gagner les présidents à sa loi LRU, dont on voit désormais à plein le caractère nuisible voire funeste, elle leur a donc, à son instigation, accordé cette faveur du renouvellement de leur mandat, ce qui a suffi à faire passer avec elle toutes les autres dispositions, jugées mineures dès lors, et à convertir à sa loi LRU tous les présidents, y compris ceux qui étaient réputés de gauche comme dans mon université.
Bien plus que le cumul des mandats, la possibilité d'être candidat à un deuxième mandat, voire à un troisième, sans même parler d’un cinquième, d’un sixième voire d’un neuvième mandat (ce qui est, paraît-il, le record actuel), est la plaie majeure et même le vice capital de notre système électoral, mais bien au-delà de ce qu'on imagine.
En effet, cette possibilité de « professionnalisation » définitive d’une carrière politique, surtout pour des gens sans autre métier précis (suivez mes regards vers nombre de nos vedettes politiques, de droite comme de gauche) comme pour les multiples hauts fonctionnaires en congé, permet de rester ainsi, pendant trente ou quarante ans, dans une sinécure et une opulence politiques des plus enviables ; une telle situation perpétue donc le clientélisme électoraliste avec des conséquences budgétaires que l’on ne soupçonne même pas et qui sont une cause majeure de notre situation financière catastrophique, ce que nul « expert » ne dénonce à ma connaissance!
C’est en effet une des causes majeures de la prolifération des emplois administratifs et techniques dans la fonction publique territoriale, où ils se sont multipliés au-delà du raisonnable, alors même que se mettait en place la RGPP pour la fonction publique nationale. La chose apparaît d'autant plus nette qu'on a affaire à une commune de taille moyenne, ce qui est évidemment le cas de bien des 36 000 communes que nous avons l’infortune ou la folie de posséder.
Créer ou faire créer un emploi « territorial » est évidemment, pour un maire ou un homme politique local, la certitude absolue de s'attirer, par là même, le vote non seulement de celui ou de celle qui en sera titulaire, mais aussi ceux de sa famille étendue, de ses proches et ses amis. C'est donc, dans le pire des cas, s'assurer une bonne cinquantaine de voix ou même une centaine, ce qui dans une unité électorale réduite, est très loin d’être négligeable.
Ce système a aussi des incidences directes sur le recrutement des fonctionnaires territoriaux qui tient aux procédures de nomination de ces agents, comme aux pseudo-concours qu’on met en place à cette fin ; dans la ville où je réside (Aix-en-Provence), elles m'ont été exposées, aux meilleures sources, par des fonctionnaires municipaux qui en ont eux-mêmes bénéficié. Comment devient-on fonctionnaire municipal ? « Eh bien je vais vous le dire ! » comme dit notre ancien président de la République. On commence par « coller » (entendre par cette formule, coller « bénévolement » les affiches d'un candidat à une élection municipale ou autre), ensuite on « met un pied dans la porte » ; on devient par exemple « pompier volontaire » quelques années, avant d'accéder au « saint des saints » de la fonction publique municipale ou locale qui constitue à la fois le terme de la procédure et son aboutissement.
Même pour les agents, un tel emploi est en forme de sinécure puisque la municipalité, si vous êtes dans les services techniques, se garde bien de vous faire travailler ; la plupart des tâches à accomplir sont en effet confiées « en régie » à des entreprises locales. Coup triple : les agents (avec le fameux « fini parti » local peuvent avoir un deuxième métier (je dis deuxième car certains en ont trois !) ; on donne ainsi du travail aux PME locales et on se gagne par là des voix ; à charge de revanche toutefois et la petite entreprise ne vous refusera pas, « gratos » bien sûr, de repeindre un appartement, de refaire le carrelage d’une piscine et ou de changer un portail à la « mairesse » ou à un membre éminent du conseil municipal (même principe que pour les syndics de copropriétés !). Et je ne parle même pas d’avantages plus discrets et de formes différentes.
J'entendais récemment Monsieur Bruno Le Maire (qui a lui-même démissionné de la fonction publique pour donner l’exemple) causer dans le poste sur ce sujet, comme j'avais entendu auparavant à la télé Monsieur François Fillon (dont le métier d’origine demeure pour moi un mystère) s’exprimer sur les réformes radicales qu’ils envisageaient dès qu’ils seraient à l’Elysée, ce qui ne me paraît pas les engager à quoi que ce soit ni l’un l’autre ! Je ne me souviens pas en revanche avoir entendu l'un ou l'autre évoquer la perspective d’une loi interdisant le renouvellement des mandats de préférence à leur cumul.