La naissance de Carrefour
Somme toute, chez nous, dans les affaires c'est un peu comme dans le football français ! Au premier coup dur, on vous remplace. Georges Plassat, naguère encore PDG de Carrefour, caracolait en tête de la « première enseigne française de grande distribution » (au désespoir du fils Leclerc). Comme le titrait B. Merlaud le 17 Mai 2016, dans Linéaires « Carrefour a-t-il fait une bonne affaire en rachetant Dia ? », ce rachat paraissant aux yeux du public naïf comme une preuve suffisante de grande réussite. Toutefois, comme le dit cet auteur : « Si l'on regarde dans le rétroviseur, d'abord, l'opération a de quoi laisser sceptique. En 2011, Carrefour avait cédé l'ensemble du groupe Dia pour… zéro euro.
Le hard discounter avait simplement été séparé de la société mère et coté à Madrid, chaque actionnaire de Carrefour se trouvant, au pro rata de sa participation, automatiquement actionnaire de Dia. Une façon d'apaiser des investisseurs frustrés par la baisse de l'action Carrefour (Bernard Arnault et le fonds Colony ont d'ailleurs revendu leurs actions Dia en 2015, en profitant au passage d'un doublement du cours en quelques mois).
En 2014, ensuite, Carrefour a décidé de racheter le parc de Dia France. Les mauvais résultats de la filiale hexagonale poussaient le nouveau groupe espagnol à s'en défaire sans se montrer trop gourmand. Mais le Français n'en a pas moins déboursé 645 millions d'euros sonnants et trébuchants, pour récupérer un réseau dont ses actionnaires l'avaient dépossédé trois ans plus tôt.
[...]
55 millions de pertes en 2015
En 2015, Carrefour a commencé par transformer 158 points de vente Dia en magasins de proximité. [...] Depuis le début de l'année 2016, Carrefour accélère le rythme des conversions : 267 Dia, au total, transformés à fin mars ; 360 au dernier pointage, ce 17 mai. »
Fin 2017, l'enseigne Dia a disparu du paysage français. Comme chantait Fernandel, lui à propos de Félicie, "Georges Plassat...aussi", ; il a été remplacé par Alexandre Bompart. Rentrez pourtant vos mouchoirs car la rémunération de G. Plassat s'est élevée à 9,73 millions d'euros pour 2016
Ne comptez pas sur moi pour expliquer ou commenter tout cela car je n'y entends rien! Je puis témoigner en revanche, avec précision et exactitude, si je puis dire, sur la « conception » et la naissance de "Carrefour" à Annecy, à la fin des années 50.
Il y a là un élément de notre « histoire nationale » que je suis en mesure de préciser, car j'ai déjà relevé quelques sottises (dont certaines sont sans doute volontaires) dans les textes que j'ai pu lire à ce sujet. Les choses sont ainsi évoquées dans Wikipédia : « Carrefour est né d'une rencontre [...], entre Marcel Fournier, dont la famille est propriétaire d'un grand magasin de nouveautés à Annecy, et les frères Jacques et Denis Defforey ».
Un mot bref tout d'abord sur Marcel Fournier lui-même qui est né dans une vieille famille d'Annecy, originaire d'Italie, dont le nom " Forneri " a été francisé. Son père avait déjà lui-même une petite mercerie. Dans les années 1950, le fils reprend donc le commerce de papa situé au " 42 rue Vaugelas " à Annecy et tente de diversifier la mercerie familiale en la baptisant, sans en changer le lieu, " Grand magasin de nouveautés ".
« Le grand magasin de nouveautés" de Marcel Fournier demeure en fait une modeste boutique sise au 42 de la rue Vaugelas, à Annecy, et devant laquelle je suis passé des dizaines de fois ; elle devait être un peu comparable à l'épicerie de la rue des Capucins à Landerneau sur laquelle régnait Edouard Leclerc. M. Fournier alors portait blouse et crayon sur l'oreille. L'affrontement de ces deux héros des boutiques aurait sans doute mérité d'être décrit par quelque Homère du mercantilisme ; il n'en fut rien hélas, mais cette rivalité épique mérite d'être évoquée car la lutte semble toucher à sa fin et l’histoire s’impatiente !
«Marcel Fournier veut créer un supermarché mais est piqué au vif par les intentions de l'épicier de Landerneau Édouard Leclerc, venu à Annecy à la bourse du travail en novembre 1959 pour faire part de son expérience, et qui a déclaré vouloir s'implanter dans la ville ». Les centrales d'achat refusant de l'approvisionner, M. Fournier prend la mouche et contact avec la maison Badin-Defforey pour un approvisionnement en produits alimentaires et il ouvre, dès janvier 1960, une épicerie dans le sous-sol de son magasin de mercerie.
Les choses se précipitent. Le premier supermarché "Carrefour" (850 mètres carrés) ouvre en juin 1960 à Annecy, au carrefour de l'avenue du Parmelan et de l'avenue André Theuriet, dans un immeuble que son promoteur avait appelé " Le Carrefour ". Séduit par le terme, M. Fournier a déposé officiellement la marque " Carrefour supermarchés " dès juillet 1959 ; le terme hypermarché » n'existe pas encore et ne sera créée qu'en 1966 par, J. Pictet, le fondateur de la revue Libre Service Actualités. Au vu du succès du « Carrefour » du Parmelan, un autre supermarché de 1 000 m2 est bientôt ouvert à proximité d'Annecy à Cran-Gevrier en janvier 1963. Le premier hypermarché Carrefour ouvre à Sainte Geneviève des Bois en 1963.
Tout cela s’inspire du modèle américain car notre boutiquier annécien a pris de l’altitude et s’inspire des idées de Bernardo Trujillo, regardé comme le " pape de la distribution moderne " ; M. Fournier a même suivi ses conférences, bien loin de la rue Vaugelas ! Ces fameuses conférences sur les « Méthodes marchandes modernes » (MMM), « sponsorisées » par le fabricant de caisses enregistreuses NCR (National Cash Register), se tenaient à Dayton (Ohio), siège de la NCR. Trujillo y livrait les bases et les conditions de la distribution commerciale moderne ; il débutait les séminaires qu'il animait en demandant à son auditoire (formé pour l’essentiel de chefs d'entreprises commerciales) de se lever et d'observer une minute de silence avant d’annoncer annonçait d’un ton lugubre : « Nous allons observer une minute de silence à la mémoire de ceux d'entre vous qui vont disparaître mais qui ne le savent pas encore. »
Une dernière erreur pour finir : « L’histoire de Carrefour débute dans le magasin Fournier « , (15/11/2010 par Soulabail, rubrique , Histoire du commerce), photo à l’appui :
« Le premier magasin Carrefour n’était pas un Carrefour. Tout débute donc au croisement des rues Sommelier [en fait Sommeiller ], Vaugelas et de la Poste. Le croisement est là… les premiers pas du “carrefour” sous la flèche blanche à gauche… le début du cirque en somme… ».
Sur le moindre plan d’Annecy, vous constaterez qu’il n’y a pas de « croisement des rues Sommeiller, Vaugelas et de la Poste », les deux premières étant parallèles ! À croire que Carrefour n’est pas né à Annecy !