Alexandre Benalla est-il un Guelfe ?
On serait porté à le croire après avoir entendu hier la déposition de Monsieur Gibelin devant la commission parlementaire ! Quelques mots d'explication sont sans doute nécessaires ici pour entendre ce titre quelque peu déroutant. Que On se souvient peut-être que les « Guelfes » et les « Gibelins » étaient deux factions médiévales qui s'opposèrent militairement, politiquement et culturellement dans l'Italie des Duecento et Trecento. À l'origine, elles soutenaient respectivement deux dynasties qui se disputaient le Saint-Empire ; les Guelfes appuyant les prétentions de la dynastie des « Welf » (d'où leur nom) et de la Papauté, les Gibelins, celles des Hohenstaufen, et au-delà celles du Saint-Empire.
Il y a rien de plus à tirer de cette évocation dont je reconnais volontiers le caractère très hasardeux et qui ne se fonde que sur la contestation, vigoureuse et semble-t-il fondée vu sa position, apportée dans sa déposition sous serment, par Monsieur Gibelin à la version « officielle » actuelle dont A. Benalla est l'élément central. Quoique j'ai entendu et écouté très attentivement les dépositions faites par Monsieur Gérard Collomb, ministre de l'intérieur et Monsieur Michel Delpuech, préfet de police, devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale constituée pour l’occasion en commission d’enquête dans l’affaire Benalla, c'est surtout la déposition de Monsieur Alain Gibelin, directeur de l’ordre public et de la circulation à la préfecture de police de Paris, qui a retenu toute mon attention.
Par prudence, je me suis toutefois référé à l'article du Monde (23.07.2018 à 21h05 , mis à jour le 24.07.2018 à 07h55) où j'ai trouvé confirmation des éléments qui m'avaient frappé. Je ne retiens ici naturellement que les points essentiels.
« Ce haut gradé, chargé entre autres de la gestion des opérations de maintien de l’ordre lors des grandes manifestations, affirme notamment qu’Alexandre Benalla, mis en examen pour avoir frappé et malmené deux manifestants le 1er-Mai à Paris, « ne bénéficiait d’aucune autorisation de la préfecture de police » pour se rendre à cette manifestation, et que l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron était présent à des réunions durant sa période de suspension. M. Benalla n’avait « aucune autorisation » de la préfecture de police.
Dans son propos introductif, M. Gibelin dit avoir été informé de la présence d’Alexandre Benalla sur le terrain, aux côtés des forces de l’ordre, lors de la manifestation du 1er-Mai seulement le lendemain de celle-ci, le 2 mai au matin. Comme MM. Collomb et Delpuech, il dit ne pas avoir été au courant de sa participation à la manifestation avant cela. Il dit aussi que c’est le chef d’état-major de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), Laurent Simonin, depuis mis en examen dans cette affaire, qui a donné l’autorisation à Alexandre Benalla.
Il a lui-même organisé la venue de M. Benalla sur la manifestation », a-t-il déclaré, en précisant qu’il avait, une quinzaine de jours plus tôt, rappelé personnellement à Alexandre Benalla, lors d’une réunion, les conditions d’autorisation de la venue d’un observateur auprès des forces de l’ordre – ce qui comprend, selon M. Gibelin, une autorisation directe de la préfecture de police, qui n’a pas été délivrée. « M. Benalla ne bénéficiait d’aucune autorisation pour être présent en tant qu’observateur sur cette manifestation », a confirmé M. Gibelin.
Simonin aurait également fourni le casque de protection à M. Benalla. « Je n’ai aucune idée de la provenance du matériel autre que ce casque », a-t-il ajouté, en référence au brassard et à la radio de police [ sans même parler de son "port d'arme" ] portés par Alexandre Benalla. »
Autre point de contestation :
"Les éléments de vidéosurveillance offerts de manière informelle à M. Benalla :
Alain Gibelin explique par ailleurs avoir été prévenu de l’article du Monde dès sa parution, le 18 juillet. Le lendemain, « le commissaire Maxence Creusat est venu me voir à 13 h 30, le visage défait, m’expliquant qu’il a fait selon ses mots “une grosse connerie” ». Il se serait déplacé, toujours selon M. Gibelin, auprès des services de vidéosurveillance de la préfecture pour vérifier la présence d’une vidéo des événements du 1er-Mai – celle-ci, selon M. Gibelin, « montre la situation de manière très générale, sans que l’on puisse identifier très précisément les faits qui nous préoccupent ».
Creusat aurait fait part de ce visionnage à M. Simonin, alors en congé en Normandie. « Laurent Simonin aurait alors contacté M. Benalla pour lui proposer de lui communiquer cette vidéo, à laquelle il n’avait pas vocation d’accéder », détaille Alain Gibelin. Ces échanges exécutés de manière informelle attestent, toujours selon le Directeur de l’ordre public et de la circulation à la préfecture de police de Paris, « le copinage malsain » évoqué plus tôt dans la journée par le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, lors de son audition devant la même commission.
[...]
« Laurent Simonin pensait que toutes les autorisations lui avaient été accordées, mais il n’y en a qu’une qui prévaut, celle du préfet de police », qui n’a pas été délivrée, a appuyé Alain Gibelin, en contradiction avec le communiqué transmis lundi par la défense de M. Benalla, dans lequel celui-ci déclarait s’être rendu à la manifestation sur invitation « de la DOPC de la préfecture de police de Paris ».
Ce qui fragilise encore davantage la version officielle, c’est la réponse donnée à Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national. M. Gibelin dit en effet avoir observé la présence d’Alexandre Benalla à des réunions avec ses services entre le 4 et le 19 mai, période pendant laquelle la suspension de l’adjoint du chef de cabinet évoquée par l’Elysée était en vigueur. « L’information de cette sanction ne nous a jamais été transmise », a-t-il déclaré.
On constate aisément à partir de la lecture de cet article qui reflète de façon précise et détaillée les propos de Monsieur Gibelin que le témoignage de ce dernier, bien plus autorisé par sa fonction même et bien plus précis dans son contenu, met à mal la version officielle actuelle qui n'a d'ailleurs pas été encore présentée et ne le sera sans doute que dans l'après-midi du 24 juillet 2018 par le Directeur du cabinet de notre Président.
Pour des raisons qui apparaîtront mieux dans la suite, il faut ici dire quelques mots à propos de ce dernier, Monsieur Patrick Strzoda. Après avoir quitté la préfecture de Corse, en avril 2016, il devient directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et sera directeur de cabinet du Premier ministre en décembre 2016, lorsque Bernard Cazeneuve accède à cette fonction. Il est ensuite nommé préfet de Paris, préfet de la région Île-de-France, avec une prise de fonction au 16 mai 2017 ; Patrick Strzoda n'exercera pas cette fonction en raison d’une nouvelle nomination en tant que directeur du cabinet du nouveau Président de la République, Emmanuel Macron, prenant effet le même jour.
L'essentiel est toutefois à venir : le 5 juillet 2018, Patrick Strzoda est admis par la limite d'âge à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 6 octobre 2018. Les choses se précipitent. Le 20 juillet 2018, il est entendu comme témoin dans l'enquête sur l'affaire Benalla. Il sera à nouveau entendu, cette fois par la Commission des lois de l’Assemblée nationale constituée en commission d’enquête dans l’affaire Benalla le 24 juillet 2018 à 16h30. Étant donné les témoignages précédents et en particulier celui d'Alain Gibelin, entendu la veille, l'audition sera sans doute mouvementée et risque fort de conduire le Directeur du cabinet du Président de la république à une démission ... qui somme toute arrangerait tout le monde, lui compris !