Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

1484 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 novembre 2017

Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

Affaire Arcopal : colombes, aigles et vautours ( suite ; n° 4 )

Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Affaire Arcopal : colombes, aigles et vautours ( suite ; n° 4 )

Voici venu le tour des "vautours" mais vous aurez déjà compris que, comme le geai qui, pour tromper son monde, peut essayer de se parer des plumes du paon, les vautours, vrais Fregolis du monde des oiseaux, peuvent chercher à passer pour des aigles ou même des colombes !

Les "vautours" sont, dans le lexique actuel de la finance ce qu'on nomme aussi, familièrement mais de façon plus précise et explicite, les "fonds vautours" (ou en anglo-américain "edge funds"). Ce sont, en termes plus clairs, des "fonds d'investissements spéculatifs" qui se spécialisent dans l'achat, à bas prix, de dettes émises par des débiteurs en difficulté ou proches du défaut de paiement ; qu'il s'agisse des dettes "souveraines" d'Etats ou de dettes d'entreprises commerciales ou industrielles, l'objectif de tels acheteurs est, dans  tous les cas, de réaliser une plus-value, soit lors de la phase de restructuration de la dette, soit en en refusant la restructuration et en obtenant par action en justice le remboursement de leur créance à une valeur proche de la valeur nominale...  plus les intérêts et d'éventuels arriérés de retard.

Dans les dernières années, les médias ont très fréquemment évoqué de telles affaires, sans toutefois, la plupart du temps en expliquer le mécanisme, ce qui me conduit à devoir le faire ici car ce n'est pas simple. Pour les Etats, le cas le plus connu est celui de l'Argentine. Les "fonds vautours" avaient racheté à très bas prix ( 20 % de sa valeur) la dette de l'Argentine lors de la crise économique connue par cet Etat dans les années 2000 (dette auprès de grandes banques occidentales) ; dans la suite, les Argentins ont refusé d'accepter la renégociation de cette dette. Les procédures judiciaires entre les "fonds vautours" et l'Argentine ont duré jusqu'en mars 2016, les premiers demandant un remboursement au plus près de la valeur nominale. Le président argentin Mauricio Macri,  a fini par accepter de verser 4,6 milliards de dollars et d’émettre 12,5 milliards de dollars (11 milliards d’euros) de dette pour solder ce que les juristes ont appelé le « contentieux du siècle ». C'était là le seul moyen pour l'Argentine de régler ce compte avec la justice américaine et de revenir sur les marchés internationaux, dont elle était bannie depuis 2001, faute d'avoir remboursé ses créanciers. Pour les fonds vautours, ce fut donc une très belle victoire. Ces "vautours" ont réalisé de juteux profits avec l'Argentine et gagné plus de 300% ! Ce fut également le cas, plus récemment, de la dette grecque. On risque donc de voir bien d'autres cas!

Dans le domaine industriel, ce cas fut celui du groupe Vivarte ;  La Halle, Kookaï, Naf Naf, Minelli, sont autant de marques qui, au début, appartiennent à Vivarte, un groupe de 17 000 salariés aujourd'hui dans la tourmente, la faute aux fonds d'investissement, les "fonds vautours" d'après les syndicats. Résumé : ils se revendent Vivarte depuis 12 ans. 2004 : rachat par le fonds français Pai Partners. Trois ans plus tard, revente à Charterhouse, à l'origine du fort endettement de Vivarte. 

Dans le cas de Vivarte,  les "vautours" ont emprunté sur son compte et payent les intérêts de l'emprunt, qui leur a déjà servi à acheter leur victime, avec les profits que cette dernière peut réaliser. Pour acquérir Vivarte , un fonds britannique a emprunté deux milliards d'euros, une dette transférée à Vivarte. Résultat, des intérêts annuels colossaux à payer à la banque. 2014 : de nouveaux  vautours américains arrivent et mettent en vente Kookaï et Chevignon notamment. Les syndicats crient au dépeçage. La direction de Vivarte se contente de dire qu'elle souhaite relancer l'activité au plus vite. Quant aux banques... 

Toujours la même ritournelle ! On commence à l'entendre à propos de Danone qui sera peut-être la prochaine cible et l’action Danone connaît des poussées de hausse spéculative. Le fonds Corvex Management détiendrait pour environ 340 millions d’euros d’actions de ce groupe agro-alimentaire français, soit 0,8 % de son capital. Le fonds américain juge en effet Danone  sous-évalué en Bourse. Il pourrait donc chercher à agréger d’autres actionnaires autour de lui, afin de contraindre son management à une gestion plus axée sur le cours de bourse, en prônant par exemple l’abandon des activités les moins rentables et des réductions de personnels. 

Mais revenons à Vivarte car on a dans ce cas la chance exceptionnelle de disposer des témoignages et des explications de dirigeants de cette entreprise sur les méthodes et les stratégies des "vautours" recueillis par Marie Viennot dans son "Billet économique"(www. France culture.fr, 02/ 11/ 2016," 22 000 salariés dans les mains des vautours de la finance". 03/11/2016," Pourquoi Vivarte ne fait pas la une de vos journaux..."). Ces articles sont du plus haut intérêt et je les citerai largement, le premier surtout, non sans vous inciter à les lire !

" Vivarte est le premier groupe d'habillement français : André, San Marina, Caroll, Kookai, Naf Naf, La Halle aux chaussures, etc... tout le monde connaît. Depuis 15 ans, l'entreprise est aux mains des financiers : investisseurs au départ, fonds vautours aujourd'hui. Dans l'indifférence générale.[...] Fini l'actionnariat familial, fini le nom André. L'entreprise alors florissante [ fondée en 1896 ] et qui a bien grandie est rachetée par des investisseurs, rebaptisée VIVARTE, puis revendue, puis rachetée, puis encore revendue. A chaque fois les acquéreurs auront un profil de plus en plus financier.

[...]

Généralement, il y a une séparation des rôles. Les actionnaires apportent l'argent et espèrent un retour sur investissement. Ils sont représentés au conseil d'administration, mais le conseil est censé voir à plus long terme dans l'intérêt du projet de l'entreprise. Pas chez Vivarte. Le conseil d'administration est dominé par des fonds que l'on peut appeler fonds de private equity, hedge funds ou encore fonds vautours. Des fonds américains essentiellement."

[...]

Les "fonds" qui ont investi dans Vivarte pratiquent à grande échelle le rachat de dette d'entreprises en difficulté. On les nomme vautours, car ils ont ensuite pour objectif d'en prendre le contrôle en transformant cette dette en capital, de rétablir la situation de l'entreprise, ou la liquider, récupérer leur mise (s'ils peuvent) et partir. C'est un business à part entière, on appelle ça le marché de la "distressed debt", la dette décotée.

[...] Première étape : identifier une entreprise très endettée, mais rentable ou potentiellement rentable. C'était le cas de Vivarte quand elle est passée aux mains de ces fonds vautours en 2014. Avant, l'entreprise appartenait à un groupe financier anglais Chartered House, qui l'avait acheté au prix fort via un LBO, un Leverage Buy Out, technique financière [ cf infra]. Quand elle a été achetée par Chartered House en 2007, Vivarte allait bien et surtout on était dans la période où les prix s'envolaient et les niveaux d'endettement concédés par les banques étaient au plus haut. Elle a donc été payée au prix fort. 3 milliards 200 millions d'euros. 

3 milliards 200 millions dont l'essentiel s'est retrouvé au passif de l'entreprise, dans sa dette (c'est ça le principe du LBO) [ Le "Leveraged Buy-Out", LBO, signifie « rachat avec effet de levier ». Il s’agit d’un montage financier visant à racheter une entreprise par le biais d'une société holding et d’un emprunt. Cette opération est utilisée dans le cas où les repreneurs disposent seulement d’une partie des fonds nécessaires et/ou ne souhaitent pas investir davantage.]. Une somme colossale, bien supérieure au chiffre d'affaires. En 2008, la crise plombe les ventes, des erreurs de stratégie et la concurrence féroce dans ce domaine n'arrangent rien. Et puis, il y a cette dette à rembourser chaque mois sur les cash-flows de l'entreprise (c'est à dire ce qu'elle peut dégager comme revenu).

En 2014, quasi faillite, la dette est décotée, et c'est là, deuxième étape, que les fonds vautours arrivent, rachètent la dette pour 800 millions d'euros, trois fois moins que ce qu'elle valait avant, s’immiscent dans le conseil d'administration, et commencent à dicter la stratégie à l'entreprise.

Dans le cas de Vivarte, loin d'aider l'entreprise, leur arrivée va encore plus la plomber. D'abord parce que les 800 millions qu'ils ont apportés ont eux aussi été intégrés au passif de l'entreprise, [ souligné par moi ] donc se sont rajoutés à la dette que Vivarte doit rembourser. Ensuite parce que ces "racheteurs de dette" ont injecté 500 millions dans l'entreprise, 500 millions qu'ils font aussi payer par l'entreprise à un taux d'intérêt de 11%! 11%. Un taux énorme. Du coup, en deux ans, la dette de l'entreprise est passée de 800 millions à 1,5 milliards d'euros. Spirale infernale... et pourtant Vivarte continue à être rentable sur certaines marques selon des documents que j'ai pu consulter.".

(La suite demain)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.