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Billet de blog 26 juillet 2018

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La chefferie de l'Elysée

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La chefferie de l'Elysée 

J'ai écouté, avec une attention sans cesse décroissante, les diverses prestations des membres de l'entourage élyséen devant les commissions parlementaires qui tentaient de trouver quelques lumières sur l'affaire "Benalla".

 Entre les numéros personnels des divers membres de ces commissions qui n'entendaient pas laisser passer pareilles occasions de passer à la télé, sans s'y mettre en valeur, tout cela a rapidement perdu de son intérêt dans la confusion des détails infimes comme dans les prudentes incertitudes des souvenirs, sans parler même des interdictions macroniennes d'entrer dans des détails aussi misérables et avérés que le logement de Monsieur Benalla au 11 du quai Branly (il n'y aurait jamais été, nous dit-on,  ce qui n'empêchait pas de donner lui-même cette adresse) ou le montant de son salaire mensuel (qui figure, a-t-on répondu, dans le rapport de la Cour des Comptes). 

Pour ce qui me concerne la seule chose que j'ai retenue de l'exposé de Monsieur Alexis Kohler, Secrétaire Général de l'Élysée, tient aux variations curieuses de son débit ;  tantôt aisé et même rapide quand l'insignifiance des questions posées le mettait à l'aise et lui permettait de débiter des formules souvent répétées ou inscrites dans les éléments de langage arrêtés avec les conseillers du Président de la République, tantôt lent, voire embarrassé et hésitant, quand il se trouvait attiré sur des terrains moins familiers ou plus risqués. 

Toutefois, ce qui m'a le plus frappé dans son discours, tient moins à son débit qu'à usage, inattendu et immodéré, qu'il a fait, à quatre reprises au moins  sinon davantage, de l'étrange terme « chefferie » sur lequel j'ai sur le moment bronché ! Je n'avais pas un instant imaginé en effet entendre user de ce mot par un personnel élyséen du plus haut niveau.

En effet, ce terme, dont je croyais l'usage réservé à l'anthropologie sociale ou, au pire, à l'administration coloniale, est pour le moins étrange dans un tel contexte, même si les « chefs » n'y sont pas inconnus, et cela d'autant que nous venions d'en entendre un dans cette même instance (le « chef de cabinet" de l'Élysée interrogé la veille même !). Les anthropologues définissent ainsi ce terme : « Dans la diversité effective des degrés et des types d'organisation du pouvoir politique, la chefferie représente une formule qui s'est imposée à l'observateur des sociétés traditionnelles, en dépit de la part d'arbitraire ou d'ambiguïté qu'elle comporte, en Océanie, mais aussi en Afrique. ». 

Notre Président ayant plus volontiers recours pour la rédaction de ses discours et de ses interventions, aux «archicubes » qu'aux « Sciences-po », je me permettrai de fournir ici à ses conseillers (en rédaction comme encommunication, l'un n'allant pas sans l'autre) quelques éléments de lexicographie qui devraient leur être utiles. 

Littré, qui note le terme, le définit ainsi : "chefferie (chè-fe-rie) s. f. Circonscription dans laquelle un officier du génie exerce ses fonctions". On trouve aussi dans une autre édition : "chefferie (nom féminin). En Afrique, fonction d‘ un chef de tribu. Territoire qui est placé sous l'autorité de ce chef.Anthropologie Terme désignant une autorité à la fois politique et religieuse. Autrefois, circonscription territoriale qui dépendait d'un officier du génie. Endroit où résidait cet officier." 

Le Dictionnaire de l'académie française (8ème édition) donne : "chefferie, n.f. [Administration] Division du territoire placée sous les ordres d'un commandant du génie ou d'un inspecteur des forêts.Il se dit aussi des Bureaux de ce commandement". 

Si Alexis Kohler a usé à plusieurs reprises de ce terme « chefferie » dans son intervention orale, le mot doit être dans l'usage ordinaire de la haute administration de l'Élysée puisqu'on le trouve aussi dans l'article paru dans Mediapart le 25 juillet 2018, dans lequel Karl Laske note : « Le général Bio-Farina a expliqué l’état d’avancement de ce projet, qui vise à chapeauter par une seule direction le commandement militaire et le GSPR. « Ce projet était piloté par Patrick Strzoda dans son concept global et par moi-même sur le plan applicatif, a-t-il résumé. Alexandre Benalla y participait à titre consultatif. Il était la chefferiesouligné par moi ] de cabinet, il portait une parole assez pertinente. » 

L'usage d'un tel terme paraît d'autant plus étrange dans ce contexte qu'il a, en outre, comme on l'a vu, une connotation nettement coloniale , ce qui rend  son usage et plus encore la fréquence de cet usage tout à fait étranges. Dans le contexte actuel, des esprits malveillants ne manqueront pas de voir, dans l'étonnante vogue de ce terme parmi les proches de notre Président, la preuve éclatante d'un inconscient culte du chef !

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