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Billet de blog 27 juillet 2018

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Benalla et la démocratie

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Benalla et la démocratie

Cette affaire Benalla tourne de plus en plus au ridicule et n'a pour seul mérite que d'illustrer le fonctionnement de cette belle démocratie dont nous sommes si fiers et que nous voudrions imposer au monde entier. Ce n'est pas très nouveau, me direz-vous, puisque nous attribuons  aussi à notre pays la paternité des droits de l'homme, la retirant ainsi à nos voisins britanniques qui pourtant nous ont largement précédé dans cette voie ; l'ont prouvé les multiples exils outre-Manche choisis, non sans bon sens, par nombre de nos philosophes ! Les Français sont réputés pour ignorer la géographie, ils ne sont pas bien plus forts en histoire même s'ils associent curieusement dans leur système éducatif ces deux sciences pourtant si différentes.

Notre commission d'enquête parlementaire (celle de nos députés en tout cas, celle des sénateurs étant plus calme en raison de son âge moyen et de son orientation politique) vient d'exploser, en raison surtout du différend permanent entre ses deux rapporteurs (LR et "LREM") ! Cela n'est pas très grave puisque, du côté des personnalités interrogées (élyséennes ou ministérielles), elle ne recevait que des amnésiques ou des témoins bridés par les interdictions formulées préalablement par le Président de la République.

Imaginerait-on pareille procédure de censure, en outre étalée au grand jour, invoquée devant le juge fédéral par un fonctionnaire de la Maison-Blanche ou même le Président des États-Unis. Ce pauvre imbécile de Nixon, dans l'affaire du Watergate, n'a pas eu l'idée d'invoquer cette excuse pour ne pas répondre et s'est trouvé réduit à mentir (sous serment)  ce qui a entraîné son éviction du pouvoir par la procédure d'Impeachment. 

On nous a fait ainsi entendre des tas  de guignols en omettant de convoquer, outre Alexandre Benalla lui-même, le "major" de gendarmerie (j'ai oublié son nom vaguement polonais d'apparence) qui était chargé de cornaquer le faux flic (officiellement muni de tous les instruments de son imposture) et qui était assurément, dans cette affaire, le meilleur et le plus sûr des témoins ! Mais laissons tout cela car l'enlisement de cette affaire, prévisible dès le départ, a déjà commencé et s'enlisera définitivement dans les deux motions de censure qui ne seront qu'une pitrerie de plus.

Plus intéressante quoique peu probable, était la perspective de voir les commissions d'enquête parlementaires entendre celui que Paul  Cassia dans un fort intéressant et très informé article de Mediapart (25 juillet 2018), nomme joliment, surtout après le discours présidentiel de la Maison de l'Amérique latine « L'irresponsable de l'Élysée ». Précisons sur ce point mais on l'aura deviné après lecture de son texte, que Monsieur Paul Cassia est professeur agrégé des Facultés de droit et enseignant de droit public à l'université Panthéon-Sorbonne. 

Le texte de cet article, fort érudit on le devine, est très long et je me garderai d'en reproduire, ne serait-ce que des extraits et moins encore d'en discuter le fonds. Pour avoir autrefois présidé une université pluridisciplinaire où figuraient bon nombre de collègues juristes, je ne doute pas que notre Président de la République pourrait aisément trouver (éventuellement en joignant à sa demande la perspective d'un poste de conseiller) bon nombre de constitutionnalistes susceptibles de développer une argumentation inverse. La science juridique, si l'on accepte cet oxymore auquel je préférerais personnellement "l'érudition en matière juridique", n'est pas une science sinon « exacte » du moins « dure », encore que pour avoir écouté Alain Connes j'en viens même à douter que les mathématiques en soit une ! 

Le début de l'article de Paul Cassia pose parfaitement le problème : « S’il est impossible « d’aller chercher » le président de la République, ses collaborateurs sont tenus de déférer aux convocations des commissions d’enquête parlementaires. Elles disposent de pouvoirs d’investigation sur l’organisation interne à l’Elysée, sous certaines réserves.

« Le seul responsable, c’est moi. Qu’ils viennent me chercher. On ne peut pas être chef par beau temps et se soustraire par temps difficile ». Ainsi s’est exprimé le 24 juillet 2018, depuis la Maison de l’Amérique Latine à Paris, un Président de la République médiatiquement muet à compter de la révélation le 18 juillet dernier de l’affaire « Benalla/Macron », qu’il convient donc désormais d’appeler par son vrai nom – « l’affaire Macron » – puisqu’il est « seul responsable ». 

Cette nouvelle provocation – la pire des réactions à une grave crise institutionnelle qu’elle ne peut qu’alimenter – est déplacée à quatre égards.

Humainement, la prononcer devant le public tout acquis de membres du gouvernement et des parlementaires La République en marche (parmi lesquels le Président de l'Assemblée nationale) quand on est Président de tous les Français, est un signe de faiblesse pour celui qui s’est réfugié dans les palais officiels depuis une semaine désormais, au point d’annuler la participation à une étape du Tour de France qui devait avoir lieu aujourd'hui.

Politiquement, si le Président de la République se considère « responsable », il devrait en tirer les conséquences conformément à ses engagements de campagne sur l’exemplarité, et démissionner plutôt que de se prévaloir de sa propre turpitude.

Moralement, il ne lui est lui plus possible de prôner une République exemplaire et la lutte contre les conflits d’intérêts quand il cajole le soir « ses » parlementaires réunis le jour en commission d’enquête autour des activités de son cabinet. 

Constitutionnellement, personne ne peut « aller chercher » un Président de la République qui, s’il avait du courage, aurait demandé à être auditionné par les parlementaires dans le cadre de « son » affaire. 

Le président de la République, contrairement à ses dires, se « soustrait » à ses responsabilités : il sert de paratonnerre pour couvrir « ses »fonctionnaires, « ses » ministres et « ses » collaborateurs défaillants, tout en n’ayant rien à craindre de la foudre…

Oui, Alexandre Benalla est symptomatique d’une « dérive individuelle » ainsi que l’a dit le Premier ministre le 24 juillet 2018 à l’Assemblée nationale : c’est celle du Président de la République, celui-là même qui, il y a deux ans, fustigeait « l’outrance, la procrastination et le déni du réel » de ces prédécesseurs. 

Pour en rester de manière dépassionnée – cela devient de plus en plus difficile – sur l’aride terrain juridique, deux questions d’ordre constitutionnel se sont posées : le Président de la République peut-il être auditionné par les Commissions des Lois de l’Assemblée nationale et du Sénat constituées en commissions d’enquête ? Plus largement, quel peut, au regard de l’inviolabilité constitutionnelle du Président de la République, être le champ d’investigation personnel et matériel de ces commissions ?

Diverses opinions universitaires et parlementaires se sont exprimées (v. Anthony Cortes, « Affaire Benalla : Macron peut-il être convoqué par une commission d’enquête ? », Marianne.fr 24 juillet 2018 ; « Macron devant une commission d’enquête ? Les constitutionnalistes partagés », AFP 24 juillet 2018 ; Jean-Philippe Derosier, « Ceci n’est pas une affaire d’Etat », La constitution décodée, 23 juillet 2018 ; Pauline Mouillaud, « Macron peut-il être entendu par l'Assemblée dans le cadre de l'affaire Benalla », Libération.fr, 23 juillet 2018), dont il ressort que… personne n’est d’accord, pour des raisons politiques et/ou juridiques.C’est que ces questions n’appellent pas de réponse simple. ».

Cet extrait de l'article en cause et qui en constitue l'introduction résume parfaitement le problème et pourrait même dispenser de la lecture de la suite (très longue, très technique et très argumentée) qui n'est guère accessible par ses références qu'à des juristes confirmés. Je m'en tiendrai donc là, en renvoyant les lecteur(e)s éventuel(le)s de ce blog au texte de P. Cassia. 

Le seul constat que je puis faire est celui des claires insuffisances de notre démocratie ou plus précisément de notre Constitution puisqu'il semble dans les projets de notre Président de la modifier. Même s'il dispose actuellement au Palais-Bourbon d'une large majorité, il est à craindre qu'un certain nombre de ses sectateurs (ne parlons pas ici du Sénat dans les sentiments sont clairs) ne le suivent pas dans la réduction du tiers du nombre de parlementaires, même si cette mesure paraît de bon sens. Cette affaire, certes de façon marginale, illustre aussi une bonne vieille constante française qui est que, si nous sommes sans doute les recordmen (oublions un instant l'écriture à la mode) du monde pour le nombre des lois, nous le sommes aussi pour la proportion d'entre elles qui ne sont jamais appliquées (en la circonstance pour ce qui concerne en particulier les chargés de mission élyséens). En la matière on constate chaque jour que bon nombre de nos lois ne sont pas appliquées mais on oublie en outre que bon nombre d'entre elles ne peuvent l'être... en raison du défaut de décrets d'application ! Mais qui va s'intéresser à de pareils détails !

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