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Billet de blog 28 décembre 2017

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Les "détricoteuses" (suite et fin)

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Les "Détricoteuses" (suite et fin)

Les "détricoteuses" sont très en faveur auprès de Mediapart, ce que l'on comprend aisément à les lire ! En dépit de quelques partis pris et de présentations des faits qui sont un peu trop systématiquement à charge,  rien à dire tant qu'elles s'en tiennent aux domaines qui leur sont familiers, l'histoire et la littérature françaises. En revanche les choses tournent mal à partir du moment où elles abordent un sujet qui leur paraît pourtant favorable a priori : les créoles, le plus souvent dits « français », qui sont apparus à partir des débuts de la colonisation française des Antilles et de l'océan Indien ; c’est là le début même des erreurs et des errances de nos trois auteures, qui vont voir dans ces créoles français des langues qu'elles qualifieront imprudemment de « métisses » et dont elles vont, sans qu’on sache trop pourquoi, vouloir tirer argument dans leurs combats !. 

Je ne veux pas m'étendre ici sur un sujet qui m'est familier depuis quatre décennies : ma thèse d'État qui porte largement sur cette question date, hélas, de 1972 : je suis très souvent revenu depuis sur cette question, sans avoir trouvé de véritable opposition théorique forte à ce propos ; seuls quelques « substratomaniaques » veulent absolument voir, sans aucun fondement, dans les créoles français des langues mixtes franco-quelque chose, (le plus souvent africain) ; ils sont fort heureusement, de plus en plus rares, à soutenir de telles théories, à l'égard desquelles nos trois auteures auraient bien dû faire preuve de la même prudence qu'elle montre dans les domaines dont elles sont infiniment plus familières. 

J'ai moi-même présidé pendant plus de trente ans le « Comité international des études créoles » et je n'y ai jamais rencontré de chercheurs de quelque réputation qui y soutiennent pareille hypothèse. Pour faire court et simple, je renvoie au plus ancien de mes ouvrages qui expose mon point de vue et qui est facilement accessible : R. Chaudenson, Des îles, des hommes, des langues. Langues créoles, cultures créoles, Paris, l'Harmattan, 1992, 309 pages ;  ISBN : 2-7384-1653-5; EAN13 : 9782738416537 ; EAN PDF : 9782296273245.  

L'hypothèse générale que nos auteures ont présentée et qui était d'ailleurs une cerise (inutile d’ailleurs et, en la circonstance, très fâcheuse) sur le gâteau de leur point de vue, concerne  la créolisation et est tout aussi infondée et inexacte ; dans toute la fin  de ce débat, elles ont donc accumulé, de ce fait, les erreurs, comme à plaisir.    

Je ne suis pas assez cruel pour ici entrer dans un détail inutile et je ne veux pas tirer sur une ambulance ; ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple très significatif, elles ignorent ou ont oublié que le fameux « Code noir » (1685) qu'elles ont évoqué (un instant, me semble-t-il, car je n'ai pas trouvé le texte de leur intervention)  a été largement rédigé à partir des usages courants de l'esclavage africain lui-même qui existait bien avant l'arrivée des premiers Français en quête d'esclaves pour leurs colonies (à la suite de l’échec de la tentative d’introduction d’« engagés » français) et qui se poursuivra bien après, puisqu’il existe même encore ! 

Ce détail souligne un point capital que beaucoup oublient, volontairement ou non. Il tient à ce que l'esclavage français (et plus généralement européen, car les Portugais en particulier nous ont précédé sur les côtes africaines occidentales) n'est que le troisième, sur le plan chronologique, après celui des Africains eux-mêmes, puis celui des Arabes (sur la côte orientale surtout). Les Français, à leur arrivée, n'ont donc pas eu à poursuivre pour les capturer, comme beaucoup l’imaginent, les Africains dans la savane pour les faire monter à bord des vaisseaux négriers. D'autres Africains, amenaient, en effet, en des lieux déterminés et convenus, au pied des vaisseaux négriers, des caravanes d'Africains esclaves qu'on a eu qu'à transporter dans les colonies, le risque majeur étant celui de les voir périr au cours de la traversée ! 

Notre Code noir reprit donc nombre d'usages habituels dans l'esclavage africain lui-même où, ainsi,  il était établi que l'esclave adopte la langue de son nouveau maître, quelle que soit la sienne, les esclaves eux-mêmes ne pouvant d'ailleurs guère communiquer entre eux, en raison de la grande diversité des langues de ces esclaves comme de leurs origines ethniques. 

Les créoles sont eux-mêmes situés à des distances interlinguistiques différentes par rapport au français (mais de quel français parle-t-on ?), le plus éloigné du français étant incontestablement l'haïtien et les plus proches le louisianais ancien (qui a presque disparu) et les créoles de l'océan Indien, (mais on doit pas oublier les évolutions mêmes de ces parlers). Ce sont là des éléments qui seraient peut-être plus intéressants à considérer de la part de nos trois  auteures que les chimères et les erreurs auxquelles elles se sont plutôt attachées.

Il faut en effet prendre en considération que les variétés populaires et régionales des français du XVIIe siècle qui n'étaient en rien notre français ordinaire et que cet élément ne doit jamais être perdu de vue dans l'analyse comparée du français et des créoles.

Une seule illustration de ce point car elle est amusante pour des pays où l'on a cultivé le café et d’où il est même venu. Dans la plupart des créoles français, le nom du « filtre à café » dans beaucoup de créoles des deux zones (le vieux filtre de tissu « ante-nexpressien » qui était souvent une chaussette !) est issu du français "grègue" que nous ne connaissons plus guère avec ce sens, mais plutôt dans la signification et l’usage du français classique, désormais inconnu de tous (ou presque). Le mot « chaussette », contrairement à ce qu’on pourrait croire, est relativement récent (Acad. 1694). J’ai étudié en détail l’origine de ce terme (en français comme dans les créoles français ; cf. R. Chaudenson, Le lexique du parler créole de la Réunion, Paris, Honoré Champion, 2 volumes, 1249 pages, T. 2, pp.778-779) ; le sens de « grègue : cafetière filtrante » est bien attesté à date ancienne en Bretagne, de Brest à Nantes !

Nous ne connaissons plus ce mot « grègue » (le cas échéant) que par un tout autre usage, classique lui ; même si  l’usage est différent, l'objet est le même ; le bon La Fontaine nous l’offre dans  sa fable "Le coq et le renard" : 

"Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire :

Nous nous réjouirons du succès de l’affaire

Une autre fois. Le galant aussitôt

Tire ses grègues, gagne au haut, [tirer ses grègues : s’en aller, s’enfuir]

Mal content de son stratagème. ».

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