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Billet de blog 29 septembre 2016

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Les causes du peuple

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est décidément un marrant ce Patrick Buisson avec le titre de son dernier livre sur Sarko « La cause du peuple » ! Hélas pour lui toutefois ! Après avoir vaguement parcouru la plupart des articles qui ont été consacrés à cette publication et entendu bon nombre de journalistes en parler, force m'est de constater que nul ne semble;;  s'apercevoir de sa plaisanterie ; aussi faut-il faire que je m'y colle pour quelques rappels autour de ce titre inattendu.

 La Cause du peuple est en effet un titre qui a pas mal servi dans nos écrits politiques où il fut, en particulier, le nom de plusieurs journaux avant d'être celui d'un livre.

Pour remonter aux origines, illustres vous allez le voir, la Cause du peuple est un journal créé par George Sand en 1848 durant la brève révolution parisienne.  Cette publication n'a connu que trois numéros et son nom est tombé dans l'oubli.

La deuxième Cause du peuple paraît, cent vingt ans plus tard,  durant deux périodes successives pendant 10 ans (de 1968 à 1978), son origine étant là aussi liée à des mouvements quasi insurrectionnels. C'est en effet le 1er mai 1968 que Roland Castro crée la Cause du peuple, "organe de la gauche prolétarienne". En mai 1970 Jean-Paul Sartre devient le directeur de publication de ce journal qui ne cessera d'être l'objet de multiples interdictions en raison de son soutien inconditionnel à toutes les révoltes, les grèves, les occupations d'usines, les séquestrations, etc. ; la Cause du peuple est "pour tour ce qui est contre et contre tout ce qui est pour" ! Le gouvernement, tout en l'accablant de poutsuite et de sanctions, n'ose pas trop s'en prendre à Sartre lui même qu'on photographie et qu'on filme pourtant en train de vendre le journal dans la rue ! On connaît la célèbre phrase du général De Gaulle, à ce propos : « On ne met pas Voltaire en prison »). 

Le journal fusionne ensuite avec J'accuse et le premier numéro de La Cause du peuple – J'accuse paraît le 24 mai 1971 toujours avec Jean-Paul Sartre comme directeur de publication. Quarante huit numéros paraîtront jusqu'au 13 septembre 1973. Le quotidien actuel Libération (dans sa première manière bien entendu!) est directement issu de la période 1968-1972.

Une nouvelle et dernière série paraîtra à partir de novembre 1974 avec Daniel Gréaume comme directeur de publication. Après onze numéros, en septembre 1976, il est remplacé par Solange Creton jusqu'au dernier numéro de février 1978.

Fin 1971, La Cause du peuple s’est engagée dans le domaine du fait divers avec le fameuse affaire de Bruay-en-Artois, en décidant de mettre ce drame au service de l’idéologie du mouvement. La caution de Sartre, ainsi que de celle d'Althusser, tiennent alors un grand rôle dans le maintien de l’audience du journal. Cette stratégie ambiguë s’est toutefois finalement retournée en partie contre le journal.

Le 6 avril 1972, sur un terrain vague de Bruay-en-Artois, on avait retrouvé le corps d'une adolescente Brigitte Dewevre, Serge July, un journaliste de La Cause du peuple, Joseph Tournel (ancien mineur, président du Comité pour la Vérité et la Justice créé à cette occasion) et François Ewald, un professeur de philosophie, avaient alors lancé une campagne médiatique contre Pierre Leroy, un notaire soupçonné (à tort finalement) d'être l'assassin ou l'instigateur du crime.

Plusieurs dirigeants de la Gauche prolétarienne, dont André Glucksmann, s'élèvent toutefois contre cette campagne et Sartre lui-même exprime son désaccord dans les colonnes du journal ; celui-ci leur répond dans le même numéro : « Pour renverser l'autorité de la classe bourgeoise, la population humiliée aura raison d'installer une brève période de terreur et d'attenter à la personne d'une poignée d'individus méprisables, haïs ». 

À la suite de ces conflits internes qui annoncent la fin du journal, Benny Levy (Pierre Victor) secrétaire personnel de Jean-Paul Sartre à la fin de sa vie, mais aussi véritable dirigeant de la Gauche prolétarienne, demande à Serge July de s'occuper du nouveau quotidien. Libération dont Sartre sera le premier directeur de publication ; Serge July lui succède en 1980 et ouvre  dans la suite les pages de Libération à la publicité, rompant ainsi définitivement avec les principes éditoriaux de La Cause du peuple qui en verront bien d'autres dans la suite !

Même si les allusions aux précédentes Causes du peuple semblent ne pas avoir été perçues par l'immense majorité des commentateurs, on ne peut que goûter l'humour de Patrick Buisson qui, homme de culture, lui, s'est, en toute connaissance de cause, rangé, du moins par le titre de son dernier livre, aux côtés de Sartre et Léo Ferré !

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