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Billet de blog 29 octobre 2015

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Philippe Torreton dans Othello ? More de rire !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Franchement la vie de blogueur est pleine de surprises ! Comme le suggère ce titre, je pensais me distraire et même m'amuser en rédigeant le présent blog, après avoir lu, ici ou là, quelques-unes des réactions que suscite le projet de Luc Bondy de donner à Philippe Torreton le rôle d'Othello du « More » de Venise » (Othello, the Moor of Venice) dans son projet de mettre en scène cette pièce à l’Odéon pour le début de 2016.

Hélas au moment de me mettre à l'ouvrage, j'ai eu la faiblesse (toujours les malices du hasard !) de tomber, dans le cercle très fermé des distingués "invités de Mediapart", sur la « Lettre ouverte à la ministre de la culture de la culture : Blackface Torreton » dont, en vous laissant le soin de lire le reste, je vous reproduis ici la présentation : «  Matthieu Niango, normalien, agrégé de philosophie [cet auteur, après avoir « conseillé » B. Delanoé et N. Brick, fut un moment « conseiller « Etudes et prospective » de Benoit Hamon » et semble préférer le « conseil » à l’enseignement] avec Guillaume Johnson, chercheur au CNRS et spécialiste des questions raciales interpellent la ministre de la culture à propos de la décision du théâtre de l'Odéon de faire jouer le personnage d'Othello par Philippe Torreton. « Il ne doit pas jouer Othello, parce que les grands rôles du répertoire classique, où des acteurs racisés peuvent démontrer au monde toute leur valeur, sont beaucoup trop rares [...] ». 

Je ne vous inflige pas ici la reproduction de cette lettre qui, au fond, ne démontre rien d'autre que le fait, dont je me doutais un peu que l'École normale supérieure et l'agrégation de philosophie ne sont plus ce qu'elles étaient et que le CNRS reste ce qu'il a toujours été ! Toutefois cette lecture m'a non seulement retardé et incité à la prudence, mais elle m’a même conduit à parcourir, rapidement j'en conviens les 56 commentaires qu’avaient suscités alors cette « lettre ouverte », dans la crainte (qui s'est révélée infondée), que quelque commentateur ait déjà tenu les propos que j'envisageais moi-même. Il n'en a rien été et m’ayant pas trouvé la moindre allusion à ce que je voulais dire de cette affaire, je suis donc revenu à mon projet initial. Vu que ce blog risque d'être long, je vous ferai grâce d'autres textes, souvent répétitifs, que j'ai pu lire à ce propos, en faisant toutefois un sort un peu particulier à deux d’entre eux.

L'un est déjà un peu ancien ; il est paru dans Jeune Afrique (31 juillet 2015) publié par Séverine Kodjo-Grandvaux dans le patronyme indique aussi l'africanité.

«  À l'Odéon, c'est Philippe Torreton, un comédien blanc qui jouera le rôle du Maure [du « More » comme on l’a vu ; nous reviendrons sur ce point] de Venise. Pourquoi pas ? Mais les raisons avancées pour ce choix sont, elles, plus douteuses.

On se souvient d’un William Nadylam, sublime Rodrigue [forcément sublime !], dans la Cour d’honneur du palais des Papes, premier acteur à oser jouer Le Cid au Festival d’Avignon quarante-sept ans après Gérard Philipe, en 1998. Premier Rodrigue noir, également, de l’histoire du théâtre français.

Dix-sept ans plus tard, Luc Bondy inverse les rôles et confie, du 28 janvier au 23 avril prochain, à Philippe Torreton, l’un des plus beaux rôles de Noir du théâtre classique : Othello. Posture postraciale à la Peter Brook [sans doute à cause du caractère multiracial de sa troupe]? Volonté de ne pas enfermer les identités dans une couleur de peau et d’universaliser le propos théâtral ? On aurait aimé le croire…

À l’heure où les acteurs français non blancs peinent à trouver des rôles à la hauteur de leur talent et où Fleur Pellerin, la ministre de la Culture, a entamé une réflexion sur la représentation de la « diversité » dans la création française, rien n’est moins sûr… La nouvelle a déjà fait réagir certains artistes afro-descendants. Pour la metteuse en scène Eva Doumbia, « ce qui pose problème, ce n’est pas qu’Othello soit blanc. Dans une France idéale, n’importe qui pourrait jouer n’importe quel personnage. Mais ce choix, par la justification qui en est faite, se révèle être un geste politique qui refuse le multiculturalisme de la société française. ». 

More de rire !

Le deuxième texte que je voudrais évoquer, sans le citer toutefois dans son intégralité car il est fort long et vous en avez la référence précise, s’intitule « Othello joué par un Blanc : le théâtre français est-il raciste ? » et a été publié par Françoise Alexander (Le Monde, le 16.10.2015 à 12h30 ; mis à jour le 20.10.2015 à 11h20). Cet article commence ainsi et le ton est donné d’emblée : 

« Parmi la centaine de directeurs de théâtres, de scènes, de centres dramatiques nationaux ou régionaux qui animent la vie culturelle de l’Hexagone, pas un seul n’est noir, métis, arabe ou asiatique. En France, la culture serait-elle une affaire de Blancs ? La question, qui peut paraître abrupte, mérite d’être posée. Notons deux exceptions : la scène nationale L’Artchipel de la Guadeloupe, qui a été confiée au Français d’origine béninoise José Pliya, et le Centre dramatique de l’océan Indien, à Lolita Monga. […] Les explications de Luc Bondy sur son choix de Ph. Torreton pour le rôle d’Othello ont fait réagir Sylvie Chalaye, anthropologue des représentations coloniales, spécialiste des dramaturgies afro-caribéennes. « Les vrais enjeux de l’œuvre convoquent justement la question noire et il paraît d’autant plus difficile de l’atteindre sans s’y confronter, estime-t-elle. Quel problème pose le rôle-titre si l’on joue la carte “réaliste” et que l’on distribue un acteur noir ? » Et d’ajouter : « Rares sont les pièces qui construisent leur tension dramatique sur la couleur de peau du héros. C’est le cas d’“Othello”. (…) C’est la tragédie de l’esclave, même après son affranchissement. Mais ce n’est pas la lecture que l’on fait aujourd’hui de la pièce. On veut y voir une autre tragédie et on occulte l’origine africaine d’Othello et son histoire d’esclavage pour ne retenir qu’une pièce sur la jalousie. On s’autorise toutes sortes d’interprétations pour justifier le fait de distribuer un Blanc dans le rôle. Il y a bien peu de héros afro-descendants dans le répertoire occidental. Othello est un personnage exceptionnel et voilà que les acteurs qui ont la couleur pour le jouer sont écartés, en particulier quand il s’agit d’une production du théâtre subventionné. Difficile de ne pas s’indigner et de ne pas y voir une volonté de nier le talent des acteurs noirs de France. »

Et Françoise Alexander poursuit : « Si l’on en croit la professeure et directrice de recherche à Paris 3-Sorbonne nouvelle, le problème est double. De la même manière que certains metteurs en scène ne parviendraient pas à oublier la couleur de peau des acteurs noirs et à sortir du « phénomène d’exhibition, comme s’ils restaient encore aujourd’hui sidérés par la réalité physique des acteurs noirs », la société française n’arrive pas à « se penser polychrome » et enfermerait les Noirs dans des « archétypes hérités de l’imaginaire colonial qui se sont solidement enkystés dans les esprits grâce à l’industrie du spectacle et de la publicité. ». ».

Vous vous doutez que je n’ai ni le talent, ni le savoir ni l’audace qui me permettraient de songer à rompre des lances avec une « professeure et directrice de recherche à Paris 3-Sorbonne nouvelle » ; je me bornerai ici à quelques remarques qui sont de mon modeste domaine de compétence , le texte et la langue!

Si tout semble indiquer, de l'avis quasi unanime, que les Français sont racistes et  Luc Bondy comme les autres, voire plus puisqu’il donne à un Blanc le rôle d’un Noir! Les Vénitiens d’autrefois l’étaient, de toute évidence, bien moins que nous puisque, Othello, tout « More » qu'il est, un « général vénitien » et que c'est à lui qu'on confie la mission essentielle d'affronter la flotte ottomane, ce qui est tout de même bien autre  chose que de se voir confier un rôle dans une pièce de théâtre! En effet, rappelons-le ou révélons-le à ces critiques, au premier acte, Othello se voit  chargé par le Doge d’aller défendre Chypre contre les Ottomans et sa femme Desdémone, dont on vient d'apprendre le mariage secret (mais non consommé) avec Othello l'accompagnera dans cette expédition. 

Faute d’avoir bien lu le texte ou de connaître le sens et l’emploi du terme « More », tous ces commentateurs ne cessent de voir Othello et de le désigner comme un « mélanoderme » (je n’ose dire un « nègre » dans la crainte de me voir traiter de raciste, voire trainer en justice par le CRAN ou la LICRA). Il est inutile de recenser dans les textes cités toutes les preuves de cette  lecture : « l’un des plus beaux rôles de Noir du théâtre classique »  [ le gras (j’allais dire le « noircissement »),  est ici partout de mon fait] ; C’est la tragédie de l’esclave, même après son affranchissement ; occulte l’origine africaine d’Othello et son histoire d’esclavage ; héros enfermerait les Noirs dans des « archétypes hérités de l’imaginaire colonial ». J’en reste là car je n’ai nulle intention de constituer un « bêtisier » exhaustif » !

Vous avez déjà deviné que mon carquois contient une flèche fatale, bien pire que celle du Parthe : même si ces auteurs ne le savent pas (vous aurez noté que plusieurs d’entre eux sont des « afro-descendants » à en juger par leurs patronymes),  autant vous le confirmer  tout de suite : Othello, tout « More » qu'il est n'est pas noir!

C'est là que je dois passer du terrain littéraire, au domaine lexical. Je n'ai pas relevé, dans les textes que j'ai cités, le fait devenu courant qu'on écrit partout « maure » et non « more » ; il y a là un élément de datation qui n'est pas inintéressant et montre une « modernisation » du mot ; je la  passe volontiers sous silence, puisque les Français, dans le parler « ordinaire » de beaucoup d’entre eux, ne font guère la différence au plan phonétique entre les deux « o » (ouvert et fermé). 

L'évolution sémantique du terme, récente, rare et d’ailleurs abusive, est confirmée par Littré qui ne donne qu’en toute fin l'article (et ce classement est repris par le Trésor de la langue française) la mention « nom donné au nègre même ». Il est amusant de constater, au passage que le « général vénitien » Othello, un « More », va affronter la flotte ottomane (donc « turque ») confirmant par là, sans le vouloir bien entendu, la vieille expression française qui caractérisait des relations difficile voire l’hostilité traditionnelle et même séculaire entre ces deux peuples de la Méditerranée et que marque la formule « de Turc à More ». (TLF : Traiter qqn de turc à maure. Traiter quelqu'un avec dureté. Qu'est-ce que vous avez donc eu ensemble? (...) Je remarque souvent qu'elle [ma fille] te traite de Turc à Maure, mon garçon (FEUILLET, Scènes et com., 1854, p.97)). ».

En un mot et pour faire simple, un « More » est, pour suivre, tout bêtement et logiquement, le début de l’article du TLF , un « subst. masc. et adj. ; vieilli. Habitant arabo-berbère du nord de l'Afrique. Un Maure se lavait les pieds dans la fontaine qui est au milieu; un autre se lavait accroupi sur le bord (DELACROIX, Journal, 1832, p.123).). Othello est donc, comme les Berbères et les Arabes, un « sémite » (je ne dirai pas un « Blanc » pour ne pas retomber dans de récentes et vaines querelles) et nullement un « mélanoderme » et moins encore, bien entendu,  un « afro-descendant d’esclave », ce qui ajoute sur le gros gâteau de l’erreur anthropologique la cerise d’une aberration historique ! More de rire !

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