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Billet de blog 30 mars 2018

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De la F/francophonie (3)

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De la F/francophonie (3)

  • De l’AGECOP à l’OIF

L’attention que je porte depuis très longtemps à la francophonie africaine m’a conduit à examiner de très près tous les documents qui l’ont concernée et même à rédiger, à son propos, des éléments d'une histoire que je n'ai finalement jamais publiée, la collection où je devais la faire paraître (« Pour en finir avec… », « Essais d’humeur sur des sujets contemporains : la presse, l’écologie,… ; chez Gallimard ) ayant disparu, faute de succès ! 

L’un des points les plus remarquables des documents des deux réunions fondatrices de « l’Agence de Coopération Culturelle et Technique » (AGECOP) à Niamey (février 1969, puis mars 1970) est qu’on n’y trouve pas la moindre mention des langues africaines, qu'on appellera, dans la suite, « nationales ». Lors de cette première réunion, le ministre qui représente le gouvernement français est d’ailleurs André Malraux, alors ministre des Affaires Culturelles, ce qui est déjà un choix très significatif. De ce fait, la seule langue dont il est question, dans l’ensemble des documents de Niamey, est le français. Il faudra attendre près de cinq ans pour que l'AGECOP commence à faire mention des langues africaines et elle ne le fera qu’à partir de sa Conférence générale tenue à l'Ile Maurice en 1975. 

Revenons un instant sur l'étrange dénomination choisie au départ pour une institution qui devait être, selon les mots mêmes de l’un de ses fondateurs (Bourguiba), un « Commonwealth à la française ». 

La première et seule explication qu'on peut donner de ce choix bizarre est que l'on voulait détourner la nouvelle institution de toute activité dans le champ du politique. En gros, on opéra alors, comme on aurait pu le faire, lors de la création des Nations Unies si, au lieu de mettre en place une « Organisation des Nations Unies », on s'était limité à créer l'UNESCO ! Je ne fais pas ce rapprochement au hasard, car je suis bien persuadé que, dans l'esprit des politiques qui étaient alors aux commandes de toute cette affaire, c'est un peu le modèle opérationnel qui a inspiré les rédacteurs des textes fondateurs de l’AGECOP. 

L'explication de ce comportement est tout à fait claire. Il se justifie quasi exclusivement par le violent conflit qui existait alors entre l’Etat du Canada (fédéral) et le Gouvernement (provincial) du Québec. En effet, surtout à partir des années 60 , les partisans de l'indépendance du Québec ont imaginé de porter leur conflit statutaire interne avec le Canada fédéral sur le terrain international. 

L’un des principaux artisans de cette stratégie fut un journaliste, Jean-Marc Léger, qui, dès 1952, avait créé la première institution internationale de ce genre avec « l'Association des journalistes de langue française », avant de mettre en place, en 1954, une « Union culturelle française ». Ces initiatives sont suivies, en 1961, par la création de « l'Association des universités entièrement ou partiellement de langue française) (AUPELF) dont on comprend aisément la curieuse dénomination et dont le premier Président sera un Québécois, Mgr Lussier, et le Secrétaire Général Jean-Marc Léger lui-même. Le conflit entre Ottawa et Québec devint assez vif pour que, le Gabon ayant invité le Québec à une réunion internationale tenue à Libreville en 1968, le Canada rompe aussitôt ses relations diplomatiques avec le Gabon ! On voit donc aisément par là quelle était l'ambiance à Niamey en 1969. Ces relations conflictuelles ne pouvaient que se cristalliser dans une instance  de ce type ! 

Cette réunion fut donc, à bien des égards, très orageuse (avec même de vifs incidents de séance) ; les observateurs se demandent encore comment, au terme de négociations si laborieuses, le Canada a pu accepter que Jean-Marc Léger (qui était, on l’a vu, l’un des leaders des courants indépendantistes québécois et qui était déjà, en outre, le Secrétaire général de l’AUPELF) devienne, fût-ce à titre intérimaire, le Secrétaire général de l'AGECOP. Il existe des hypothèses sur ce point mais elles sont assez rocambolesques pour que je n'en fasse pas davantage état ici. On raconte qu’on aurait fait jurer publiquement à J.M. Léger de ne jamais s’opposer aux propositions du Canada fédéral  et longtemps, les représentants du « gouvernement » du Québec siégeaient en léger retrait par rapport à ceux du Canada et des autres « États ! 

En tout cas, ce n'est assurément pas durant la période où le Québécois Jean-Marc Léger était Secrétaire général de l'AGECOP que les langues africaines y furent évoquées ; on en resta, plusieurs années durant, à ce qui était, de façon exclusive, la « doctrine » de Niamey : le français et le français seul. Ce n'est qu'à partir de 1975, après l’élection du premier Secrétaire Général africain, le Nigérien, D. Dan Dicko, que les langues africaines se virent reconnaître une place à l'ACCT avec ce que l'on appela dans la suite les programmes de « première » puis de « deuxième génération ».

  • Francophonie et francophonie 

On lit également dans l’argumentaire que j’ai cité en commençant : « La langue française telle qu’on la pratique dans les espaces dits « francophones », tant à l’oral qu’à l’écrit, dans la conversation quotidienne, dans les médias ainsi que dans les œuvres littéraires. ».

Une telle formulation donne à penser à qui ne connaît pas, par expérience directe, l’espace francophone africain, que s’y confondent Francophonie (institutionnelle et géopolitique) et francophonie linguistique (ensemble des locuteurs ayant en français une compétence suffisante pour les recenser comme tels). Pour parler en termes simples, les citoyens des États francophones parleraient le français ! Il n’en est évidemment rien, loin de là ! 

Pour ne pas avoir à discuter les données des plus récents États de la Francophonie dans le monde (2014) dont certaines données, nouvelles, sont proprement aberrantes (« On estime à 274 millions le nombre de locuteurs de français dont 212 millions en font un usage quotidien sur les 5 continents »), je me référerai ici à des chiffres un peu plus anciens, ceux de l’État de 1999 qui sont plus raisonnables.

A cette date, l'ensemble des pays qui, à des titres divers, participaient aux instances francophones, réunissait 630.633.000 habitants (État de la Francophonie dans le monde, 1999 : 344). Rares étaient toutefois ceux qui, en dépit d'un optimisme assez courant dans les milieux de la francophonie, osaient aller jusqu'à situer à ce niveau le nombre des locuteurs du français. La même source recense en effet alors 108.419.000 francophones « réels » et 60.162.000 francophones « occasionnels », sans que soient clairement ni précisément explicités les sens de ces adjectifs, en terme de réelles compétences linguistiques.

On comprend aisément en effet que plus le chiffre total des populations des États qui adhèrent aux instances francophones croît, plus le pourcentage de citoyens de ces États qui parlent réellement le français décroît. Il n'y a plus guère, en effet, dans le monde que deux États non intégrés à la Francophonie, où l’on note un pourcentage important de francophones dans la population : l'Algérie, qui n'est pas membre de ces instances, mais dont l'attitude tend à se modifier et Israël, qui serait déjà entré volontiers depuis longtemps dans l’OIF, sans l'opposition farouche de quelques États, moyen-orientaux surtout. L’adhésion à la Francophonie du Nigéria, dont il avait été question un moment quand cet État était en froid avec le Commonwealth, aurait été, à cet égard, une excellente affaire pour la Francophonie (dite « d’appel ») avec ses 150 ou 180  millions d’habitants, mais une très mauvaise pour la francophonie linguistique vu la très faible proportion de Nigérians francophones.

(La suite demain)

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