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Billet de blog 30 mai 2018

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Du "marché des conférenciers" aux commémorations de l'esclavage ( n° 2; suite)

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Du "marché des conférenciers" aux commémorations de l'esclavage ( n° 2; suite)

Si vous avez lu mes blogs précédents (la version contestée et la version corrigée à la demande expresse des intéressés, peu soucieux qu'on lise des propos qui pourtant ne sont rien diffamatoires ni mensongers et que je maintiens) il est inutile que je revienne sur ce dernier incident ; je reprends donc les choses sur l'étrange calendrier français des commémorations de l'esclavage. Pour éviter toute contestation je suivrais donc sur ce point, (en résumé) la présentation des faits qu'en donne La Croix du 23 mai 2017 

Ce calendrier est étrange non pas parce que la loi de juin 1983, commémore, par un jour férié différent  l'abolition de l'esclavage dans les divers départements d'outre-mer  : 27 avril à Mayotte, 22 mai en Martinique, 27 mai en Guadeloupe, 10 juin en Guyane et 20 décembre à La Réunion ("la fèt sarda"). La chose est logique puisque, compte tenu des délais de la navigation à voile dans l'acheminement des nouvelles, celle de l'abolition de l'esclavage (27 avril 1848) n'a pu arriver dans ces territoires qu'à des dates ultérieures très différentes. 

Le calendrier français des commémorations compte toutefois désormais deux dates officielles consacrées à cette commémoration , sans compter les dates « départementales » logiquement différentes selon les DOM. Le 10 mai aurait été choisi en 2006 comme "journée nationale", en référence à la loi Taubira, reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, qui avait été adoptée le 10 mai 2001. La loi dite « égalité réelle outre-mer », adoptée le 28 février 2017, a ajouté à ce calendrier une « journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial », fixée elle au 23 mai. 

Personnellement, je n'ai jamais beaucoup cru que le 10 mai avaiit été choisi en référence à la loi Taubira « qui avait été adoptée le 10 mai 2000 ». En effet, c'est faux ! La loi n°2001-434 à propos de la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, dont Christiane Taubira, alors députée, était rapporteure, date du 21 mai 2001. M’interrogeant à l’époque sur  l'étrange choix de date, je n’y avais vu, de la part de J. Chirac, qu’une malice à l’égard d’une célébration ultérieure éventuelle de l’anniversaire de la première élection de F. Mitterrand , le 10 mai 1981 !

Si étrange que soit donc le calendrier des célébrations de l'abolition de l'esclavage, il l'est tout de même moins que certains choix de personnalités, qu'on a clairement oublié d'examiner sous l'angle qui est le mien ici (le rapport avec l'esclavage) et que je ne cherche pas toutefois à imposer à quiconque ! 

Je rappelle, pour mémoire et une dernière fois, le texte du décret en cause : « Par décret en date du 9 mai 2017 sont nommés en qualité de personnalités qualifiées au sein du groupement d'intérêt public dénommé « Mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions » : M. Doudou DIENE ; M. Olivier LAOUCHEZ ; Mme Leïla SY ; Mme Françoise VERGES ; M. Lionel ZINSOU. »

Les caprices de l'ordre alphabétique  relèguent à la dernière place dans les personnalités évoquées, Monsieur Lionel Zinzou qui est pourtant, sans contestation possible, la plus importante et surtout la plus intéressante d'entre elles. On ne doit pas toutefois le confondre avec son grand-père Émile Derlin Zinsou (né le 23 mars 1918 à Ouidah et mort le 28 juillet 2016 à Cotonou). Ce dernier, homme d'État béninois, fut président de la République du Dahomey de 1968 à 1969. Ancien élève de l'École normale William Ponty (Sénégal), et diplômé de la Faculté de médecine de Dakar, il entra en politique dès l'indépendance de la République du Dahomey. 

En 1975, pour réduire le poids politique du Sud de cet Etat, le nom de Dahomey est symboliquement abandonné pour celui de Bénin, du nom d'un royaume du Nigeria voisin. Emile Derlin Zinzou avait été porté à la Présidence de la République en juillet 1968 par un régime militaire qui a pris le pouvoir en 1967, mais un putsch le renverse en décembre 1969. Il est alors l'un des principaux opposants au régime de parti unique imposé par Mathieu Kérékou de 1974 à 1990. 

Lionel Zinzou peut, lui, à bien des égards, être comparé à Léopold Sédar Senghor. Élève très brillant, il fait ses études secondaires en France au lycée Buffon; en "prépa" il est à Louis-le-Grand, puis entre à l'École normale supérieure. Il  réussit l'agrégation de sciences économiques et sociales, avant d'étudier pendant deux ans l'histoire économique à la London School of Economics.

Il poursuivra alors une carrière internationale, en France d'abord. Laurent Fabius, Premier Ministre, l'appelle à ses côtés comme rédacteur de ses discours. Après avoir travaillé chez BSN, Lionel Zinsou est associé-gérant de Rothschild & Cie avant de rejoindre en 2008 le fonds d'investissement PAI Partners dont il devient le PDG en 2009 . Il est également membre du comité directeur de l'Institut Montaigne et conseiller au cabinet du président de la République du Bénin, Yayi Boni.

Zinzou a rédigé en 2013 avec Hubert Védrine un rapport sur les enjeux économiques en Afrique et se présente comme un « afroptimiste », s'impliquant dans la promotion d'un renouveau de l'économie africaine. En juin 2015, il est nommé Premier Ministre du Bénin. Le 26 décembre, alors qu'il se rend à la fête traditionnelle de la Gaani à Djougou, son hélicoptère s'écrase sur le stade de football municipal, alors en travaux ; aveuglé par la poussière, le pilote touche un muret et l'hélicoptère chute de cinq mètres. Deux de six passagers sont blessés. Indemne, le Premier Ministre poursuit sa visite. The show must go on !

Le 26 novembre 2015, les "Forces cauris pour un Bénin émergent" (FCBE, parti au pouvoir) le désignent comme candidat à l'élection présidentielle de 2016. À l'issue du premier tour de la présidentielle 2016, il est en tête avec 27,11 % des voix, mais il échoue face à Patrice Talon au second tour.

À lire ces éléments de biographie, on comprend aisément qu'en mai 2016,  François Hollande ait demandé à Lionel Zinzou de présider la mission de préfiguration de la « Fondation pour la mémoire des traites, de l’esclavage et de leurs abolitions ». Les autres choix de personnalités sont plus inattendus et peut-être, aux yeux de certains, plus discutables.

Doudou Diène ( né en 1941) est un juriste sénégalais. Il a été rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance. Ancien Directeur de la division du dialogue interculturel et interreligieux de l’Unesco, il est l'initiateur et le responsable des divers projets de "Routes Interculturelles" de l’UNESCO : Routes de la Soie, Route de l’Esclave, Routes de la Foi, Routes Al Andalus. Doudou Diène est l’auteur de nombreux articles et textes sur les dialogues interreligieux et interculturel, le patrimoine, le racisme, le multiculturalisme et la question identitaire. 

On trouve aussi parmi les personnalités choisies, Olivier Laouchez, 45 ans, dont le patronyme ne souligne pas qu'il est le  seul Noir (ou mulâtre) à la tête d’une chaîne de télé en France ; ce patron d’origine antillaise exporte aujourd’hui en effet ses programmes musicaux dans le monde entier et compte bien franchir cette année le cap des 12 millions d’euros de chiffre d’affaires. La chaîne de télé de ce self-made-man, Trace TV, dédiée aux rap, R&B et autres musiques urbaines, est diffusée compte 20 millions d’abonnés, dont un bon tiers en France, ce qui en fait la deuxième chaîne à clips de France.

Autre personnalité retenue, Leila Sy, d'origine sénégalaise comme l'indique son patronyme. Directrice artistique et réalisatrice, Leïla Sy s’est imposée, elle aussi,  en moins d’une dizaine d’années comme l’une des meilleures réalisatrices françaises de clips. À la baguette, Leïla Sy, est l’une des "clippeuses" les plus cotées de France. Sa réputation tient surtout à ses collaborations avec Kery James dont elle est la directrice artistique depuis une dizaine d’années.

« Lala », comme la surnomme ses amis, a monté avec Joey Starr, Jean-Claude Tchicaya et Olivier Besancenot, l’association "Devoir de mémoire". De là, est née une réflexion sur la méconnaissance en France de certaines figures révolutionnaires comme de certains pans de l’histoire. Prochainement, Leïla Sy va réaliser son premier long-métrage, inspiré de la pièce de théâtre À vif, écrite par Kery James.

Parmi les membres de cette « Mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions », je laisserai pour le moment de côté Françoise Vergès dont le cas est particulier qu'il mérite que j'y revienne dans la suite, même s'il illustre parfaitement la présente remarque.

Ajouterai-je que le président choisi pour cette « Mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions » est Monsieur Jean-Marc Ayrault, qui est pratiquement depuis 1989 maire de Nantes (ou assimilé). Nantes, est la principale ville négrière française. Sans aller plus loin que Wikipedia, on y lit : "La traite négrière à Nantes est à l'origine de la déportation, de la fin du xviie au début du xixe siècle, de plus de 500 000 esclaves noirs d'Afrique vers les possessions françaises en Amérique, principalement aux Antilles. Avec 1 744 expéditions négrières, Nantes se place en première position des ports négriers français pour l'ensemble de la période concernée. La ville est la dernière place forte du commerce des esclaves en France, puisqu'il y est pratiqué jusqu'en 1831, année de promulgation de la loi interdisant la traite négrière". Le choix s'impose donc ! 

Ajoutons que, pour ce qui concerne le commerce négrier et l'esclavage, sur cinq des personnalités de cette mission nouvelle, on compte un Béninois ( L. Zinzou) et deux Sénégalais (L. Sy et D. Diène). On ne peut s'empêcher de remarquer, à cet égard, que deux des principaux (ou en tout cas les plus illustres)  lieux de départ pour la déportation des esclaves africains durant la traite atlantique étaient Gorée, au Sénégal, et, Ouidah ou Juda, au Bénin. Aurait-on choisi à dessein ces personnes qu'on n'aurait guère pu espérer faire mieux ! 

(La suite demain)

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