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Billet de blog 30 juin 2015

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Les affaires de la Grèce : « Timeo Danaos et dona ferentes » Najat Vallaud-Belkacem.

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Non, je blague et je suis même un peu cruel avec cette si charmante ministre ; ce n'est pas de Najat Vallaud-Belkacem, dont on sait qu'elle pratique peu le latin et l’aime encore moins, mais de Virgile (si je me souviens bien dans le deuxième chant de l'Énéide). Cela dit, elle est néanmoins membre d'un gouvernement qui a fait et fait pas mal de misères à la fois au latin (de façon directe à son enseignement, même si elle a pris le train en marche, alors que son prédécesseur V. Peillon, philosophe de son état, avait été assez prudent pour chercher refuge dans des eaux plus calmes du Parlement européen) et sinon au grec ou du moins aux Grecs (au pluriel) dans le contexte actuel!

 Nous voilà bien loin de Molière et de cette pauvre Philaminte : 

« Quoi? Monsieur sait du grec? Ah! permettez, de grâce,

Que, pour l'amour du grec, Monsieur, on vous embrasse. ».

Et pourtant il faut bien que quelqu’un s’y colle ! Une fois encore, je vais me dévouer pour une noble cause. 

Réglons d'abord l'affaire du « Timeo Danaos et dona ferentes », formule déjà fort suspicieuse à l’égard des Grecs qui ne sont encore que des Achéens ; Virgile la met dans la bouche de Laocoon, fils de Priam après la découverte sur la rive de Troie d’un immense cheval de bois ; on peut la traduire par « Je crains les Grecs même quand ils apportent des cadeaux », ce qu’on ne peut plus guère dire de nos Grecs actuels qui ne nous présentent que des ardoises ! 

Vous l’aurez remarqué comme moi ; bien après la guerre de Troie et sans rapport avec elle, dans notre belle langue française, le mot « grec » sert à désigner un tricheur (au jeu en particulier) ou un escroc plus généralement.  Les Achéens avaient sans doute déjà mauvaise réputation et Laocoon avait bien raison d'inciter ses compatriotes à se méfier du cheval de bois abandonné par les Grecs ; les Troyens ne devaient pas avoir dans leur répertoire gnomique notre proverbe qui dit qu’« à cheval donné on ne regarde pas la bouche » ! Déjà fourbes et falsificateurs, les Grecs envahisseurs avaient donné à croire que c'était là une offrande à Poséidon pour garantir à leur flotte un bon retour au pays car ils feignaient alors, un peu découragés par ce si long siège, de le lever le siège ou du moins de le donner à croire. 

Démasquer les Grecs n'est toutefois pas sans danger, déjà à cette époque ;  chère Madame Merkel, soyez donc prudente si vous voyez le moindre serpent ! En effet, après cette mise en garde de Laocoon,  sans qu'on sache trop qui les envoyait, deux énormes serpents arrivèrent de la haute mer et se jetèrent sur les deux fils de Laocoon et sur Laocoon lui-même qui tentait de les protéger. Ils y passèrent tous mais il nous en reste l’immense et antique sculpture de marbre (2,5 mètres de haut !) qui représente la scène ; cette pauvre Angela n’en aura sûrement pas autant, le cas échéant, car on n’aurait fait ça que pour Adolf si l’occasion s’en était présentée !

Les Grecs furent alors assez sots faire entrer ce cheval dans leurs murs (il contenait des soldats !) comme nous avons été aussi assez stupides (Monsieur Jacques Delors en particulier pour sa gloriole personnelle) pour faire entrer la Grèce dans l'Union européenne puis, pire encore, dans l'euro.

Je sens qu’on va encore me taxer de cuistrerie et pourtant d'autres que moi ont utilisé ce fameux « Timeo Danaos… », comme les Romains dans Astérix légionnaire ou Sean Connery au cinéma pour repousser les offres que lui faisait le FBI pour prix de sa coopération. On trouve même ce fragment de vers latin dans « La grande bouffe » de Marco Ferreri ; il y est appliqué à un Chinois, car ces gens-là, comme vous le savez, ne sont guère plus dignes de confiance que les Grecs !

J'entendais l'autre jour Monsieur Bruno le Roux vanter les mérites du référendum proposé aux Grecs pour le 4 juillet 2015 afin de connaître leurs sentiments sur leur maintien ou leur départ de l'Europe. Il vantait la procédure et en recommandait l'usage, oubliant sans doute le sort qu'avait réservé le gouvernement français, il y a quelques années, au référendum où 55 % des Français s'étaient prononcés contre la ratification du traité européen sur lequel on sollicitait leur avis. Notre actuel ministre des affaires étrangères, L. Fabius, toujours prudent, était alors « très « réticent » et, pour finir, me semble-t-il, en faveur du non, même s’il paraît l’avoir oublié ! 

Pour qui connaît tant soit peu la Grèce, un certain nombre de réformes envisagées pour (r)établir ses finances apparaissent plutôt comiques ; c'est, par exemple, le cas de la TVA qu'on veut augmenter pour accroître les ressources fiscales de l'État. Ce pourrait être une stratégie efficace ailleurs, mais, dans la mesure où, en Grèce, existe une tradition très solide qui vise à privilégier tous les moyens qui conduisent à frauder sur la TVA, la disposition est totalement inadaptée. Il y a encore une dizaine d'années (je n'y suis pas retourné depuis) on ne payait en Grèce qu’en liquide, les chèques étant regardés avec suspicion ou refusés et les cartes de crédit totalement inconnues. Dans un pareil contexte et avec de telles traditions, augmenter le taux de la TVA ne fera qu'accroître le désir de ne pas la payer et activer l'imagination pour mettre au point des ruses et des subterfuges à cette fin.

Le cas du cadastre, moins souvent cité que celui des armateurs ou de l’église orthodoxe,  est pourtant des plus savoureux. Un premier projet de cadastre a été en effet conçu sous le règne d'Othon Ier, entre 1832 et 1862 ; suspendu, il a été relancé, après mûre réflexion comme on peut le constater, en 1994 ! La  collecte, indispensable, des informations qui concernent ce domaine, n’a débuté qu’en 2008 et elle est toujours en cours en 2015 ! Ce processus est curieusement géré non par l’Etat lui-même, mais par une société de droit privé, Ktimatologio S.A. ! Il faut reconnaître que l’état de la propriété immobilière en Grèce est particulièrement complexe, du fait de la succession de situations juridiques très différentes causées, selon les régions en outre, par l'histoire du pays et les diverses occupations : époque byzantine, occupation vénitienne (ainsi Corfou, qui est la région que je connais le mieux, fut vénitienne pendant quatre siècles!) et ottomane.

On nous bassine sans cesse avec la démocratie que nous devrions à Athènes, mais il serait bon que ceux qui se livrent à un tel éloge songent à regarder d'un peu plus près ce qu'était réellement la démocratie athénienne du Cinquième Siècle avant JC dans laquelle les seuls citoyens, reconnus comme tels, s’exprimaient ;  cela excluait bien entendu les esclaves, les étrangers, les métèques (« oi mètoikoi ») et bien entendu, Mesdames, les femmes !

On ferait donc mieux de réfléchir, plus souvent et avec constance, sur les deux apports, majeurs et symboliques, de la culture hellénique à nos civilisations que sont le mythe de Sisyphe et le tonneau des Danaïdes ; ils nous ont fourni l’un et l'autre deux métaphores qui symbolisent et incarnent à la fois la Grèce actuelle dont nous nous efforçons pourtant de croire et de faire croire que, depuis son entrée dans l'Union européenne, il est possible de la ramener aux standards administratifs et fiscaux européens. 

Or, depuis plus d’un quart de siècle, tels le rocher de Sisyphe, les promesses et les engagements des gouvernements grecs successifs  roulent, chaque fois, vers le pied de la montagne européenne comme les milliards de l’aide de l’Europe communautaire et les « paquets Delors » (ou autres) disparaissent dans le moderne tonneau grec des Danaïdes qui, toutefois, à la différence de celui des cinquante filles du roi Danaos, s’il n’a pas de fond comme celui de la légende, comporte, en revanche, une évacuation directe et rapide en direction des banques de Genève et de Zurich.

Après Virgile, on pourrait, toujours à l’intention de la belle Najat et de notre Président, citer Cicéron, à peine adapté : « Quousque tandem, Tsipras, abutere patientia nostra ? » (= « Jusqu’à quand, Tsipras, abuseras-tu de notre patience ? » ou, en français plus ordinaire « te foutras-tu de notre gueule ? »).

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