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Billet de blog 27 févr. 2023

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Salon de l'agriculture.. Quelle agriculture ?

Comme une avalanche bruyante, citadins, enfants, une partie de monde agricole vont s'engouffrer, les têtes chargées de rêves, de découvertes dans ce labyrinthe de bruits et d'odeurs.

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À en croire les médias, la France agricole serait là. Celle qui nous nourrit, nous assure un excédent agricole et peuple nos campagnes. Toi visiteur, les rêves pleins d’étoiles tu vas engouffrer dans ce labyrinthe bruyant pour retrouver avec émotions tes souvenirs d’enfants et te savoir, inconscient, être devenu un instant paysan. Comme un livre ouvert où à chaque page, à chaque stand serait reconnu nos bienfaiteurs ruraux. Ha... tout y est beau, tout neuf, tout reluit de l’envie de souscrire à ce plaisir des yeux, de ces animaux énormes, de ce machinisme inhumain capable de travailler la lune !

Certes oui, il y a un plaisir certain à déguster, savourer, à réveiller nos papilles de ces produits souvent locaux ressuscités de nos provinces.
Mais faut pas se tromper, à se laisser aller à l’ambiance bon enfant de cette fête artificielle.

Le monde paysan n’est pas totalement représenté, nombres d’exclus survivent dans nos campagnes. Ce salon efface médiatiquement la souffrance agricole, ceux qui, fatigués, ne perçoivent tout juste 300 euros par mois de revenu (chiffre MSA) ou qui ne perçoivent rien du tout et juste le RSA. Et les retraités paysans usés qui perçoivent une retraite en dessous du seuil de pauvreté. Où cela paraît ? Tu verras visiteur sur grand écran le réseau de nos cours d’eau avec pour chacun les résultats d’analyse des traces de pesticides. Ha... on me dit que que les organisateurs n’auraient pas eu le temps de tout préparer. C’est bien dommage car l’ANSES a mis à l’honneur ces derniers temps l’herbicide S Metolaclore comme médaille d’Or... 

Ce salon n’expose pas les longueurs de cordes qui ont mis fin à  un agriculteur tous les 3 jours.
Sont effacés, éludés les différents soutiens aux exploitations agricoles, celles qui perçoivent peu ou pas de subventions de la PAC (Politique Agricole Commune), les maraîchers, les arboriculteurs, les apiculteurs... Et ceux qui perçoivent jusqu’à  887 933 euros dans le Loiret ou comme un groupe alimentaire, 31 000 000 euros par an ! Et tant d’autres...

Ce salon ne brille pas par la reconnaissance des nombres de faillite d’exploitations et la captation féroce de celles-ci par des voisins déshumanisés. Ce salon participe à l’endettement du monde agricole. Ces machines exposées toujours nouvelles, toujours plus grosses, toujours plus chères au nom de la modernité appâtent les plus ambitieux ou ceux prêts à le devenir. Toujours plus énormes dis-je, car dans l'Aude un agriculteur est en colère car avec ses matériels il ne peut plus franchir un pont et demande à la collectivité de l’agrandir. Où allons nous ?

Ces achats font le bonheur du machinisme agricole (CA 42 milliards d’euros en 2019) et des banques. À l’heure des devoirs bas carbone ce monde marche à l’envers et je ne vous dis pas le coût de la consommation énergétique. Cela n’est pas grave on demandera à l’État (à nous) des subventions. Quand on sait qu’avec le prix en euros d’un tracteur, il y a 45 ans avec la même somme en francs, on pouvait acheter une exploitation agricole moyenne. Rien ne va plus. Les agriculteurs comprendront-ils un jour – mais trop tard- que leur activité est «  préservée » pour uniquement enrichir le machinisme agricole, les banques  les assurances et les secteurs de la transformations : lait , viande, vin... ?

L’orgueil humain fait partie intégrante de l’Homme, mais certains dans le monde paysan, pardon d’entrepreneur agricole, y ajoute un degré de plus.

Donc si on se réfère à ce monde agricole présenté à la capitale, tout le monde il est beau. Bravo, applaudissons, fermons les yeux !
Pourtant, si l’agriculture française mise sur l’exportation de ses productions, souvent largement subventionnées, elle n’assure pas sa consommation alimentaire intérieure (voir rapport agricole du Sénat N° 528). Et c’est là notre point faible, si dans le monde l’alimentation est assuré à 75 % par les petites fermes et exploitations, la France importe de la viande de porc d’Espagne, du poulet de Roumanie, Pologne, Brésil..., de la viande bobine, des œufs, etc.

Le recensement agricole d’Occitanie révèle qu’entre 2010 et 2020 le potentiel de production agricole a diminué de 12 %. Les chiffres montrent que l’ensemble des productions animales de cette région ont toutes régressées de 30 à 80 % (exemple : moins de 9000 vaches laitières dans le 12 : 4000 dans les 32, 81, 46.. etc). Seul le département de Lozère arrive à se maintenir ! Ouf nous irons faire nos réserves dans le 48. Mais pas tous en même temps. Chuut... Dans cette région occitane, la vigne progresse en surface, surtout dans les régions céréalières comme le Lauragais. En 2022 les surfaces de blé ont diminué de 1850 hectares dans ce secteur... Les vignerons majoritaires demandent avec insistance l’irrigation pour leurs vignes. Où vont ils trouver l’eau et surtout non polluée. Il n’y a ni l’une ni l’autre. Peut être faire appel à un chaman ou un sorcier indien. La FNSEA peut bien se payer ce luxe !

Alors revenons aux vignerons qui reçoivent des financements honteux, jusqu’à 80 % de leur projet d’irrigation (Europe, Région, Département) pour souvent demander  augmentation des rendements (et oui cela est dans leur dossiers de projets d’irrigation .!!) et qui en même temps demandent la distillation de leurs vins. C’est logique, on va évaporer l’eau qu'ils auront mis dans le raisin durant l’été. Et tout cela avec usage de l’énergie et au frais de la collectivité. Il n’y a de leur part aucune vision de reconversion vers des cultures nourricières, aucune remise en cause. Seuls leurs intérêts priment. Il y aurait de quoi de porter plainte pour gaspillage d’argent public.

Assis  sur leurs conforts les politiques, les élus agricoles continuent de prôner une agriculture industrielle. Ce n’est en partie que la science viendra au secours de nos agriculteurs. Mais sûrement pas l’informatique, la robotique, la génétique, mais plutôt le bon sens et la raison.

Croire que l’investissement coûteux dans le machinisme, la dépendance à la chimie, aux aides mal réparties maintiendra une agriculture vivrière c’est faire fausse route ! Ces exploitations gigantesques, fragiles par leurs endettements et leurs dépendances diverses tiendront-elles au moindre bouleversement, économiques, climatique, de consommation, de conflits politiques. Certaines commencent à se fissurer. 

Les fermes dites petites qui assurent sur nos marchés de plein vent ou dans des magasins de producteurs sont une assurance de sécurité de notre alimentation. Elles sont peu nombreuses et rarement épaulées financièrement. Les Etats-Unies et les Etats Européens s’aperçoivent qu’ils ne sont pas capables de faire face à une guerre classique de longue durée. Ils ont tout basé sur la dissuasion nucléaire. Ne sommes nous pas dans les mêmes ordres d’erreurs en agriculture et alimentaire ? Ce Salon met en lumière l’imposture de la FNSEA qui se gargarise dans les discours de soutien à la vente directe, aux circuits courts à la priorité de la sécurité alimentaire. Comme si c’était une  visionnaire ! Faut rappeler à cette dame que depuis toujours disait «  la France doit nourrir le monde » et privilégiait l’exportation à tout prix. Tant pis si elle et les entreprises agro-alimentaire mettaient sur la paille (heureusement, bio !) les agriculteurs des pays importateurs.

Faut quand même préciser cela, les médias n’en soulignent pas ces contradictions. Les citoyens doivent savoir. Ils sont grands pourvoyeurs de soutiens considérables à l’agriculture et n’ont que le privilège de déambuler dans ce Salon, exposition de façade, et pas la possibilité d’intervenir sur les choix de politiques agricoles ! A voir les financements qu’ils accordent ils sont actionnaires de l’agriculture et devraient avoir leur mot à dire. Cela permettrait peut être des choix de production plus réalistes, résilients, sécuritaires et un gaspillage d’argent public limité...

Ce discours puisé dans mon expérience engagée de 50 ans de pieds dans la terre  me permet d’avoir une analyse disons originale. Quoique chacun puisse penser ce monde agricole doit complètement changer dans l’intérêt de la société toute entière. On ne veut pas que l’agriculteur ne soit visible qu’au musée Grévin ! Pour aider les Français à consommer localement il est fondamental d’augmenter les revenus et les retraites des plus faibles, sinon on importera pour ces derniers des produits de mauvaises qualité à des prix insignifiants dans des normes environnementales désastreuses. Ces exploitations grandioses, intransmissibles entre générations doivent pouvoir être redessinées pour installer des paysans qui produiraient notre alimentation humaine et animale. Et si l’on affectait toutes les aides à l’exportation et celles des salons à l’étranger au producteurs locaux, cela serait sûrement une révolution dans les campagnes mais une chance pour nous tous ! 

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