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Billet de blog 1 juin 2014

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Dans quelle mesure la dette publique est-elle illégitime ?

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Dans son rapport publié le 27 mai, Le « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique » a montré que 59 % de l’endettement public français provenait des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêt excessifs. Ce rapport auquel j'ai participé s'arrête cependant en chemin, car il ne calcule l'impact cumulé que de deux des nombreux mécanismes de fabrication de la dette publique – les cadeaux fiscaux et les taux d'intérêt excessifs, en mentionnant à part l'impact de l'évasion fiscale des particuliers dû au secret bancaire. Or il est tout à fait légitime de cumuler les impacts de ces trois mécanismes, et surtout il est possible d'évaluer – plus grossièrement – l'impact des nombreux autres mécanismes du manque à gagner fiscal. La conclusion : la totalité de la dette publique française est illégitime. Démonstration.

La dette publique française, celle de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale, s'élevait fin 2012 à de 1834 milliards d'euros, soit 90,2 % du PIB. C'est la conséquence des déficits passés.

Cette dette très importante, 4 fois plus importante qu'il y a 30 ans, est-elle légitime ? Une dette est jugée illégitime lorsqu’elle résulte de décisions prises sans respecter l’intérêt général ou au préjudice de l’intérêt général. Par exemple quand elle résulte d’une politique délibérée pour privilégier une classe sociale au détriment du reste de la société, quand elle comble le trou laissé par les baisses d'impôts, quand elle provient du sauvetage, sans contrepartie, d'institutions financières privées responsables de la crise, quand les intérêts versés augmentent sans fin (effet boule de neige), en cas de taux usuraire, ou quand les conditions de prêt violent les droits économiques, sociaux ou politiques des citoyens.

Le déficit public était de 99 Md € (milliards d'euros) en 2012. En parallèle, les administrations publiques ont vu s'évaporer un certain nombre de leurs recettes, de manière légale (exonérations et exemptions fiscales ou niches fiscales, exonérations et exemptions sociales, optimisation fiscale), à la limite de la légalité (optimisation fiscale), ou illégale (fraude fiscale et sociale) :

  • des exonérations patronales de cotisations sociales : 27,6 Md € en 2012 selon la Caisse nationale des Urssaf, dont 24,7 Md € sont compensés avec des mois de retard par des impôts et taxes affectées qui creusent bien sûr le déficit de l'État ;
  • des exemptions diverses de cotisations (10 Md € sur une assiette d'environ 45 Md €),
  • les niches fiscales : 72,2 Md € en 2012 selon le Sénat ;
  • la réduction de l'impôt sur les bénéfices des sociétés (10 Md €),
  • la réduction des impôts des plus riches (21 Md €), l'ensemble des cadeaux fiscaux décidés à  partir de 2000 s'établissant à 73 Md € en 2009 d'après le rapport Carrez,
  • les paradis fiscaux (de 60 à 80 Md € selon le rapport parlementaire Bocquet & Dupont Aignan),
  • et enfin de 60 à 80 Md € de fraudes fiscales selon Solidaires finances publiques qui incluent aussi la fraude permise par le secret bancaire.

On obtient ainsi un manque à gagner d'environ 240 Md € pour les administrations publiques, soit plus du double de leur déficit. Un déficit ou un manque à gagner se traduit en dette publique par deux mécanismes complémentaires : le manque à gagner est d'une part comblé par un emprunt, d'autre part les intérêts payés sur cet emprunt sont eux-mêmes à l'origine d'emprunt et donc de dette. Il y a donc un effet cumulatif des déficits, qui ne peut être évalué précisément que s'ils sont connus sur une période assez longue.

C'est le cas de l'évasion fiscale des particuliers permise par le secret bancaire, qui est estimé depuis 1970 par les travaux de Gabriel Zucman (La richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux, Le Seuil, 2013), et des cadeaux fiscaux qui ont été évalués par le rapport parlementaire Carrez de 2000 à 2009.

Pour évaluer l'impact de ces deux mécanismes de la dette publique (la dette de l'État en fait car c'est l'État qui engrange ou non ces recettes fiscales), simulons une situation où ils auraient été annulés : pas d'évasion fiscale pour les particuliers depuis 1970, pas de cadeaux fiscaux depuis 2000. La dette de l'État fin 2012 serait alors respectivement réduite de 419 et 772 Md € (29 et 54 % de sa valeur), donc globalement de 1191 Md €, alors qu'elle est de 1440 Md €. L'annulation des seuls cadeaux fiscaux aurait permis d'atteindre l'équilibre budgétaire de l'État en 2006, 2007, 2008, 2010 et 201. 

Un autre mécanisme peut être étudié avec précision, ce qu'on appelle en jargon « l'effet boule de neige » : quand le taux d'intérêt de la dette est supérieur au taux de croissance, la dette augmente mécaniquement, car la puissance publique ne peut plus rembourser ses emprunts, ses recettes augmentant moins vite que les intérêts qu'elle a à payer. Or les taux d'intérêt ont été très supérieurs au taux de croissance presqu'en continu du milieu des années 1980 à aujourd'hui.

Quand on simule un plafonnement des intérêts par le taux de croissance, on annule cet effet boule de neige. Cela nous permet d'évaluer son impact. Appliqué à la dette réelle, il l'a fait augmenter de 446 Md €. Appliqué à la dette après annulation de l'évasion fiscale des particuliers et des cadeaux fiscaux, son impact n'est plus que de 294 Md € (20 % de la dette réelle de l'État).

Ces trois mécanismes cumulés – l'évasion fiscale des particuliers permise par le secret bancaire, les cadeaux faits aux plus riches et les exigences des plus riches qui prêtent à l'État – ont donc fait s'envoler la dette de l'État de 1485 Md € fin 2012, alors qu'elle est légèrement inférieure à ce montant. La totalité de la dette de l'État 2012 (ou 81 % de la dette publique) est donc illégitime, car elle est due à de la fraude (évasion fiscale) et à des transferts en faveur des plus riches non justifiés par l'intérêt général (cadeaux fiscaux, intérêts excessifs).

Cependant, ces trois mécanismes dont nous avons pu étudier l'impact sur la dette en détail sont loin d'être les seuls mécanismes du déficit public qui rendent la dette illégitime. D'une part l'évasion fiscale et les cadeaux fiscaux ne représentent en 2012 que 105 des 240 Md € de recettes perdues. Si l'on extrapole l'impact de ces deux mécanismes à l'ensemble des mécanismes du déficit, on obtient une diminution de la dette publique 2012 de 2700 Md €, de moitié supérieure au niveau réel de la dette. Cette extrapolation n'est pas très rigoureuse, car l'impact d'un mécanisme sur la dette n'est pas strictement proportionnel au montant du déficit induit. Mais l'écart énorme entre la dette réelle – 1834 Md € – et la réduction potentielle de la dette calculée – 2700 Md € – permet d'affirmer que l'annulation des mécanismes du déficit ou d'une partie d'entre eux permettrait d'annuler la dette publique.

D'autre part l'effet boule de neige s'applique aussi aux dettes des collectivités locales et de la Sécurité sociale, sans que nous ayons pu l'évaluer.

La dette publique n'est donc due qu'aux différents mécanismes mis en place ou non combattus pour réduire les recettes publiques, et non à d'autres phénomènes liés à la dépense publique. Tous ces mécanismes sont générateurs de dette publique illégitime. La totalité de la dette publique 2012 est donc illégitime.

Cette analyse est présentée dans un rapport détaillé.

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