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Billet de blog 4 mars 2013

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Syrie : 2 minutes pour 2 ans de mensonges

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au moment où débute une campagne de propagande tous azimuts, en faveur d'un financement accru de l'aide militaire à la rébellion syrienne, il  serait intéressant de mettre en perspective certains aspects de la réalité syrienne et de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui ce pays et sa population. Cette approche est en grande partie occultée par les médias et c'est malheureusement aussi le cas pour Médiapart.

 « L'opération 2 minutes pour la Syrie » à laquelle participe les chaînes les télévisions publiques (France Télévisions, France 24, TV5 Monde, LCP, Public Sénat) et certains sites partenaires (Libération, Rue 89, Mediapart, Dailymotion, Le Nouvel Observateur). Ces programmes courts, produits sous l'égide de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH) et de la Ligue des droits de l'homme (LDH), ont pour but de (re)mobiliser l'opinion publique autour de ce conflit, qui a causé, selon l'ONU, la mort d'au moins 70 000 personnes. La rédaction de Médiapart montre des clips de personnalités aussi appréciées que François Cluzet, Michel Piccoli, le regretté Stephane Hessel et bien d'autres encore dont la sincérité ne peut en aucun cas être mise en doute, mais on est en droit de se poser la question que viennent-ils faire dans cette galère ? Et surtout qui finance cette campagne ?

Ce pathétique appel afin de tenter de mobiliser l'opinion publique française, laquelle se pose de plus plus de questions sur les dessous de ce conflit et  comme le souligne Fabrice Balanche dans son analyse ci-dessous « comment le Quai d’Orsay pourrait-il justifier une intervention militaire pour éradiquer les islamistes du Nord Mali, alors qu’il contribuerait à les installer au pouvoir en Syrie »

 Ceci nous conduit à nous interroger au sujet de la politique étrangère qui est aujourd'hui menée par la France depuis son retour dans l'OTAN et du rôle joué par les néo-conservateurs français avec à leur tête François Heisbourg qui est l'instigateur du livre blanc de la défense avec son égérie de l'époque la défunte Thérèse Delpech et Bruno Tertrais tous connus pour leurs positions va-t-en guerre et de l'influence de ce courant de pensée au Quai d'Orsay.

 Hubert Védrine chargé par le président Hollande de tirer le bilan du retour de la France dans l'OTAN a conclu que revenir sur la décision prise par Nicolas Sarkozy en 2009 « ne donnerait à la France aucun levier d'influence » je vous invite à lire la réponse édifiante de Régis Debray dans le Monde Diplomatique du mois de mars. Le même Hubert Védrine qui dans un rapport pour le président Sarkozy « Sur la France et la Mondialisation » mettait en garde le président Sarkozy sur les conséquences d'un alignement de la France sur les Etats Unis et sur les thèses des néo-conservateurs américains et il déconseillait par ailleurs l'abandon de la politique arabe de la France, il écrivait à l'époque «  Les néo-conservateurs gardent plus d'adeptes qu'on ne le croit en Europe, y compris dans les élites françaises, même après le fiasco irakien. Ce fait a été masqué par la virulente et durable réprobation de la politique étrangère de G.W Bush au Proche et Moyen Orient par l'opinion française, mais il est patent ».

 Sur le terrain la situation semblerait prendre une tournure défavorable pour la rébellion, d'où de le désarroi de la France et du Royaume-Uni et de leurs alliés le Qatar et l'Arabie Saoudite qui ont appelé ouvertement à une intervention militaire et qui se trouve maintenant directement en porte-à-faux et quelque peu déboussolé par la nouvelle orientation de la politique étrangère des Etats Unis.

En effet avec les nominations de Chuck Hagel au poste de Secrétaire à la Défense et de John Kerry au poste de Secrétaire d'Etat et les mises à l'écart de Hilary Clinton et du général Petraeus compromis dans un scandale qui l'a obligé à démissionner, ainsi que le général Allen obligé de prendre sa retraite tout cela laisse présager un profond changement d'orientation de la politique étrangère des Etats Unis la nouvelle équipe de l'administration Obama semble avoir définitivement tournée la page des années Bush.

 Il n'est pas exclu de voir dans un futur proche un changement radical de cap de la diplomatie américaine, un rapprochement avec la Russie sur le dossier syrien afin de trouver une issue diplomatique à la crise, une marginalisation de l'influence de l'ASL au sein de l'opposition syrienne, ainsi que la normalisation des relations avec l'Iran, Israël pour sa part étant prié de rengainer ses velléités belliqueuses à l'égard de l'Iran. En effet Washington étouffe de sa relation trop étroite avec Israël injustifiable au plan international, et qui dresse contre les Etats-Unis l'ensemble des populations musulmanes. On le voit la France et le Royaume Uni ayant clairement joué la carte des pétromonarchies du golfe, le Qatar et Arabie Saoudite en tête, et aussi Israël pourraient être les les perdants de cette nouvelle donne.

 Quels sont les indices qui nous incitent à penser cela ? Tout d'abord la personnalité des nouveaux arrivants . La nomination de Chuck Hagel est un énorme camouflet pour le lobby pro-israélien, c'est un des piliers de l'OTAN, mais aussi un réaliste. Il a toujours dénoncé les néo-conservateurs et leur rêve d'impérialisme global. John Kerry au Département d'Etat est un partisan déclaré d'une collaboration avec Moscou sur les sujets d'intérêt commun et d'un dialogue avec l'Iran et il a entretenu des relations cordiales avec Bachar Al Assad. Enfin John Brennan à la CIA est convaincu que la première faiblesse des Etat Unis, c'est d'avoir créé et développé le Djihadisme international, son obsession étant d'éliminer le salafisme.

 La personnalité des sortants est encore plus édifiante. Au lendemain de son élection, Barack Obama a débuté la grande purge, la première victime fut le général David Petraeus, concepteur de la guerre secrète en Syrie,a été impliqué dans un scandale sexuel il a été contraint à la démission, puis une douzaine de hauts gradés furent mis sous enquête pour corruption . Parmi eux, le Commandant Suprême de l'Otan l'amiral James G. Stravidis et son successeur désigné le général John R. Allen ainsi que le commandant de la Missile Défense Agency c'est-à-dire du « Bouclier anti-missiles ». Patrick J. O'Reilly. Enfin Susan Rice et Hillary Clinton font l'objet de vive attaques pour avoir caché au Congrès des éléments sur la mort de l'ambassadeur Chris Stevens, assassiné à Benghazi le 11 septembre 2012.

 En conclusion les différentes déclarations de John Kerry lors de son récent voyage en Europe donnant des gages à la rébellion et promettant 60 millions d'aide à l'ASL pour des armes non létales ne seraient en fait que des déclarations de façade, afin de permettre à Paris et Londres de ne pas perdre la face. Les stratèges du Quai d'Orsay doivent désormais s'interroger sur le bien fondé de la politique néo-conservatrice « de guerre contre le terrorisme » qui est menée par la France depuis son retour dans l'OTAN.

 Pour mieux comprendre ce qui se passe en Syrie laissons maintenant la parole à Fabrice Balanche :  Maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient  à la Maison de l’Orient. Il nous livre ses réflexions sur la situation actuelle en Syrie.

 Contrairement à ce que laisse penser une partie de la presse occidentale, le régime de Bachar Al Assad est loin d'être au bord du gouffre, tant sur le plan politique que militaire. Malgré de réelles difficultés, le pouvoir en place réussit peu à peu à se poser dans l'opinion comme le seul rempart crédible contre l'ingérence étrangère et l'instauration d'un état islamique.

 Le discours de Bachar al-Assad, du dimanche 6 janvier 2013, était tout d’abord destiné à montrer qu’il demeure le Président de la Syrie et qu’il entend le rester. Il oppose un démenti cinglant à l’opposition qui répète depuis près de deux ans que le régime n’en a plus que pour quelques semaines, aux chancelleries occidentales qui évoquent son prochain exil à Cuba, en Russie ou au Vénézuela. Le contexte militaire se prête à cette prestation, puisque les forces du régime ont repoussé les rebelles des périphéries de Damas ; la ville de Homs, "capitale de la révolution" est presque de nouveau sous le contrôle de l’armée régulière, quant à Alep, les rebelles ne sont pas parvenus à la prendre, malgré leur "offensive décisive"de septembre dernier. Certes, les rebelles ont gagné du terrain dans l’Est et le Nord, mais ils n’ont pas réussi à s’emparer des grandes villes, fermement tenues par les forces du régime.

Le régime contrôle aujourd’hui un tiers du territoire : un axe reliant la région côtière à Damas, et les grandes villes du pays en totalité ou en partie, comme à Alep et Deir Ez Zor. Mais en termes de population, il s’agit de plus de 50% de la population. Les rebelles contrôlent seulement 15 à 20% de la population, dont une partie croissante fuit dans les pays voisins, 10% de la population réside dans les zones tenues par les milices kurdes (les quartiers nord d’Alep et les territoires kurdes du Nord), alliés stratégiques du régime, et enfin, nous avons 20 à 25% des Syriens qui sont dans des zones disputées. Globalement le régime est puissant dans le Sud et l’Ouest de la Syrie, tandis que les rebelles dominent le Nord et l’Est. Les territoires peuplés par les minorités confessionnelles (20% de la population) demeurent acquis au régime ; les territoires ruraux à forte identité arabe sunnite penchent davantage du côté des rebelles, si localement les tribus n’ont pas fait allégeance au régime, comme à Raqqa et Hassakeh. En fait la situation sur le terrain est extrêmement complexe et exige une analyse détaillée de la répartition communautaire, des clans et des antagonismes sociaux.

Les rebelles sont divisés et donc incapable de lancer des offensives durables de grande ampleur. Les combattants islamistes, armés et financés par les pétromonarchies du Golfe s’imposent au sein de l’opposition armée, marginalisant les éléments laïcs  de l’Armée Syrienne Libre. Mais ce n’est pas seulement une question de financement, car l’argent a plutôt un pouvoir démobilisateur sur les combattants de l’ASL qui voient les responsables s’enrichir. De nombreux groupes de l’ASL se livraient au pillage pour financer leur combat, mais aujourd’hui, c’est devenu une habitude, voir la seule raison de combattre : inutile de se lancer dans une offensive risquée contre un quartier repris par l’armée à Alep, puisqu’il n’y a plus rien à piller. Une série de reportages publiés dans le Guardian fin décembre 2012sont très éclairants sur le comportement de nombreux groupes rebelles à Alep. Tout cela entraine un rejet des rebelles par la population, qui en appelle aux combattants islamistes, mais jusqu’à quand ? Désormais, dans certains quartiers d’Alep, les islamistes interdisent aux femmes de conduire une voiture et le hijab est de rigueur. Les arrestations et exécutions arbitraires par les rebelles achèvent de les faire ressembler aux shabiha (para-militaires) du régime.


En conséquence quelles perspectives se dessinent aujourd'hui pour la Syrie au vu de la situation actuelle ?

Tout d’abord, la perspective d’une intervention étrangère s’est éloignée. Le déploiement des missiles patriotes en Turquie, pour prévenir ce membre de l’OTAN d’être frappé par l’armée syrienne, n’est qu’une réponse symbolique. Ni les Etats Unis, ni les pays de l’Union Européenne ne souhaitent s’engager dans un conflit qui est qualifié ouvertement de guerre civile communautaire par l’ONU. La montée en puissance des islamistes, notamment des groupes tels que le Front al Nosra, émanation d’Al Qaïda, empêche toute intervention directe de l’OTAN. En France, comment le Quai d’Orsay pourrait-il justifier une intervention militaire pour éradiquer les islamistes du Nord Mali, alors qu’il contribuerait à les installer au pouvoir en Syrie ? Israël commence à s’inquiéter d’un changement de régime en Syrie, l’Etat hébreux renforce sa frontière sur le Golan, car l’armée syrienne aurait abandonné le terrain aux islamistes.

En Syrie, Bachar el Assad mène une stratégie de contre-insurrection contre les rebelles qui commence à porter ses fruits. Au début de la crise, il avait du mal à mobiliser la population et ses forces de répression pour la défense d’un régime corrompu et dictatorial, désormais il possède une idéologie plus mobilisatrice : la défense de la Syrie face à l’ingérence étrangère et l’islamisme. L’économie formelle est au point mort, mais il dispose d’un fort soutien financier et militaire de la part de l’Iran et de la Russie, ce qui lui permet de financer l’appareil d’Etat et d’entretenir l’armée. Les rebelles sont dans une situation plus délicate, les aides extérieures se réduisent faute de succès tangibles, le matériel sophistiqué tant attendu n’arrive pas, les oppositions armées et les oppositions politiques n’ont toujours pas réussi à s’entendre pour créer une véritable organisation structurée qui leur permette de passer de la guérilla à la prise du pouvoir.

L’année 2013 sera encore sanglante, nous devrions dépasser les 100,000 morts et le million de réfugiés dès l’été. Aucune négociation sérieuse n’est possible, car l’opposition est trop divisée pour que tout accord soit respecté sur le terrain. La Russie et l’Iran ayant beaucoup plus à perdre que l’Occident et les pétromonarchies du Golfe, il est impossible que les alliés de Bachar al-Assad lui retire leur soutien. L’issue de la crise syrienne se jouera sur le terrain militaire, pendant encore plusieurs mois ou plusieurs années. La population syrienne est devenue irréconciliable, ce qui signifie à terme une partition du pays. Bachar al-Assad peut gagner la guerre mais il ne gagnera pas la paix.

Propos recueillis par Théophile Sourdille :  Atlantico

1) Fin août 2007, voulant préparer le retour de la France dans le commandement unifié de l’OTAN,Nicolas Sarkozy a créé une commission de 35 membres chargée de rédiger un Livre Blanc de la Défense devant définir la nouvelle politique française dans ce domaine pour les quinze ans à venir.

Comme le révèle Le Canard Enchainé du 2 janvier 2008, cette commission, « outre les grands chefs militaires » s’avère un véritable nid de néo-faucons.Prenons le cas de François Heisbourg, l’un des rares français à avoir dirigé le très néo-conservateur International Institute for Strategic Studies de Londres (IISS), qui n’avait pas hésité à déclarer, dès septembre 2002, que« les armes chimiques et biologiques existent bien (enIrak), et leuremploi est tout à fait possible en cas de guerre. »

Comme le note avec ironie le Canard, « ce grand stratège prônait l’envoi de troupes françaises sur place. Et il vient de pondre un ouvrage intitulé ‘Le choix des armes’ qui brode sur un des thèmes chers à Sarko et aux Israéliens : pulvériser l’Iran, c’est dix-huit mois de soucis contre trente ans de cauchemar si on leur laisse faire la bombe. »

« L’autre inconditionnelle de l’Amérique, poursuit le journal satirique, est Thérèse Delpech, directrice des études stratégiques au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Cette néo-conservatrice exaltée, hier favorable à la guerre US en Irak, est partie en croisade contre l’Iran, ‘le grand perturbateur’. Dès 2005, elle exhortait les ambassadeurs européens à ‘quitter Téhéran’. »

« Et un troisième larron, Bruno Tertrais, a récemment publié sa propre contribution : ‘Iran, la prochaine guerre’ »

http://www.lepoint.fr/fil-info-reuters/les-rebelles-syriens-annoncent-une-bataille-decisive-a-alep-27-09-2012-1511053_240.php

http://www.marianne.net/En-Jordanie-l-Unicef-donne-la-parole-aux-femmes-syriennes_a225611.html

http://www.guardian.co.uk/world/2012/dec/27/syrian-rebels-scramble-spoils-war

http://www.guardian.co.uk/world/2012/dec/28/aleppo-revolution-abu-ali-sulaibi

 http://www.france24.com/fr/20130107-israel-syrie-golan-mur-securite-cloture-crise-rebelles-djihadistes

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