marty.robert@neuf.fr (avatar)

marty.robert@neuf.fr

Professeur émérite Sémiologue

Abonné·e de Mediapart

65 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 septembre 2009

marty.robert@neuf.fr (avatar)

marty.robert@neuf.fr

Professeur émérite Sémiologue

Abonné·e de Mediapart

Les pigeons de la télé

Divine surprise pour Luc Chatel, le nouveau ministre de l'Education Nationale : à l' Intermarché de Villeneuve-le-Roi, au rayon des fournitures scolaires, un commando de ménagères avisées, salariées du lieu priées de se trouver là.

marty.robert@neuf.fr (avatar)

marty.robert@neuf.fr

Professeur émérite Sémiologue

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Divine surprise pour Luc Chatel, le nouveau ministre de l'Education Nationale : à l' Intermarché de Villeneuve-le-Roi, au rayon des fournitures scolaires, un commando de ménagères avisées, salariées du lieu priées de se trouver là. L'une d'elles sait tout de son opération" Essentiels de rentrée" et la plébiscite tout en louant l'enseigne qui l'accueille (video 21sec ICI ). Un bidonnage vieux comme la politique, désormais érigé en méthode de gouvernement. De la ménagère en mission aux 3000 comptes en Suisse en passant par un président commandant des pizzas à vélo (voir ICI), l'été nous a fourni son lot de grosses ficelles complaisamment relayées par les télévisions ... Construire et/ou habiller l'expérience personnelle des citoyens est devenu la première préoccupation des pouvoirs en place car leur survie est étroitement liée à la proportion des pigeons qu'ils sont capables de lever au jour le jour ...

"Il y a un pigeon qui se lève tous les matins" est un vieux principe boursier ...

L'affaire des subprimes l'a montré surabondamment : le capitalisme et surtout le capitalisme financier a absolument besoin de pigeons pour prospérer (lire ICI). Par exemple, la titrisation célébrée par des discours de modernité, un dispositif sublime conçu pour faire avaler des actifs pourris en les enrobant dans des enveloppes alléchantes, ne pouvait se mondialiser sans une gigantesque entreprise de formation et de multiplication de pigeons à l'échelle de la planète. Une formation que Wall Street n'a pas le pouvoir de dispenser. Mais alors, qui donc s'en est chargé ?

Chaînes de fabrication

Dans tous les pays fonctionnent des télévisions rompues à ménager dans les cerveaux du temps disponible afin d'y loger des messages injonctifs du type "soif de Coca Cola"*. Mais ces médias n'ont pas à l'évidence des finalités uniquement commerciales. Sinon pourquoi les grands groupes industriels s'attacheraient-ils à s'en assurer le contrôle ? Les mêmes qui célèbrent l'élection du plus haut personnage de l'Etat au Fouquet's ? Un lieu tellement symbolique qu'on s'efforce de le faire oublier deux ans plus tard en allant commander des pizzas à vélo sous l'œil ému de caméras attendries ... Aujourd'hui les médias sous contrôle sélectionnent, conditionnent, créent même puis mettent en forme l'information sur le monde "comme il va" ( paraît-il ) afin de réserver d'autres temps disponibles, pour d'autres messages, d'autres usages et d'autres fins ... Pour ce faire deux champs d'action préférentiels en synergie parfaite, l'un dans le monde externe, l'autre dans le monde interne, car tout homme habite ces deux mondes ...

Dans le monde externe : habiller les faits.

Les faits sont des productions sociales. Certes à première vue on peut dire qu'ils adviennent, "et puis c'est tout " ... ... ce seraient des données "pures" de l'expérience immédiate ... cependant notons qu'ils peuvent en être exclus, comme l'a été, par exemple, le nuage de Tchernobyl ... quoi qu'il en soit ils sont, dès leur venue à l'esprit, logés, situés, repris dans le filet de nos systèmes interprétatifs qui leur confèrent un sens immédiat ...on plutôt des sens, selon la façon dont chacun a capitalisé, organisé, hiérarchisé ses expériences antérieures ... un processus le plus souvent inconscient opérant dans les esprits sous forme d'habitudes interprétatives collective ... par exemple, pour beaucoup de gens, un piquet de grève est une entrave caractérisée à la liberté du travail tandis que pour d'autres, si cette pratique n'avait jamais vu le jour, il ne nous resterait aujourd'hui que la liberté de se taire, ou de chômer ... De plus, pour aider à fixer une interprétation dominante les faits sont enrobés (comme le sont les "subprimes") dans des commentaires adéquats, catégorisés en compagnie d'autres faits plus malléables, plus conciliants et surtout les "bonnes interprétations" sont survalorisées, éditorialisées, marquées du sceau du sens commun, cette mesure prétendument objective et naturelle de toutes choses ... Remember le célèbre (il s'en serait passé) "papy Voise" ...

Dans le monde interne : façonner l'œil du pigeon

Il ne suffit donc pas de bien présenter les faits au pigeon en puissance, encore faut-il s'assurer de ses interprétations afin de garantir aux puissants un pilotage adéquat des visions du monde majoritaires qui s'exprimeront, car c'est le but recherché, dans des choix politiques majoritaires ( lire ICI, pour la vision de l'économie). Les techniques de communication vont donc prendre en compte non seulement les propriétés du message mais aussi les dispositions du récepteur. Dramatisation, scénarisation, storytelling créeront un climat qui fera tomber suffisamment de téléspectateurs de la catégorie des citoyens critiques dans celle des pigeons roucoulants de plaisir. Quant aux éventuels récalcitrants on pourra toujours leur inoculer de la vaccine sociale.

Un pigeon bien conditionné, au final, roule et roucoule contre lui-même dans un monde enchanté où les crises les plus dures ne sont guère que des historiettes d'avant le coucher ... Mais il peut advenir que les grosses ficelles crèvent l'écran ... et alors ce même écran nous fera vivre la saga des pigeons révoltés ...

*"Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible » P.Le Lay, 9 juillet 2004, AFP.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.