Franc-parler, parler-vrai et langue de bois ...

Les foucades verbales récurrentes de Georges Frêche et l'énoncé des motifs de la quasi dévotion dont il est l'objet de la part de ses partisans ont mis au premier rang l'expression "franc-parler" la qualité essentielle qu'ils lui attribuent. Ils l'apprécient tellement qu'ils ne retiennent nullement à sa charge ses incartades pourtant bien caractérisées (harkis sous-hommes, noirs en surnombre, tronche pas catholique de Fabius) aux antipodes des "valeurs". Mieux, lorsque leur idole les qualifie explicitement de "cons", ils persistent sans état d'âme dans leur adoration car c'est encore du "franc-parler" et puis comme il leur dit habilement, il est du Sud, et dans le Sud, le mot "con" a valeur de virgule. Donc ce n'est pas grave, finalement, entre eux et lui, c'est un signe d'affection méconnu de ces coincés de parisiens …

Eh con j'ai été élu par une majorité de virgules …

Avoir son franc-parlercon c'est dire sans réserve ni contrainte ce qui vient à l'esprit et si possible en termes crus pour en renforcer l'efficacité en choquant. Car choquer attire l'attention et contraint donc à prendre en compte ce qui est dit con surtout dans un champ (la politique) dominé par l'attitude opposée. D'ailleurs con dominé est bien faible car le franc-parler est une exception rarissime ; la caisse de résonance médiatique est telle que le moindre écart vis-à-vis de la pratique commune déclenche un torrent de critiques et d'anathèmes. Les abus ont été tels et depuis si longtemps qu'ils ont suscité un rejet tout à fait légitime con ouvrant une voie royale à qui sait parler franchement con au bon endroit con au bon moment … Donc, avec le franc-parler, les pensées les plus personnelles peuvent s'exprimer dans l'espace public sans subir le moindre examen, sans passer au crible de la raison, sans évaluation des effets qu'elles peuvent produire. C'est notamment le cas des pensées que les psychologues appellent "intrusives", ces pensées qui s'imposent à notre esprit, qui font irruption dans le champ de notre conscience, sans que nous arrivions à les contrôler. Elles peuvent être particulièrement dérangeantes, à l'intérieur et à l'extérieur. Chacun peut en faire l'expérience : le terme "sous-hommes", par exemple, peut surgir sans crier gare dans certaines situations de grande émotion. Voilà pourquoi il est très risqué de théoriser le franc-parler quand on a des responsabilités politiques et sociales et très risqué aussi d'en faire une qualité essentielle d'un politicien, car c'est donner libre-cours à des intrus pas très catholiques, capables de commettre de graves dégâts dans le corps social … Le pire de la nature humaine reprend alors droit de cité …La langue de bois

La métaphore est ravageuse, à la hauteur de l'exaspération qu'elle suscite dans la communication politique, car elle vise avant toute chose à dissimuler une carence, une incompétence ou une réticence à propos d'un sujet un peu délicat. L'expression chargée de banalités abstraites et pompeuses n'a qu'un but : "noyer le poisson" ... Des plaisantins inspirés ont même créé un "générateur de langue de bois" plus vraie que nature qui combine aléatoirement des phrases de cours de l'ENA. En voici un échantillon qui se passe de tout commentaire :

"Et c'est en toute conscience que je déclare avec conviction que l'aspiration plus que légitime de chacun au progrès social doit s'intégrer à la finalisation globale d'un projet porteur de véritables espoirs, notamment pour les plus démunis."Le violent rejet produit par cette phraséologie insupportable explique largement que l'on puisse se jeter aveuglément dans le franc-parler autant pour servir d'antidote que d'ultime recours contre la langue de bois. Mais le risque n'est-il pas encore plus grand ? Le parler vraiEn revanche, le parler-vrai, une expression sincère et aussi simple que possible, soucieuse de se conformer à la réalité des faits, sans mentir ou sans chercher à le faire répond à ce que l'on serait en droit d'attendre. Brice Hortefeux qui pratique le franc-parler quand il est Auvergnat illustre parfaitement le parler vrai, quand, Ministre de l'intérieur il dit : "Il faut parler vrai et ne pas se voiler la face. C’est vrai que, depuis le printemps dernier, la délinquance a atteint un palier, c’est-à-dire qu’elle ne baisse plus". Mais lorsqu'on décide de parler vrai est-on vraiment armé contre le franc-parler d'un olibrius larmoyant qui vous dit, par exemple : "c'est que moi, le peuple, il m'aime" et qui envoie par la figure de ses anciens "camarades" des jugements définitifs du genre : " Mitterrand ? "un vichyssois". Rocard ? "une lopette". Aubry ? "une féministe attardée"..." et quand il atteint un sommet de l'élégance en commentant une photo de Mme Mandroux, son adversaire PS : "Elle a trop de rides, ça va gâcher la photo."Et si je dis en parlant de lui qu'il est un "Bérurier rose", est-ce du franc-parler ou du parler-vrai ? En tout cas une chose est sûre con ce n'est pas de la langue de bois !