La métaphore de l'ascenseur social est un choix “grand public” pour traiter de la mobilité sociale, c'est-à-dire des changements de statut social des individus ou des groupes sociaux au cours du temps. On l'utilise volontiers pour suivre dans le temps les différences entre le statut social des parents et celui de leurs enfants. On s'accorde aujourd'hui pour dire qu'il est en panne. Ne serait-elle pas réductrice au point de produire une distorsion de réalité ?
Qu'est-ce que prendre un ascenseur ?
C'est pénétrer dans une cabine, appuyer sur un bouton afin d'indiquer l'étage auquel on veut se rendre, au-dessus ou au-dessous du niveau auquel on se trouve. C'est un mécanisme conçu pour obéir aveuglément à la volonté de l'homme. De plus il conduit à l'étage indiqué en parcourant un espace vertical linéaire absolument homogène, autrement dit sa marche ne dépend pas des étages de départ ou d'arrivée. Donc si je prends un ascenseur social je dois pouvoir en théorie, depuis l'étage “RMI”, me rendre d'un mouvement ascendant continu par exemple à l'étage “PDG de multinationale” ou de “l'EPAD”. Cette boutade est suffisamment explicite pour souligner le caractère hautement simplificateur de la métaphore. Pourtant on pourra toujours dire : “ça peut arriver” et on fera le récit de l'ascension sociale de tel fils d'ouvrier agricole ou d'instituteur devenu ministre ou recteur d'académie. Un sophisme toujours disponible pour nier la panne de l'ascenseur en évacuant que “social” veut dire que c'est la société civile toute entière qui doit être concernée.
Une autre métaphore : la “viscosité” sociale.
Avec ces termes on capture théoriquement cette tendance observée selon laquelle dans chaque couche sociale on limite généralement ses ambitions à l'accession à la couche immédiatement au-dessus de la sienne. Ainsi devenir professeur des écoles serait a priori le bâton de maréchal d'un fils d'ouvrier ou d'employé alors qu'un fils de cadre de PME se verrait bien dans la peau d'un PDG d'une entreprise cotée en bourse. Mais il faut bien prendre garde à la bousculade ! Ils sont tellement nombreux les enfants d'ouvriers qu'une toute petite d'entre eux réalisera son vœu tandis qu'en bénéficiant de la culture familiale les enfants du cadre accéderont à des “grandes écoles” qui leur ouvriront une voie dégagée vers les étages supérieurs. Tout cela pour constater que l'ascenseur social se déplace plus lentement dans les étages inférieurs que dans les étages supérieurs. Il en résulte que cette métaphore corrige sévèrement la première dont le caractère bien formel et illusoire devient patent : ça coince en bas, ça glisse en haut …
L'ascenseur social n'est pas qu'en panne !
On évalue la mobilité intergénérationnelle notamment avec les bien-nommées “tables de destinées” qui indiquent pour chaque catégorie le pourcentage d'individus qui ont conservé la position sociale de leur père. On a observé par exemple que 80 % des Américains sont persuadés que leurs enfants vivront au moins aussi bien qu'eux. En France, ce taux tombe à 34 %. Pour les milieux populaires, comme pour les classes moyennes, “la société est animée d'une puissante force de gravité qui tire vers le bas ”, disent Philippe Guibert et Alain Mergier, dans leur essai “ Le descenseur social ” (Plon, 2006). La réalité serait donc aujourd'hui à l'inverse de la métaphore qui la représente encore !
Il est temps de remettre les ascenseurs à l'heure !