Les signes aussi ont une vie … Bien qu’immuables dans leur apparence ils dépendent pour leur interprétation des époques et des domaines qui s’en saisissent. Ils peuvent donc présenter à l’esprit des objets très différents. En particulier, la vie d’un signe peut être affectée par un simple déplacement dans l’espace public. C’est exactement le cas du livre « La mauvaise vie » de Frédéric Mitterrand. Un signe aussi peut connaître une mauvaise vie …
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Les signes aussi ont une vie … Bien qu’immuables dans leur apparence ils dépendent pour leur interprétation des époques et des domaines qui s’en saisissent. Ils peuvent donc présenter à l’esprit des objets très différents. En particulier, la vie d’un signe peut être affectée par un simple déplacement dans l’espace public. C’est exactement le cas du livre « La mauvaise vie » de Frédéric Mitterrand. Un signe aussi peut connaître une mauvaise vie …
Une première vie littéraireBien que ce livre ne se présente pas comme une autobiographie il a été reçu, dès sa parution en 2005, comme telle. Sa littérarité est indiscutable (« ce livre est magnifique » écrit Jean-Paul Enthoven dans l’Express ) ; sa modernité est certaine, les étagères des libraires étant aujourd’hui surchargées de « récits de vie » de personnalités très diverses. Ces récits, très souvent sollicités et co-écrits, sont généralement revendiqués comme des thérapies répondant à un mal être. Ils ont au moins valeur de témoignage -plus ou moins littéraire- sur certains aspects de la condition humaine. Quand Frédéric Mitterrand se penche sur son passé il y trouve les caractères d'une mauvaise vie, qui ne lui plait guère. Il en fait un objet esthétique lancé avec succès dans le champ littéraire et culturel. Rien de plus actuel, rien de plus banal … L’entrée dans les institutions Cependant il se trouve que l’auteur porte un nom qui n’est pas commun, celui de son oncle. Pour les spin-doctors qui peuplent les avenues du pouvoir il est une cible très intéressante, une possibilité de triangulation (lire ICI) faisant suite à Bernard Kouchner, Eric Besson et autres … Une belle prise de guerre en puissance. Après un court stage à la Villa Médicis, le voici propulsé au Ministère de la Culture et de la Communication. L’auteur de « La mauvaise vie » est rentré dans le champ de la politique ; son livre, ignoré du grand public, est resté dans le champ littéraire. Une séparation qui repose précisément sur cette méconnaissance conformément aux calculs du Président et de ses spin-doctors.L’embrayeur PolanskiLorsque survient l’arrestation du cinéaste le ministre réagit sous le coup de l’émotion en créateur solidaire dénonçant avec excès un piège « absolument épouvantable », tendu « par une certaine Amérique qui fait peur, et c'est cette Amérique là qui vient de nous présenter son visage". Mais le piège est en fait une affaire de pédophilie qui pour être ancienne n’en est pas moins bien réelle et toujours en cours. Ce crime sexuel (« une histoire qui n’a pas de sens » selon le ministre) produit sur le champ un réexamen de sa personnalité - dont-il a lui-même livré des éléments - au-delà de sa lignée familiale et de son aura culturelle. Et voilà que les passages les plus glauques de son livre sont étalés dans les medias et commentés sans retenue et sans nuances sur la place publique. Une réponse politique à la triangulation qui ne s’embarrasse guère des susceptibilités. Le ministre n’a pas pris la précaution du « En tant que », comme disait Pierre Bourdieu : en tant que Ministre je vous dis ceci, en tant que créateur je vous dis cela. Une distinction certes formelle mais dont l’efficacité pour se garantir des confusions et des amalgames est largement vérifiée. Dès lors le livre-signe est rentré dans un autre champ, un autre réseau interprétatif.Sous le soleil des institutionsLe « signe de fait » en rejoignant son créateur devenu ministre est lui-même devenu « signe de loi » dans la mesure où, ayant été produit par un ministre de la Culture il est transmuté en acte de Culture Universelle. C’est ici que se trouve le point crucial car c’est le moment où l’Universalité de la Culture portée par un ministre de la République Française s’empare de la singularité du fait. De plus, ce phénomène peut se produire a posteriori car c’est ce que veut dire « universel » : en tous temps, en tous lieux. Autrement dit le fait est « détemporalisé » et « délocalisé ». Désormais, le débat sémantique sur « l’âge des garçons », des gosses ou des éphèbes dont il est question dans le livre peut s’engager sous l’éclairage institutionnel et sous l’impulsion de celles et de ceux qui souhaitent envenimer l’affaire en prolongeant et en noircissant la mauvaise vie du signe.
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