La polémique au sujet du rappeur Orelsan figure dans les rubriques "Culture" de pratiquement tous les organes de presse, des infos et débats TV. La question posée par "Sale pute" est in fine de savoir s'il est possible aujourd'hui de donner une définition explicite de la culture. Peut-on affirmer avec quelque certitude qu' un objet est culturel ou une personne est cultivée? Orelsan, demande l'arbitrage du Ministre de la Culture lequel "ne voit rien de choquant, ni de répréhensible dans la chanson". On peut alors se demander à bon droit s'il subsiste des objets, ou des pratiques qui ne se sont pas de la Culture … Où donc est passée l'inculture ?
L'inculture rentre dans la culture par la porte de l'expression …
L'inculture est plus facile à approcher que la culture. Car on peut faire appel utilement à la métaphore agricole. Est inculte en agriculture tout ce qui n'est pas travaillé par la main de l'homme, en état de nature sauvage, sans loi ni concept organisateur en vue d'une fin humaine : " terres incultes, vaines et vagues, et sur les marais.... qui ne sont ouverts aux usages publics des habitants du territoire, qu'à cause de leur inculture et de l'état d'abandon dans lequel ils se trouvent."* Dans le champ de la connaissance l'expression inculte se retrouve plus ou moins accumulée sous forme de fausses sciences (astrologie, parapsychologie, etc ..). Bien que leurs fondements soient irrationnels et incontrôlables elle est contrainte de singer les paradigmes scientifiques établis pour gruger les ignorants. Mais la pensée critique pourra toujours s'exercer à les réfuter. En revanche dans le champ de l'esthétique l'expression inculte, qu'elle soit individuelle ou collective, a tout loisir de se poser et de s'exposer en s'autoproclamant "artistique". En effet on sait que, depuis Marcel Duchamp et son urinoir (consacré comme icône de l'art du XXe siècle ) une œuvre est devenue le résultat d'un processus intellectuel plutôt que d'une incarnation de formes liées à un savoir-faire. Aujourd'hui c'est donc l'art qui légitime lui-même ses propres productions : Orelsan est plus proche de Duchamp que de Rimbaud et son "œuvre" est une sorte d'urinoir chanté.
devient marchandise …
Mais les objets d'art sont aussi des objets marchands. Comme ils sont la plupart uniques, ils entrent sur le marché avec l'avantage extraordinaire de la rareté. Dans ce domaine on ne fait pas mieux. Les institutions de l'art qui coopèrent dans la gestion du marché surimposent la loi du commissaire-priseur à la qualité des sentiments ressentis. Du "tout ce qui est rare est cher" on est passé à "tout ce qui est cher est beau" (la réciproque, bien sûr, est fausse). Il en résulte que toutes les expressions, de quelque nature qu'elles soient peuvent être saisies par le marché et tout naturellement les plus saillantes, celles qui s'imposent à la perception par leur caractère choquant ou outrageant vis-à-vis des valeurs les plus consensuelles, ont un traitement particulier. Valorisées à l'extrême par les "industries culturelles" elles occupent la presque totalité du champ consacrant le règne de la marchandise, ici comme ailleurs …
et n'en ressort plus !
Toute expression ainsi magnifiée en œuvre d'art acquiert un statut qui lui donne immédiatement accès à l'espace public, sans aucune restriction. Il y a même une sorte d'obligation d'en procurer l'accès à chacun, qui porte le nom de politique culturelle, incarnée dans des subventions publiques. Toute réticence, même justifiée par la protection des valeurs les plus fondamentales du fameux "vivre ensemble", la positionne au-delà de toute critique sociale. Il est impossible de lui dénier un statut garanti pratiquement par le gouvernement en la personne du Ministre de la Culture : sa nature "d'expression" la met sous la protection inconditionnelle de la "défense de la liberté d'expression". Il ne reste plus qu'à subir les infortunes de la culture…
La culture de l'Expression est devenue l'expression de la Culture …
*Robin, Mémoire sur les marais de Cléville, p. 57