Les lettres de l'alphabet constituent un répertoire universel de formes géométriques. Chacune d'elles peut donc être utilisée pour créer une image mentale de tout objet auquel elle ressemble. Grâce à elles, on est toujours quasiment sûrs de rencontrer la compréhension du sens commun. Les économistes ne se sont pas privés de les utiliser pour communiquer leurs prévisions sur le devenir de la crise. Inventaire exhaustif et valeur de connaissance …
Transmettre une idée par une icône
Pour transmettre une idée il faut une icône. Il existe trois sortes d'icônes : des images, des diagrammes et des métaphores. Les plus adaptées à la communication scientifique sont les icônes-diagrammes. En effet, elles représentent les relations des parties d'une chose par des relations analogues dans leurs propres parties. C'est ainsi qu'elles suscitent dans les esprits des formes qui sont aussi celles que produiraient l'objet représenté si on l'appréhendait directement que ce soit par perception ou par évocation. Plus précises et motivées que les métaphores - moins risquées aussi -, plus complexes que la simple image sans structure pertinente, elles s'imposent donc comme premier souci pédagogique à qui veut transmettre une idée … par exemple une prévision sur l'évolution du PIB mondial.
La revue des lettres
Pour “imager” ou plus précisément “iconiser” une crise toutes les lettres ne peuvent convenir. Tout simplement parce que le PIB ne peut pas remonter le temps. On ne voit pas une crise en B ou en G. Cependant il y a une première convention de représentation par un diagramme mathématique largement répandu. qui consiste à reporter dans un système d'axes, (PIB en ordonnées, temps en abscisses) les valeurs successives connues des PIB des principaux pays puis à joindre ces points par une ligne continue. Ensuite on considère “l'allure” de la courbe obtenue. On sollicite alors une analogie entre cette courbe et une lettre de l'alphabet qui va supporter l'essentiel de la communication. On est certain qu'elle sera appréhendée correctement. Mais l'objet de ce signe n'est rien moins que l'anticipation de l'évolution de l'économie mondiale. On voit bien à la fois l'économie des moyens employés en même temps que le caractère réducteur du procédé. Revue de détail des lettres utilisées :
L : chute brutale stoppée et stabilisée durablement … C'est l'opinion du prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz. (février 2009). L'économiste Wolfgang Münchau l'associe à une montée du protectionnisme (Financial Times mars 2009 )
U : chute brutale, pallier puis remontée rapide … C'est le point de vue de Nouriel Roubini, pour qui “la récession en forme de U pourrait se transformer en quasi-dépression (ou stag déflation) bien plus grave, de la forme d'un L”.
V :chute rapide, arrêt puis remontée tout aussi rapide … C'est la prophétie de Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, et la Maison Blanche y croit aussi …
W : chute rapide, petite remontée, nouvelle chute et nouvelle remontée au niveau initial, plus ou moins … C'est l'opinion de Paul Jorion, l'un des rares experts a avoir annoncé la crise, pour lequel la reprise sera en Wavec le deuxième creux bien plus profond que le premier.
Cette dernière précision montre combien la préoccupation pédagogique peut engendrer des illusions. Car entre un W bien formé et le W de Paul Jorion combien de fermeture d'usines, de plan sociaux, de régressions sociales en plus ? Et l'on peut en dire autant du L ou du U. Toutes les déformations sont envisageables, jusqu'à douter même de l'analogie. In fine, il faudra peut-être puiser des icônes dans d'autres alphabets. Le caractère cyrillique И, par exemple, pourrait accompagner une rechute consécutive à une euphorie prématurée qui dispenserait de modifier le système. On dirait que cette perspective se dessine …
Cependant une lettre n'est jamais évoquée qui semble être la plus proche de l'instant présent, c'est la lettre I . Est-ce un oubli ou un exorcisme ?
Il faut donc souhaiter que les Maîtres qui dirigent le Monde ne suivent pas les recommandations des économistes à la lettre ...