La figure du traître s'applique pour le sens commun à l'aventure individuelle d'une personne dont le comportement heurte une morale universelle. L'acte de trahison commis en contradiction avec un engagement, une cause à laquelle il adhérait est généralement réprouvé dans tous les milieux. Mais un traître ne dit pas que sur lui-même, il dit aussi beaucoup sur le camp qu'il trahit et sur le camp qu'il rejoint. En fait, le traître est triadique … Illustration …

De Judas à Besson en passant par Ganelon
Ils sont nombreux les traîtres dans l'Histoire* et dans la littérature. On trahit pour de l'argent (Judas), par ressentiment (Ganelon) ou par goût du pouvoir (Besson ?). Il existe encore d'autres motivations mais mon propos n'étant pas de les catégoriser, je m'intéresserai seulement, au vu de l'actualité politique, à ceux que j'appellerai "les traîtres d'ouverture" dont Eric Besson est indiscutablement le parangon. En effet, il démissionne du secrétariat national du PS en février 2007 (il fut l'auteur d'un brûlot contre Nicolas Sarkozy) pour participer à la campagne de ce dernier, devient ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire pour finir secrétaire général adjoint de l'UMP. Quelle improbable trajectoire politique ! Au point qu'on a évoqué à son propos le nom de Jacques Doriot communiste passé au fascisme et à la collaboration, ce qui est certainement très exagéré. François Hollande a dit de lui qu'il était "un traître heureux". Une façon de psychologiser le cas et d'éviter l'analyse. Le bonheur d'Eric Besson n'est pas un sujet politique.
Des traîtres d'union.
La signification (politique) du cas Besson exige de saisir d'un même mouvement de pensée les trois termes de la triade (PS, UMP, Besson) dans laquelle c'est clairement le dernier qui par ses actes et ses discours unit les deux autres. Mais pour que cette triade soit authentique il lui faut un fondement. Le fondement c'est une idée ou un ensemble d'idées que l'on trouvera dans chacun des trois éléments constitutifs de la triade. Ces idées doivent donc figurer dans le corpus idéologique du PS, dans celui de l'UMP (et donc dans l'esprit de Nicolas Sarkozy) et dans l'esprit d'Eric Besson. Il n'est pas besoin d'aller bien loin pour en trouver. La conversion officialisée récemment par le PS à "une économie sociale et écologique de marché, régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux, qui a pour finalité la satisfaction des besoins sociaux" est un panier d'idées proches de l'ordolibéralisme allemand qui donne depuis ses débuts le tempo à l'Europe. Pour l'UMP son chef le claironne en tous lieux "je crois à l'économie de marché, je crois à la liberté du commerce, mais je veux un capitalisme qui ait des règles". Quant à Eric Besson il déclarait en janvier 2009 à Europe1 : " Qui aujourd'hui porte sur la scène européenne et sur la scène mondiale le discours de régulation que je tenais et qui m'a fait entrer en politique? c'est Nicolas Sarkozy ! ». Où tenait-il ce discours en tant que secrétaire national à l'économie ? Au PS, bien sûr…Et voilà comment dans l'esprit du traître se constitue la triade qui supporte la passerelle du PS à l'UMP…
Traîtres absolus et traîtres, mais pas trop …
Le fondement en question fonctionne donc comme un panier d'idées dans lequel "l'ouverture" va trouver son aliment et les traîtrises diverses et multiples leur alibi. On trouvera donc une gradation dans la traîtrise d'ouverture depuis les traîtres absolus qui passent avec armes et bagages en reniant tout ou partie de leur passé ( Bernard Kouchner converti à la realpolitik, Michel Rocard devenant ministre des pingouins, Max Gallo devenant académicien) jusqu'aux traîtrises "soft" comme celles de Fadela Amara (sur fond de diversité "agissante") de Jack Lang (comme ego "utile" à la nation) de DSK au FMI (à la limite) et peut-être maintenant Philippe Val (venant dit-on de la gauche"Carlita" ) à France Inter et Claude Allègre n' plus besoin de lunettes noires il a toujours eu le physique de l'emploi. Comme d'une part le vivier de la traîtrise n'a pas de limites idéologiques et comme d'autre part l'accroissement continu du nombre des prises en conforte la légitimité, la pêche au "social-traître" (dans le jargon léniniste, c'était un social-démocrate accusé de trahir les intérêts de sa classe) est toujours ouverte. La seule limitation peut venir de la qualité des eaux du pouvoir, que la crise et son traitement inégalitaire rendent de plus en plus malsaines. Car échouer sur une grève le ventre à l'air n'est pas une bonne perspective, ni pour un vieux loup de mer, ni pour un jeune loup … Mais les appâts sont bien tentants …

Les conséquences pratiques
La triade en action crée un flux orienté de la gauche vers la droite. Dès que ce flux est assez important il assèche significativement sa source, contribuant ainsi, d'une certaine manière, à l'épurer de ses éléments les plus idéologiquement "toxiques". Corrélativement il convoie vers l'autre camp, des idées et des pratiques singulières voire étranges et mêmes étrangères qui sont consubstantielles à l'idée même de trahison. De plus on observe un évident effet pervers : la dévalorisation du camp recevant qui se trouve fortement suspecté de déficit d'idées et de pénurie en personnel de qualité. Certains s'en inquiètent, non sans raison …A la limite on entrevoit le moment évoqué dans cette raillerie à l'égard d'un congrès anarchiste dont la séance estlevée après que son président a fait le constat que tous les assistants sont de la police !
* L'Université de Nancy 2 organise en septembre 2009 un colloque international "La trahison au regard des sciences sociales", un phénomène très peu étudié.