L'onomastique, c'est la science des noms propres. Elle renferme l'anthroponymie, relative au noms de personnes. Selon les plus éminents sémiologues le nom propre est "le prince des signifiants" (Roland Barthes ) et "sa généralité est d'ouverture", car il offre une "possibilité d'engendrement infini de significations" (Charles S. Peirce). Introduire un Mitterrand dans un gouvernement de droite constitue donc une opération essentiellement sémiotique. Elle est très différente des "ouvertures" antérieures. Pas seulement parce que l'intéressé n'a jamais été très à gauche. Une opération qui mérite d'être décortiquée avec des outils appropriés …
Un nom propre, c'est un doigt pointé sur quelqu'un …
Le nom propre fonctionne d'abord comme signe indexical ("un index", autrement dit "un doigt pointé") car il permet d'individualiser, de singulariser des sujets de discours. C'est un signe qui entretient avec son objet des relations réelles, indépendantes de toute convention du moins à l'origine, lors de sa constitution comme signe. Frédéric Mitterrand est réellement en relation avec son oncle.
Un nom propre peut convoquer un mythe …
Le nom propre fonctionne de surcroît comme signe symbolique dans la mesure où il peut représenter une classe à laquelle appartient son objet. Ceci au moyen d'une convention surimposée par l'usage sur la relation originelle. Il s'avère que l'oncle étant aussi le Tonton des français la seule énonciation du nom du neveu produit mécaniquement la présence à l'esprit du président disparu constitutif de l'identité des socialistes. Le nom propre ne se contente pas de désigner un individu, il peut atteindre la généralité du mythe. Proust, par exemple, choisit des noms propres pour renvoyer d'une part à l'aristocratie ( Guermantes, Laumes, Agrigente, … ) et d'autre part à la roture (Verdurin, Morel, Jupien ... ). Le nom de Frédéric Mitterrand produit donc des effets qui dépassent l'individu singulier.
"L'hypersémanticité" du nom propre
Le nom propre fonctionne aussi comme un signe iconique. Contrairement à la majorité des noms communs, c'est un signe largement "motivé", car il possède des qualités en commun avec son objet. Traits d'origine génétique (ressemblances), éléments de culture familiale (la littérarité, par exemple, chez les Mitterrand). Le nom propre, d'une manière économique, ouvre "des avenues de sens" (Barthes). Le seul nom de Frédéric Mitterrand mobilise donc tous les niveaux possibles de la communication. Tant aux niveaux émotionnel et factuel que symbolique, il "triangule" activement parachevant l'escalade sémiotique de l'ouverture.
Le PS : participation sans soutien …
Se plaçant au-dessus des figures de moindre importance déjà présentes de Kouchner, Besson, Bockel, Fadela Amara, Hirsch la figure du Président Mitterrand achève de configurer un ensemble structuré dont il est la clef de voûte. L'effet de sens est très fort. Au point qu'on peut ressentir comme la présence au sein du gouvernement d'un analogon de Parti Socialiste, une image stable et prégnante tissée comme un logo de sponsor sur un maillot de sportif. La seule évocation du nom du nouveau ministre de la culture produira sa présence à l'esprit du moins averti des citoyens. Les dénégations du PS n'auront pas plus d'effet que ses indignations lors des hold-up réalisés sur Jaurès, Blum ou Guy Môquet. Sauf que ces derniers étaient circonstanciels … Dorénavant c'est à son corps défendant que le PS sera associé à la politique qu'il prétend combattre.
Ce sera peut-être le seul aspect positif de l'affaire : l'achèvement de la captation d'héritage par les habiletés manœuvrières pourrait être le déclencheur d'orages désirés …