Cette planche, confectionnée et prononcée dans le cadre de la rubrique « 5’ minutes d’actualité », aurait dû l’être dans le cadre de la rubrique « 5’ minutes de symbolisme », si j’avais obtempéré à la fraternelle invitation du collège des officiers. Afin de mieux faire accepter mon refus, j’ai proposé à notre Vénérable de travailler sur une planche d’actualité. Marché conclu.
Evidemment, l’interpellation des frères du collège des officiers m’a plongé dans un abîme de réflexions. Si bien que, chemin faisant, j’ai entrepris de travailler à une planche qui serait une sorte d’hybridation entre une planche dite d’actualité et une planche dite de symbolisme. Cette hybridation sera-t-elle féconde ou inféconde ?
La question que je pose ne l’est pas au hasard. En effet, l’invitation du collège des officiers est intervenue le jour où nous avons répété la tenue funèbre en hommage à notre frère Alain Quéré, soit trois jours avant la sortie familiale sur le site de Brameloup. Au cours de cette merveilleuse journée, sous un magnifique soleil et par une température idéale, j’ai appris beaucoup de choses sur la nature grâce à la science de notre Vénérable maître, bien secondé par l’épouse de notre frère Hakim et par la fille de notre frère Jean-Pierre. Notre frère Alain nous parlant de telle ou telle plante obtenue par hybridation, je m’en étonnais, pensant que l’hybridation était nécessairement asexuée donc inféconde. Pour compliquer le débat, Grand Robert à l’appui, j’ai appris que selon qu’elle était de variétés ou d’espèces, l’hybridation pouvait être féconde ou inféconde.
Mais je m’égare. Je ne vais pas davantage me dérober à l’explication que je vous dois sur ma résistance, voire ma rébellion, vis-à-vis de tout travail sur le symbolisme. Quitte à ce que vous considériez que ma tournure d’esprit soit par trop captieuse, je tiens à vous dire que ma réticence à me prêter à un travail sur le symbolisme n’induit pas du tout que je rejette le symbolisme. Nier le symbolisme serait d’un ridicule achevé, tant la vie dans toute son acception, aussi bien initiatique que profane, repose sur une myriade de symboles.
La reconnaissance de la consubstantialité entre la vie et les symboles ne m’amène toutefois pas à souhaiter travailler sur aucun des symboles.
Rappelons que le mot symbole désigne, étymologiquement parlant, un objet séparé en deux, dont deux individus possèdent chacun une moitié s’imbriquant parfaitement dans l’autre. Le symbole symbolise donc, si je puis me permettre la tautologie, l’idée de partage avec l’autre, de reconnaissance de l’autre.
Le symbole est d’autant plus un signe de partage et de reconnaissance, que l’idée qu’il entend symboliser est simple, compréhensible par tous, insusceptible d’interprétations multiples. Gloser dessus, c’est s’exposer au risque de complication de sa signification et, partant, de tentation vers l’élitisme. Tentation à laquelle je me refuse.
Autant il me paraît nécessaire que chaque individu entrant dans un milieu quelconque, a fortiori maçonnique, en apprenne le plus vite possible les multiples symboles en cour dans ce milieu, autant il me paraît naturel de s’assurer auprès de l’impétrant, apprenti chez nous, qu’il a bien assimilé nos symboles, autant je suis lassé d’entendre, après 24 ans de maçonnerie, la énième variation sur l’un ou l’autre de nos objets symboliques. Par dérision et par analogie avec la religion, j’assimile maintenant nos objets symboliques à des objets du culte et notre tenue de travail à des habits sacerdotaux.
Quoi qu’il en soit, j’accepte de bonne grâce de les utiliser.
Le plus sidérant, pour moi, étant qu’en plus, à l’issue des planches entrant dans la séquence « 5’ minutes de symbolisme », la possibilité soit offerte à la parole de circuler. Là où, par définition, il n’y a rien à rajouter, tant l’accord règne sur les colonnes. Alors que, par opposition, les planches entrant dans la catégorie « 5’ minutes d’actualité » sont fermées à toute possibilité de débat.
Notre obstination à vouloir à tout prix compliquer à souhait le sens de nos symboles me renvoie à un excellent axiome qu’aimait à nous rappeler les enseignants de l’école de journalisme que j’ai fréquentée : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », si par hasard nos copies étaient par trop abstruses.
Mais là n’est pas le plus regrettable.
Le plus regrettable est que beaucoup trop de dignitaires de notre obédience, dont le symbolisme constitue l’alpha et l’oméga de leur conception de la maçonnerie, dont le discours regorge de références itou, n’ont pas les qualités morales à la même hauteur. A tout prendre, je préfère des hommes au savoir symbolique bien moindre, mais à la rectitude morale exemplaire. Pour autant je ne suis pas du tout adepte de l’ordre moral, mais enfin, il doit y avoir des limites à l’égoïsme et à l’ambition personnelle.
Voilà que maintenant, des illustrissimes se divisent médiocrement en partisans du rite français et en partisans du rite écossais. Tous les coups paraissent permis à ces personnages pour parvenir à leurs fins. Mais comme je ne suis plus un jocrisse, comment pourrais-je accepter que ces hommes et leurs féaux viennent me donner des leçons de bonne conduite maçonnique ?
Au moins, sous mes dehors outranciers, j’ai la certitude d’un désintéressement absolu et de n’être mu par aucune ambition personnelle, sauf par celle de combattre les exploiteurs et les imposteurs.
A ces hauts gradés de notre obédience, qui perdent leur temps et nous font perdre le nôtre par leurs oppositions artificielles, je propose qu’ils mettent tout leur savoir et toute leur énergie à réduire la seule opposition, bien réelle celle-là, à l’origine de toutes les inégalités et injustices sociales, je veux parler de la domination d’une classe sur toutes les autres, baptisée lutte des classes par des esprits très vulgaires, dont je suis.
Pour cela, il faudrait qu’ils acceptassent de mettre leurs ambitions et carrière en péril. Impossible. Mais comme il n’est pas avouable de reconnaître qu’ambitions et carrière passent avant tout, tout ne va être que rideau de fumée pour expliquer aux nigauds que la lutte des classes ça n’existe pas ou plus, que c’est une vieille lune du 19ème siècle, qu’il s’agit d’une pensée ordinaire, mais en revanche, ils nous vendent la fable du « pas de politique ici ». Il en est même qui, déistes, cultivent l’idée d’une puissance mystique supérieure, genre grand architecte de l’univers. En somme, ce qui est improuvable existe, mais ce qui peut se prouver par des milliers d’occurrences n’est que vue de l’esprit. Encore heureux s’il n’est pas malsain.
S’il en est qui, éventuellement, se demande ce que je fais au Grand Orient, je leur réponds que nul n’en est propriétaire. Encore moins ceux qui n’y voient qu’un moyen de satisfaire leur égo, hélas trop nombreux aux échelons supérieurs.
Robert Mascarell
le 12 novembre 2008