Robert MASCARELL

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Billet de blog 12 juillet 2011

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Pédagogie de la lutte des classes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

PEDAGOGIE DE LA LUTTE DES CLASSES

Ma volonté d’aller chercher les économistes libéraux dans leur antre m’a amené à entrer en débat sur son blog avec Guy Sorman et les internautes fréquentant son site. Guy Sorman est un des économistes libéraux omniprésents sur les ondes radio et télé.

Guy Sorman ne peut faire un article sans y exprimer sa phobie de la lutte des classes et jeter Marx aux orties. A l’inverse je reconnais que je suis peut-être atteint du même mal, mais dans l’autre sens.

Ce débat m’a donc amené à expliquer, de la manière la plus pédagogique possible, ce qu’était la lutte des classes, et en quoi elle était toujours d’actualité.

Ci-après, je reproduis la substantifique moelle de ce débat :

« Voyez-vous, Monsieur Sorman, quand un salarié cherche à se faire embaucher par un employeur, il n’a qu’une idée en tête : obtenir le salaire le plus élevé possible, pour la durée de travail la moins longue possible et l’intensité de travail la plus douce possible.

De son côté, l’employeur n’a qu’une idée en tête : embaucher le salarié au salaire le moins élevé possible, pour la durée de travail la plus longue possible et la productivité la plus intense possible.

Cet antagonisme d’intérêt s’appelle la lutte des classes.

Cette règle vaut, que le salarié, ou, en face de lui, l’employeur, soient compétents ou incompétents, gentils ou méchants, bons pères ou mauvais pères, bons voisins ou mauvais voisins,….. Bref, en supposant que le salarié soit doté de tous les défauts de la création et que l’employeur soit doté de toutes les qualités du monde, ça ne change rien à l’antagonisme d’intérêt les unissant.

L’employeur qui, par bonté d’âme, voudrait payer son salarié plus cher que son concurrent, ne résisterait pas longtemps.

En fonction du rapport de force, d’un moment donné, l’antagonisme d’intérêt est ressenti plus ou moins collectivement par les salariés.

Depuis 1980, environ, les tenants du libéralisme ont, c’est vrai, réussi à faire croire à beaucoup de salariés que la lutte des classes n’existait plus. Ces salariés ont perdu leur conscience de classe. Ils n’ont qu’une approche individualiste de leur relation avec leur employeur. Pour autant, ça n’efface pas que l’intérêt du salarié, même non conscient, est contraire à celui de son employeur. Le seul intérêt commun que l’un et l’autre ont, c’est la pérennité de l’entreprise. Et encore, ce n’est plus le cas dans les entreprises possédées par des fonds de pension.

Qu’en sera-t-il demain ?

Le rapport de force peut basculer dans l’autre sens. Et là, le salarié, jusque-là individualiste, accèdera à une conscience collective de son sort. Il se liera aux autres salariés de son entreprise, et au-delà, de sa branche professionnelle, et au-delà, de sa région, toutes branches professionnelles confondues, et au-delà........ Je vous laisse imaginer la suite.

Une chose est certaine, la lutte des classes est au capitalisme, ce que le gaz carbonique est à la vie. Selon les périodes, elle est plus ou moins aigüe, voilà tout.

Dussé-je gâcher la quiétude de votre bonne conscience, la lutte des classes n'est pas une "vieille lune". »

Cette explication sur la réalité de la lutte des classes a suscité de nombreuses réactions de la part d’internautes fréquentant le blog de Guy Sorman.

La principale a consisté à considérer que soit la lutte des classes n’existe pas, soit elle fonctionne sur le même principe que la loi de l’offre et de la demande chère aux capitalistes.

L’autre objection est formulée de la manière suivante : « Il n’y a pas une corporation d’employeurs contre une corporation de salariés ».

Ces objections m’ont inspiré les réponses suivantes :

« La lutte des classes fonctionne effectivement sur le principe de la loi de l’offre et de la demande. Sauf qu’il y a plusieurs différences de taille.

La loi de l’offre et de la demande consiste en la vente d’une marchandise par celui qui la possède, le vendeur, à l’acheteur, au prix le plus élevé possible, en fait à celui fixé par le marché. La marchandise est physiquement séparée de son vendeur. Une fois vendue, le vendeur ne la possède plus.

Souvent, le vendeur ne vend pas qu’une marchandise à l’acheteur, il en a d’autres en stock. De plus, sauf exception, le vendeur n’est pas captif de son client-acheteur. Il en a de nombreux autres.

Enfin, sauf marché captif, le vendeur et l’acheteur d’une marchandise sont dans un rapport d’égalité.

Dans la lutte des classes, la marchandise échangée n’est pas séparable de celui qui la vend. La marchandise vendue s’appelle la force de travail, le vendeur s’appelle le salarié. Force de travail et salarié sont donc indissociables. L’employeur-acheteur de la force de travail ne se contente pas de la payer une fois pour toute, au prix du marché du travail, au moment de l’embauche. Il va essayer d’en tirer le plus grand rapport possible pendant une période de durée variable, parfois au détriment de la santé du salarié-vendeur.

Le salarié qui n’a que sa force de travail à vendre, ne peut, sauf exception, la vendre qu’à un seul acheteur-employeur. Il en est donc captif. D’autant plus, quand le marché du travail est défavorable aux salariés. Par ces temps de chômage croissant, c’est le cas.

Enfin, et c’est la différence la plus exorbitante, sauf marché du travail favorable aux salariés, dans le rapport induit par la lutte des classes, l’acheteur de la force de travail a le pouvoir de sanctionner ou de licencier le vendeur de sa force de travail. Ce dernier n’a que la ressource de se taire ou de s’organiser à la CGT, par exemple et au hasard, pour défendre ses intérêts, uni aux autres salariés.

Il est donc abusif de faire l’amalgame entre la loi de l’offre et de la demande et la lutte des classes. Dans le premier cas, le vendeur vend un produit, dans le second, le vendeur se vend lui-même et y laisse souvent sa santé.

La différence est de taille !

Si j’avais le talent de Raymond Devos ou la foi des évangélistes, je pourrais essayer de créer un sketch ou une parabole. Ce serait l’histoire d’un salarié vendant sa force de travail pour vendre les marchandises produites par son employeur. Les deux actes de vente sont ainsi réunis dans ce raccourci, mais il n’empêche que chaque acte conserve sa logique propre. Les VRP vivent cette situation tous les jours.

Les libéraux économiques, type Guy Sorman, ramènent la lutte des classes à la loi de l’offre et de la demande exclusivement. Ils font semblant de ne pas voir la différence. Ils oublient l’homme. »

A l’objection relative à l’inexistence d’une corporation d’employeurs contre une corporation d’employeurs, j’ai répondu : « Libre à vous d’être candide. Pourquoi croyez-vous qu’il existe des organisations spécifiques de salariés et d’employeurs ? ».

La lutte des classes concerne aussi bien les salariés qui ne possèdent que leur force de travail et leurs employeurs (à partir de un salarié jusqu’à l’infini) qui possèdent les moyens de production.

L’artisan ou la profession libérale qui n’emploie aucun salarié, mais possède ses moyens de production n’est pas concerné par la lutte des classes.

Cette distinction de classe n’a pas de rapport avec la hauteur du revenu. Il se peut tout à fait qu’un salarié cadre d’une grande entreprise, par exemple, ait un salaire beaucoup plus élevé que les revenus d’un employeur d’une petite entreprise. Il n’en reste pas moins que ce cadre salarié, ne disposant que de sa force de travail et ne possédant pas le moyen de production mis à sa disposition par son employeur, fait partie de la classe salariale. Alors que le petit patron aux revenus plus faibles fait partie de la classe des employeurs.

Il est bien évident que les salaires des salariés sont très disparates, de même que les revenus des employeurs.

En bon observateur de la vie économique et sociale, vous avez dû remarquer que les organisations syndicales de SALARIES (du manœuvre jusqu’au cadre) ne syndiquent pas les non-salariés. Du côté des syndicats patronaux c’est pareil, mais dans l’autre sens. En ce qui concerne les patrons des PME, leur organisation (CGPME) est affiliée au MEDEF.

Reste le cas des artisans et professions libérales n’employant aucun salarié, mais possédant leurs moyens de production. Ils ont leurs organisations professionnelles. Ils font partie de la masse hétérogène de la classe moyenne.

Cette organisation sociale confirme en tous points que notre société est divisée en classes sociales, déterminées en fonction de leur position par rapport à la possession ou pas des moyens de production, et par rapport à l’exploitation ou pas d’autres hommes non-propriétaires d’un moyen de production.

La classe sociale ne se détermine pas par rapport au type de revenu. D’ailleurs, les rentiers ne constituent pas une classe sociale. Si en plus de toucher des rentes, ils possèdent des moyens de production et emploient des salariés, ils font alors partie de la classe des employeurs.

Cette division est évidemment grossière. Les retraités par exemple, ne travaillant plus, n’étant plus impliqués dans le processus de la production, se rattachent psychologiquement, le plus souvent, au corps social dont ils sont issus.

Cela dit, il peut tout à fait arriver qu’un médecin ou un artisan se sente politiquement solidaire des travailleurs, et c’est très bien ainsi. Il n’en reste pas moins qu’économiquement ni l’un, ni l’autre ne sont des salariés.

Une objection consiste à diviser la société en riches et en pauvres.

Je ne divise pas la société en riches et en pauvres. Il peut exister des patrons pauvres et des salariés riches. Mais où place-t-on le curseur de la richesse ? Donc, il n’est pas possible d’analyser la société en une classe de riches et en une classe de pauvres. Il n’existe ni relation économique, ni relation juridique entre un riche et un pauvre.

Alors qu’il en existe nécessairement une entre le salarié et son employeur. Si bien qu’il peut arriver, dans les petites entreprises notamment, que le patron soit moins aisé que son salarié. Il n’en restera pas moins que la volonté de l’un sera de gagner plus et la volonté de l’autre de payer moins. Et les deux auront l’un envers l’autre des droits et obligations juridiques.

Robert Mascarell
croit plus à l’existence de la lutte des classes
qu’à celle de dieu

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