Je prends conscience que, par un curieux effet de mode, même dans les rangs les plus éclairés, certains succombent, peu ou prou, au poison du dénigrement des partis politiques. La félicité résiderait dans LE CITOYEN, inorganisé si possible. De lui seul peut sortir le vrai, le juste, le bon.
Le citoyen est à ce point bon consubstantiellement, que certains vont même jusqu’à récuser les partis politiques et leurs membres, et à considérer que le tirage au sort pourrait être le moyen de choisir, parmi les participants à une assemblée de citoyens, celui qui, comme candidat à une élection politique, portera la parole et les intérêts de ses congénères. Pourquoi ne pas faire de la candidature à l’élection un des lots à gagner d’une tombola, tant qu’on y est ? Ça rapporterait de l’argent aux organisateurs de la réunion en plus. Absurde.
Il s’agit là de la forme extrême de ce que j’appelle la religion du citoyen. La forme plus adoucie de cette religion me laisse tout aussi perplexe. Elle consiste en l’élection par l’assemblée de citoyens du candidat volontaire y participant. Autant que possible, voire condition sine qua non, il vaut mieux que le candidat en question ne soit pas adoubé par un parti, pour qu’il n’y ait aucun soupçon de récupération.
A ce petit jeu là, il ne faudrait pas qu’on en arrive à considérer que les membres d’un parti politique ne sont pas des citoyens comme les autres, devant faire l’objet de l’opprobre général. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas honte d’être membre du Parti de gauche. Je m’y sens entouré de femmes et d’hommes à l’esprit ouvert, tolérant et démocratique, rompus à tous les pièges que tendent les adversaires politiques.
Qui ne voit que cette mode est en réalité orchestrée par ceux qui ne veulent surtout pas de la démocratie. Les syndicalistes vont me comprendre.
Dans nombre d’entreprises, en effet, les patrons font tout pour contourner les syndicats représentatifs. Ils préfèrent avoir affaire à des représentants du personnel maison, dont ils ont suscité la candidature. Ces élus complaisants sont évidemment plus facilement manipulables que ceux organisés dans des syndicats dignes de ce nom.
Le parallèle entre citoyens inorganisés et représentants du personnel sans étiquette syndicale me paraît devoir être fait pour illustrer l’impasse que constitue la religion du citoyen non engagé.
Quitte à passer pour un vieux con, cette manière de faire ne me paraît pas être un exemple de démocratie. La politique c’est beaucoup plus sérieux que cela. La gestion du bien public aussi.
La grande prêtresse de cette religion est Ségolène Royal. Malheureusement, nous la vraie gauche, je pense que nous y sacrifions trop. Certes à notre manière plus exigeante, mais en contribuant qu’on le veuille ou pas à la défiance envers les partis. Les débats autour de la préparation des élections départementales et régionales en sont l’illustration.
Faire de la politique ce n’est pas seulement participer épisodiquement ou occasionnellement à une réunion publique et y soulever une question qui vous tient à cœur, et de là, si la prestation a été réussie, apparaître comme un candidat possible.
Faire de la politique c’est s’engager au long cours dans une organisation politique, autour d’un projet global de vie en société. Le parti politique, tel que nous le concevons dans la vraie gauche, est un lieu d’éducation populaire, où s’acquièrent lentement, au contact des autres, des connaissances en matière d’histoire, de philosophie, d’économie, de gestion et d’organisation et évidemment d’expression orale et écrite. Mais l’engagement politique c’est aussi du militantisme de base : distribution de tracts, collage d’affiches, porte à porte. Pas seulement pendant les campagnes électorales. Bref, le candidat aux suffrages des électeurs n’est pas choisi sur un coup de cœur ou par je ne sais quelle improvisation.
Je suis évidemment favorable à l’organisation d’assemblées citoyennes, avec débats les plus larges et les plus libres possibles. Avant, on appelait ça : réunions publiques. C’est un des moyens pour beaucoup, d’entrer en politique et d’adhérer à l’organisation politique de leur choix. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Sauf circonstances exceptionnelles, situation révolutionnaire par exemple, les candidatures spontanées ne donnent aucun gage de sérieux.
Je soutiens aussi tout ce qui peut donner plus de pouvoirs aux citoyens. C’est même pour cela que j’ai signé l’appel pour le Mouvement en faveur d’une 6ème République.
Entre autres propositions pour avancer vers une vraie démocratie citoyenne, le recours au référendum populaire y sera facilité. Mais surtout, la possibilité sera donnée aux citoyens de pouvoir révoquer en cours de mandat leurs élus politiques. Évidemment, la mise en œuvre de ces pouvoirs devra faire l’objet d’un certain nombre de conditions.