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Ancien directeur général d’une société de conception et de pilotage de grands projets d’aménagement et de développement des territoires

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Billet de blog 7 octobre 2024

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Changer de cap , mais pour quelle rive?

Si la nécessité d'un changement radical de cap pour affronter les défis de ce siècle ne fait aucun doute, la question de la stratégie de changement est loin de faire l'unanimité. Le texte de ce billet évoque de manière simplifiée comment le changement de cap a été jusqu'ici abordé.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En apparence, les débats concernant la « transition écologique » (terme particulièrement ambigu) sont partout et concernent les instances politiques internationales, nationales et locales ainsi que le monde économique, le monde scientifique et intellectuel  et la société civile dans son ensemble. Ils sont censés concerner l’avenir de l’humanité et de la planète qu’elle habite et exploite. Et pourtant, si les évolutions tendancielles du climat et de la biodiversité sont assez bien cernées par les scientifiques,  qui peut dire qu’on y voit clair sur les trajectoires permettant de remédier aux impacts les plus négatifs de ces évolutions et sur ce qui est demandé aux divers protagonistes  ?

La multiplicité même des sujets de discussion empêche de pouvoir débattre sereinement et démocratiquement d’un objet politique -au sens originel de l’exercice d’un pouvoir dans une société organisée permettant le développement de cette société- aussi capital pour tous les humains : Débats sur les responsabilités, sur le financement, sur les échelles territoriales, sur les stratégies, sur les modes de pilotage, sur les échéances, etc. D’où une abondance de propositions parfois contradictoires, mais qu’on essaie de combiner pour ne fâcher personne et donner l’impression que l’on agit. Si le sujet est politique, il se prête aussi malgré sa nature à des conflits d’intérêts de toutes sortes et à des jeux politiciens. Et le fonctionnement actuel des médias et des réseaux sociaux multipliant les fausses pistes et les terminologies trompeuses contribue largement à la confusion ambiante.  Il faut aussi noter l’importance de la dimension émotionnelle chez le citoyen de base certes, mais aussi sur bien des responsables c politiques ou économiques ; l’ampleur des changements à opérer crée un sentiment de peur et d’impuissance qui nourrit toutes les déviances.

Et pourtant, on dispose de plusieurs tentatives pour aborder de manière holistique la question des trajectoires possibles et souhaitables :

  • Des scenarios ont été faits en prenant des hypothèses contradictoires concernant l’action publique à des échelles internationales ( ex :récent rapport du Club de Rome), nationales (ex : scenarios faits par l’ADEME pour la France) ou territoriales (les principales métropoles mondiales ont tenté des exercices similaires). En général, les hypothèses d’action publique tournent autour de mesures plus ou moins fortes selon les moyens disponibles, les technologies nouvelles à mettre en place, la protection plus ou moins importante et plus ou moins égalitaires des populations vis-à-vis des impacts négatifs estimés ; le tout sans vraiment remettre en cause le système économique et financier actuel, les équilibres géostratégiques, les modes de vie et les valeurs afférant au « monde moderne ». Néanmoins, d’autres scénarios vont plus loin et formulent des hypothèses plus radicales dites de « bifurcation ». Celles-ci touchent les concepts économiques, le système monétaire international, les systèmes de mesures, les modes de vie, et, par-là, remettent en cause plusieurs modes de gouvernance actuels. Ces scénarios de rupture sont souvent qualifiés d’utopiques par leurs détracteurs. On peut trouver une remarquable description d’un scénario de rupture rendu plausible et réaliste dans le roman très bien documenté de Kim Stanley Robinson « le Ministère du Futur »
  • En parallèle, plusieurs voix intellectuelles et scientifiques se sont faites entendre pour, d’une part montrer l’impasse des trajectoires en cours actuellement, parcourir de nouveaux champs conceptuels et philosophiques mieux adaptés au monde qui vient et pour tenter de décrire des processus de rupture crédibles. Ils considèrent en effet de manière convergente que seules des trajectoires de rupture (de bifurcation) sont à même de répondre aux enjeux vitaux actuels. Sans être exhaustif pour la France, on peut citer : plusieurs adresses d’Edgar Morin, les ouvrages du Collège de France et du CNRS, les nouveaux regards sur le monde proposés par B.Latour, B ;Morizot, P.Descola, ainsi que plusieurs publications autour de la métamorphose à opérer au sein de la société , voire de la civilisation (notamment la Traversée de P .Viveret et J.Chabaud).
  • Cette dernière tendance qui se renforce de plus en plus contient en elle-même des alternatives stratégiques à débattre:
  • L’hyper-réformisme:

S’engouffrer dans toute possibilité nouvelle qui s’ouvre, prendre appui sur des réseaux d’alliés et pousser au maximum les mutations de manière à en faire des facteurs d’entrainement (exprimé par Laurence Tubiana)

  • Le multi-leviers

Pour opérer une transformation en profondeur dans une société, on a besoin d’actionner simultanément trois leviers :le levier des alternatives : tout ce qui préfigure la société dans laquelle on voudrait vivre demain. Il y a le levier des résistances, pour se mettre en travers des forces de destruction. Le troisième levier est celui de la bataille culturelle qui accompagne les changements de mentalités, le fait que nos esprits fassent un pas de côté et changent de rapport au monde. On a besoin d’actionner ces trois leviers de manière simultanée. » (Corinne Morel-Darleux).

On pourrait ajouter  dans le même ordre d’idées le multi-échelles : local, régional, national, international, avec une importance du bottom-up

  • Le dépassement 
  • Dépasser la « transition écologique > Vers la métamorphose civilisationnelle
  • Dépasser l’émiettement des initiatives > Vers une coalition des forces de vie
  • Dépasser le « plan d’actions > Vers le projet multidimensionnel d’espérance
  • Dépasser les segmentations temporelles, spatiales et conceptuelles > Vers l’intégration holistique
  • On pourrait aussi évoquer une posture pragmatique consistant à pousser le plus loin possible des changements sectoriels ou territoriaux pour faire des démonstrations in vivo qu’une autre société est possible

Si on veut qu’un vrai débat s’enclenche dans nos sociétés et se situe au niveau des enjeux vitaux qui sont les nôtres, plusieurs possibilités complémentaires s’offrent à nous :

Au niveau international, dans la perspective du Sommet de l’Avenir des Nations Unies qui va se tenir en septembre 2024, un ensemble de propositions ont été faites au sein de l’Archipel des Confluences et de ses diverses composantes (projet TERRA). Elles méritent d’être connues et diffusées, car elles constituent une base de travail très appréciable en vue de futurs débats

La France se devrait de promouvoir un tel débat et d’en mettre en œuvre les conclusions. Cela ne peut s’opérer que dans la durée et par une mobilisation de toutes les forces de vie qui s’y déploient au sein de la « société civique » comme au sein d’organisations politiques et économiques. Dans la situation politique actuelle, il est peu probable que l’initiative vienne de la gouvernance à l’œuvre. Une initiative majeure est à prendre par toute les organisations et les personnalités intellectuelles, scientifiques, et culturelles qui sont convaincues qu’un tel débat est nécessaire et possible.

En tout état de cause, il est indispensable de s’échapper du brouhaha actuel qui ne sert que les conservatismes et les postures d’évitement, et de s’engager vers un vrai processus de mobilisation des consciences individuelles et collectives, condition nécessaire à l’élaboration et à l’acceptation de solutions partagées. 

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