Robert Spizzichino (avatar)

Robert Spizzichino

Ancien directeur général d’une société de conception et de pilotage de grands projets d’aménagement et de développement des territoires

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 octobre 2021

Robert Spizzichino (avatar)

Robert Spizzichino

Ancien directeur général d’une société de conception et de pilotage de grands projets d’aménagement et de développement des territoires

Abonné·e de Mediapart

Quels « grands projets » pour le « Grand Paris » ?

Dès la crise sanitaire atténuée, les aménageurs publics et privés s'efforcent, pour la plupart, de renouer avec des visions de grands projets créateurs d'attractivité et de richesse économique pour les territoires. Et beaucoup d'élus sont sur ce même registre. Or, tout laisse à penser que cette position est incompatible avec les défis de l'époque. Surtout dans le Grand Paris.

Robert Spizzichino (avatar)

Robert Spizzichino

Ancien directeur général d’une société de conception et de pilotage de grands projets d’aménagement et de développement des territoires

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors du sommet du Grand Paris organisé par le quotidien La Tribune, les rêves de grandeur mis à mal par la crise sanitaire se sont exprimés à nouveau avec force. La grandeur de la France passe par de grands projets dans la métropole parisienne et la région métropolitaine. Quels sont ces « grands projets » selon les « Acteurs du Grand Paris », important groupe de pression composé de promoteurs, de financiers et d’aménageurs ? C’est d’abord le Grand Paris Express réalisé dans sa totalité et comme prévu il y a plus de 10 ans, en passant outre les décisions de justice qui en freinent la réalisation pour cause de négligences en matière d’impacts environnementaux ou d’atteintes à la biodiversité ; il est aussi recommandé aux élus locaux d’engager une construction importante autour des gares, et aux instances responsables des mobilités d’organiser des circuits de rabattages sur celles-ci pour faciliter au passage l’urbanisation de territoires péri-urbains encore imprégnés de ruralité. D’ailleurs, l’État donne l’exemple en livrant à la promotion privée le domaine magnifique de Grignon, autrefois berceau de l’enseignement agricole.

Ce que disent aussi ces voix qui rêvent de grandeur et de hauteur : il faut aller plus loin, ne pas se laisser abattre par l’arrêt de projets mal ficelés comme EuropaCity ou la Gare du Nord, et trouver d’autres occasions de grandeur pour le « génie français ». Cela n’empêche pas l’affichage d’orientations écologiques audacieuses, mais avec une « écologie constructive » et non pas une « écologie de la décroissance » honteuse.

Voici le credo affiché par les élites politiques et économiques lors de ce sommet, et assez largement partagé par des élus territoriaux, de droite et de gauche.

On croyait pourtant naïvement que le monde d’après ne devait plus ressembler au monde d’avant et que l’on allait entendre plus clairement les messages du GIEC, des Nations Unies, ou de la conférence citoyenne sur le climat. On avait parlé de nouveaux logiciels de développement, de changement de paradigmes économiques, d’inversion des priorités en faveur de la résilience , de la soutenabilité et de la biodiversité. Apparemment, on avait mal compris : la devise, c’est oui à la transition écologique, mais posément, sans gêner personne, et surtout sans abandonner nos rêves de grandeur !

Arrêtons-nous un instant sur deux mots magiques : « grand projet » et « Grand Paris » pour en faire les révélateurs de débats nécessaires :

Un ami, maire d’une petite commune rurale, urbaniste à ses heures, décrivait la réalisation de sa nouvelle école communale dans un site chargé d’histoire comme un grand projet. Le grand projet doit être rapporté à l’échelle territoriale qu’il impacte. Et il ajoutait : « un grand projet, c’est avant tout une capacité à faire ensemble ».

Un grand projet aujourd’hui, c’est avant tout celui qui trace le chemin le plus rapide vers le nouveau monde à construire… ensemble ; c’est celui qui protège le mieux les générations futures, c’est celui qui donne de l’espoir , c’est celui qui innove pour traiter des difficultés sociales qui se multiplient, qui rend leur dignité aux exclus, qui donne au plus grand nombre un travail utile à tous. C’est celui qui nous fait redécouvrir l’espace qui nous entoure et qui nous donne l’envie d’y « changer le vie » comme on disait dans des temps pas si lointains. Ce peut être une somme de petits projets qui entrent en synergie, ou bien des voix nouvelles qui s’élèvent pour faire autrement, ou bien ce qui crée un grand bien-être partagé. Un réseau coopératif sur un territoire entre tiers lieux animés, espaces de jardins partagés et d’agriculture urbaine et péri-urbaine, entreprises attachées à la transition écologique, patrimoines revalorisés,  paysages recomposés, lieux diversifiés d’enseignement et de recherche, l’ensemble relié par des modes doux, et par des ressources digitales et des outils itinérants d’éducation populaire, avec des femmes et des hommes motivés pour faire ensemble et partager, tout cela ne constitue-t-il pas un grand projet ?

Arrêtons de penser la grandeur par le monumental ou par le coûteux ou par la taille de l’échelle spatiale. La grandeur, c’est celle du défi humain relevé !

Et le Grand Paris, c’est quoi ? Un métro qui dessert mieux certains territoires ? Une institution publique qui réunit les maires des communes qui ont donné un accord pour en faire partie ? Une nouvelle frontière ? Un bon slogan publicitaire immobilier ? Un bassin de vie et d’emploi élargi ? Tout cela à la fois ?

Ou bien est ce que Paris ne sera Grand aux yeux du monde et de celles et ceux qui y vivent que si ses élus, ses professionnels, ses entreprises, ses habitants parviennent à inventer ensemble une métropolisation heureuse, soutenable et créative, rompant avec les mécanismes ségrégatifs, surmontant ses inégalités territoriales, et s’engageant à fond dans la construction du nouveau monde qui est notre voie étroite vers la quiétude ?

La meilleure illustration de ce qui vient d’être dit se trouve entre Roissy et le Bourget sur les terres agricoles de Gonesse et au sein du Pays de France. Les élus concernés du Val d’Oise, soutenus par une partie du gouvernement,  n’ont de cesse d’attendre des solutions à leurs indéniables problèmes sociaux qu’ en demandant sur une large partie de ces terres agricoles la localisation de grandes entreprises internationales, de grands équipements, et de tout ce qui peut justifier une gare du Grand Paris à fréquentation faible car éloignées des lieux d’habitation ; en allant même en alignant, tout comme la Société du Grand Paris, des données de desserte et de fréquentation totalement fantaisistes. Et pourtant, tout est en place pour que le développement exemplaire d’une agroécologie indispensable pour les enfants des écoles et pour la santé de tous y trouve sa place. Les projets en cours de démarrage sont orientés vers de nouvelles filières agroalimentaires, vers des produits recyclés, donc vers la création d’emplois non délocalisables , utiles et durables, dont les systèmes de formation sont en cours de montage. Le tout dans un paysage recomposé mêlant villes et campagnes et ouvert à l’accueil des visiteurs. Voilà un exemple des « grands projets d’avenir » portés par des associations dynamiques et des acteurs dynamiques soucieux d’innovations. Et il y en d’autres du même type touchant d’autres secteurs d’avenir en Ile-de-France !

Il est urgent de prendre à bras le corps le changement de modèles économiques, sociaux et spatiaux nécessaires du fait de la rupture écologique à opérer qui commande notre survie. C’est cela le Grand Projet pour le Grand Paris.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.