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Billet de blog 1 février 2011

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Les "marchés" ou l'impossible conversion de la cupidité en vertu ...

"Freefall" (Chute libre) c'est le titre original du livre de Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie, paru en français en janvier 2011 sous le titre "Le triomphe de la cupidité"(Babel).

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"Freefall" (Chute libre) c'est le titre original du livre de Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie, paru en français en janvier 2011 sous le titre "Le triomphe de la cupidité"(Babel). Je ne vais pas en discuter le contenu mais m'interroger plus modestement sur ce paradoxe de l'économie libérale accentué par l'hystérie ultralibérale selon laquelle un marché sur lequel tous les acteurs sont réputés cupides peut réaliser la meilleure allocation des ressources dont une société dispose pour optimiser son développement en vue du bien commun. Bref le marché accomplirait magiquement la conversion d'un ensemble de cupidités distinctes et autonomes en un collectif vertueux. Le moins que l'on puisse dire, à la lecture précisément de Stiglitz, c'est que cette croyance n'est pas empiriquement vérifiée. Y aurait-il une duperie fondamentale au cœur du marché ? Une mystérieuse alchimie de signes tous négatifs reconditionnés en signe positif ?

Les bulles de la cupidité

La cupidité c'est un désir immodéré de gains et de richesses. Le capitalisme est un système économique et social qui se caractérise par la propriété privée des moyens de production et d'échange et par la recherche du profit par de leurs propriétaires. Le capitalisme est donc naturellement le territoire d'expression de la cupidité des individus et le capitalisme financier actuel, libéralisé et mondialisé, qui tente de faire continuellement de l'argent avec de l'argent, en est la forme la plus achevée. Il passe de bulle en bulle puisque le système n'étant doté d'aucun frein interne la cupidité des acteurs peut s'exercer pleinement. C'est un constat que font aussi bien les économistes** que les dirigeants politiques confrontés à l'ampleur des crises consécutives à l'éclatement des bulles successives. La cause de ces bulles réside dans leur écart croissant des réalités économiques qu'elles prétendent incarner, d'où leur éclatement.

Un conte pour enfants : la concurrence libre et non faussée.

Joseph Stiglitz montre surabondamment en examinant à longueur de page le comportement des banques comment celles-ci agissent en toutes circonstances de façon coordonnée, comme une entité (le "système bancaire") capable d'exercer un puissant lobbying sur le pouvoir politique. La théorie économique qui présuppose que leur mise en concurrence autant sur les prêts qu'elles accordent que sur les stratégies financières qu'elles mettent en œuvre doit produire la meilleure des allocations de ressources disponibles au corps social apparaît dès lors comme une aimable plaisanterie. En effet elle se fonde sur l'indépendance des cupidités individuelles c'est-à-dire invite à fermer les yeux sur le tissu serré des relations qui réunit tous les détenteurs de capitaux disponibles autour de leurs intérêts communs. En fait il existe un niveau d'organisation institué non-conscient qui domine le marché et veille à son "bon" fonctionnement, à savoir la satisfaction permanente et sans limite des cupidités individuelles. Ce faisant le marché et ses acteurs ne font guère qu'obéir à une logique systémique qui implique que lorsqu'un caractère est présent dans chacun des constituants d'un ensemble il devient nécessairement un caractère de toute entité formée par un sous-ensemble quelconque de ces mêmes constituants. Ce sont des "grumeaux" de cupidités dont la formation est précipitée par la recherche permanente et collective du profit maximal immédiat qu'ils espèrent de leur coopération. Bien entendu point n'est besoin d'une "coupole" de type maffieux pour piloter les actions collectives ; l'auto-organisation fait merveille lorsqu'il est question de remplir les coffres, de s'attribuer des dividendes et des bonus, de manipuler l'information ... En fait elles chassent en meute ; s'il arrive qu'elles échangent quelques coups de dent entre elles, c'est pour la galerie ...

Le tour de force : des banques-trop-grandes-pour-être-restructurées ...

Cependant, lorsque la crise a éclaté, le monde a découvert avec effarement combien les positions prises par les banques les avaient mises à l'abri de toute sanction en rapport avec les risques inconsidérés que leur goinfrerie les avait conduites à prendre. Leur influence prépondérante dans tous les secteurs de la vie économique et politique leur avait procuré des positions inexpugnables ; leur taille était telle que leur restructuration forcée pouvait causer, dans la situation qu'elles avaient elles-mêmes produites, des dégâts peut-être plus redoutables que le coût de leur renflouement. En conséquence les Etats, c'est-à-dire les contribuables nationaux, n'avaient qu'à déverser sur elles une pluie de milliards de dollars ou d'euros ... Assurées d'une impunité de fait elles peuvent donc continuer à faire ce qu'elles savent si bien faire, avec quelques amodiations cosmétiques, jusqu'à la prochaine bulle ...

Et pour répondre aux angoisses des peuples qui souffrent, de G8 en G20, on parlera de régulation ... pour donner à croire que l'on peut modérer l'appétit des goinfres ...

*tout au plus je rappellerai qu'attribuer donner un prix Nobel d'économie comme on attribue un prix Nobel de Physique est une escroquerie intellectuelle.

** voir par exemple "Le capitalisme de bulle en bulle" par Michel Aglietta.

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