Radios du commerce et théorie du fumier

Aujourd'hui elles sont rares les radios qui n'ouvrent pas fréquemment et longuement leur antenne à leurs auditeurs sur tout sujet d'actualité et aussi sur des problématiques d'ordre politique, social, sociétal voire philosophique ou moral. A de rares exceptions près on peut à bon droit, à l'écoute du matériau recueilli dans ces occasions, évoquer le célèbre "Café du commerce" comme je l'avais fait ICI. A l'usage il m'est revenu en mémoire une vérité première bien connue des éleveurs de bétail à laquelle l'éclectisme de ma formation d'instituteur m'a permis d'accéder, il y a longtemps …

La théorie du fumier. Théorie est un bien grand mot … C'est une figure d'exagération mais elle n'en est pas moins juste. Prenez un élevage de vaches par exemple. Mettez-le tous les jours dans les mêmes prés, recueillez religieusement leurs bouses dont vous ferez un gros tas. Répandez ensuite le fumier obtenu dans ces mêmes prés dans lesquels vous conduirez à nouveau les mêmes vaches, et ainsi de suite, ad infinitum … Si vous avez la possibilité de suivre l'évolution de la composition chimique du lait produit par les vaches il tombe sous le sens que le dosage de la plupart des éléments minéraux, par exemple, décroîtra dans le temps, pour la bonne et simple raison que tout ce qui part avec le lait ne peut être renouvelé par le fumier. Donc des éléments constitutifs du lait, extraits par la digestion, disparaissent irrévocablement. Il en résulte certainement à terme une perte de qualité des produits de la ferme, voire de rendement de l'exploitation. La question est donc de ne pas laisser les vaches entre elles … Curieusement le philosophe Michel Onfray a évoqué une théorie du fumier* qui non seulement ne prend pas en compte cette évidence mais exalte, en le rattachant aux savoirs populaires paysans, un fumier exempt de tout apport extérieur considéré comme nocif a priori. Il en fait presque une pierre de touche de l'agriculture biologique. Les auditeurs entre eux Quand on fait le bilan des débats entre auditeurs il est bien rare qu'on apprenne quelque chose hormis des retours d'expériences personnelles qui illustrent la plupart du temps les vulgates idéologiques qui irriguent le champ social. Sempiternels ressassements des mêmes opinions chosifiées par le langage : au début de chaque phrase on a déjà appréhendé les propos dans lesquels prédominent (liste non exhaustive) : - un accord permanent sur les têtes de Turc (fonctionnaires, énarques, intellectuels "preneurs de tête" de tout poil),- la glorification d'une pensée unique qui se fait passer pour du bon sens (sur l'économique et le social : les grévistes gréviculteurs preneurs d'otages, les accusations culpabilisantes vis-à-vis des bénéficiaires des prestations-sociales-qui-creusent-la-dette-publique-que-nos-enfants-vont-devoir-rembourser, etc …-l'exclusion méprisante des pensées hétérodoxes sur le monde avec l'argument massue selon lequel tout avis minoritaire est nécessairement erroné … Au fil des jours, les apports devenus rengaines voire cantiques tournent en boucle en dégénérant continûment malgré les efforts des animateurs qui se targuent sans arrêt de donner la parole aux "vrais gens" sans se rendre compte que le peuple qui lui répond ne fait que régurgiter les paroles qui sortent de la bouche d'un quarteron d'éditorialistes d'une presse aux mains de capitaines d'industrie, paroles ruminées et exprimées par lui comme nouveauté sublime. A moins que le but recherché, plus ou moins consciemment, soit de transmuer cette parole dégradée et chosifiée en parole native, spontanée, écologique, pure… une vérité sortant nue de son puits … *Théorie du fumier et fouriérisme appliqué, Contre Histoire de la philosophie, CD n°10.