Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre et deux milliards de pigeons les yeux embués de larmes les contemplaient avec ravissement. La situation n'est pas neuve et on peut penser que tout a été dit sur ce genre d'évènement. En tant que signe sociologique il est largement décodé et ceux qui le consomment à quelque degré que ce soit savent pertinemment ce qu'ils font. Que faire alors sinon mettre en ordre ce fatras de platitudes, de fadaises, d'insignifiances et de banalités serviles en espérant quelque émergence de sens?
Euphorie sur le marché de la larme à l'œil ...
L'émotion de masse est un marché régi par la logique médiatique. Dans cette logique ce n'est pas l'information sur un évènement qui compte mais l'émotion qu'il suscite. En conséquence les experts et les expertes en chapeaux, dentelles, carrosses, parentèle et autres fariboles sociétales peuvent se déchaîner des jours et des heures durant, saturant l'espace médiatique en tendant leur micro à d'inénarrables ménagères de plus et de moins de 50 ans vêtues comme des clowns du siècle dernier afin qu'elles puissent lancer une ultime sornette à la face du monde ... Les chaînes d'information continue viennent de distinguer particulièrement en proposant d'interminables et répétitives éditions spéciales peinant à alimenter les chaudières intimes des âmes simples et bienveillantes.
C'est quand même un fait de société incontournable
La création de valeur quand un événement arrive sur le marché de l'émotion s'alimente à deux sources : la prégnance et la saillance de l'événement. La prégnance s'étale dans la durée ; elle est faite de répétitions et de constantes comme ces faits et gestes des peoples relatés par le menu au jour le jour dans les medias dominants. Elle imprime continûment dans les esprits les traits constitutifs de la vie des gens importants. La saillance s'exprime dans la force des percepts constitutifs de l'évènement, comme par exemple une vague qui emporte tout dans un port japonais. Elle impose aux esprits ses propres caractéristiques sans partage en chassant subitement tout autre contenu de conscience. Cependant il est des évènements qui sont performants dans les deux dimensions. C'est le cas du mariage princier qui se situe à la fois dans une continuité historique très largement évoquée dont la prégnance est réactualisée et qui possède grâce à la démesure et à la munificence des moyens mobilisés un impact propre à effacer la concurrence fut-ce un tsunami ou une gigantesque tornade. Personne n'échappe à cette conjonction mémorielle et impétueuse ... Certes les réactions individuelles peuvent être très diverses et très contrastées mais on peut à bon droit considérer que l'effet de masse répond clairement à une intention plus ou moins consciente de marquer durablement les esprits du temps.
La maintenance des Figures de l'Olympe médiatique
L'événement n'a pas concerné que les sujets "de sa gracieuse majesté", preuve s'il en fallait qu'il se situe dans l'imaginaire social universel. De plus sa légitimité historique et son caractère sacramentel lui assurent une place centrale dans le panel des figures archétypiques qui peuplent l'Olympe des "peoples" auprès du pape Jean Paul II -lequel d'ailleurs n'a pas tardé à se voir réactivé en figure positive pour cause de béatification- et de Ben Laden en figure négative pour cause de liquidation physique. La conjonction exceptionnelle de ces trois événements a mis à nu l'essence même de la gouvernance médiatique des esprits. Plus qu'aux pigeons on pensera à ces vols d'étourneaux qui dessinent dans nos ciels de vendanges ces formes instantanément changeantes dont le pilotage semble échapper à tout commandement. En fait il s'agit dans chaque cas de systèmes critiques auto-organisés dans lesquels chaque individu se vit comme élément d'un ensemble et réagit en conséquence aux impulsions qui affectent ce seul ensemble. En peu de temps nous avons donc eu le privilège d'admirer trois formes sociétales majeures évoluer dans le firmament olympien.
Pendant ce temps la question sociale a perdu de son actualité et de son acuité, les acteurs pour la plupart occupés à voler sur d'autres trajectoires que celles sur lesquelles se trouvent les déterminants de leur vie personnelle, dans l'ici et maintenant du temps social ...