En Mai 68 déjà ...
Sur les murs de la Sorbonne le fameux graffiti "L'orthographe est une mandarine" -en référence bien sûr aux mandarins de l'Université mis sur la sellette par ce mouvement- avait ouvert la voie. Il s'inscrivait dans le déclin accéléré des sociétés disciplinaires sous l'emprise croissante et hégémonique du capitalisme de consommation invitant à un hédonisme commercial de masse et puissant moteur d'un individualisme exacerbé. Dés lors les nécessités du développement accéléré de cette nouvelle version du capitalisme ont produit des considérables avancées technologiques mettant à disposition de chacun des moyens de communication de masse. Déclinées dans le quotidien elles ont débouché sur de simples "pratiques de clavier" : e-mails, réseaux sociaux et particulièrement des SMS. Ces derniers, soumis aux contraintes de clavier restreint, ont joué les "pousse-au-crime d'orthographe".
Sous la liberté, la licence ...
L'individualisme déchaîné sur de multiples claviers a fait de l'orthographe la première victime d'internet, la règle étant la levée de toutes les règles : "j'écris comme je veux". Dans ce maelstrom de lettres et de mots se mettent en place des conglomérats de codes linguistiques nouveaux propres à des groupes d'affinités et une nuée d'idiolectes, c'est-à-dire de langages parlés par un nombre très restreint d'individus voire par un seul individu. On conçoit aisément quel est le prix de cet excès : une dégradation considérable et massive de l'intercompréhension dans les rapports sociaux. C'est la qualité de ce lien social dont on nous rebat les oreilles à tout propos -probablement parce qu'il est de plus en plus altéré- qui est gravement affectée. On a vu naître des parlers étranges (parler "d'jeuns", parler des cités, parler des élites, etc ...) créateurs d'espaces d'incommunicabilité souvent révélateurs de fossés entre groupes sociaux. Des fossés que chacun peut creuser à loisir, tous les jours, devant les écrans multiples de la "modernité"...
Le discours de la connaissance lui-même ...
... est affecté. Envahi par de multiples écarts orthographiques il jette un doute sur le message lui-même par un phénomène de contamination de fait. Qui ne maîtrise manifestement pas l'instrument de son expression (lexical et/ou syntaxique) peut à bon droit être soupçonné de ne pas maîtriser les corpus des idées qu'il exprime, tant il est vrai que toute compétence particulière dans un domaine est d'une certaine manière une instance de compétence universelle. L'intelligence c'est aussi et surtout l'intelligence du réel. En matière de discours, le réel, c'est le lien consubstantiel entre forme et substance de l'expression. L'absence de rigueur sur la première jette logiquement une ombre sur la seconde.
Un aphorisme très répandu prétend que l'orthographe est la science des ânes* ; le sens généralement accordé à cette expression c'est que le savoir des "ânes" culminerait dans la maîtrise de la seule orthographe, laissant aux autres la maîtrise des idées. On peut retourner l'interprétation en soulignant que si même les "ânes" peuvent atteindre ce niveau d'expertise alors chacun doit pouvoir les égaler, selon un autre adage : qui peut le plus, peut le moins ...