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Billet de blog 15 janvier 2011

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Facebook ou le partage social du vide

Facebook se présente aujourd'hui comme l'archétype du réseau social. On peut y construire son réseau personnel à coups de relations interindividuelles et/ou par adhésion à divers groupes d'intérêts déjà constitués. Réciproquement on peut aussi s'y exposer à la curiosité et aux sollicitations des autres.

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Facebook se présente aujourd'hui comme l'archétype du réseau social. On peut y construire son réseau personnel à coups de relations interindividuelles et/ou par adhésion à divers groupes d'intérêts déjà constitués. Réciproquement on peut aussi s'y exposer à la curiosité et aux sollicitations des autres. La sémiotique peut-elle apporter un supplément d'intelligibilité de ce phénomène ? En d'autres termes : de quoi Facebook est-il le signe ? Ce sera mon propos … La forme "billet" le réduira à l'essentiel … Mais n'est-ce pas l'essentiel qui compte vraiment ?

Réseau et forme sociale Un réseau est une forme sociale particulière incorporée dans un champ social déjà organisé que par commodité on pourra appeler "la société globale". On ne saurait avancer la moindre assertion sur un réseau qui ne prenne en compte cette donnée première. Il faudra donc préciser a priori le contenu donné à ce concept de "société globale" aussi large que vague. Pour ma part je considère que la "société globale" des pays dits avancés vit encore, malgré la crise, sous le régime du capitalisme de consommation générateur d'une "culture-monde"* produite par la recherche exacerbée du bien être personnel sous la coupe d'industries culturelles hégémoniques. Dans ce cadre les personnes sont vouées à l'individualisme "démocratique" qui réduit le plus grand nombre à devenir une "entreprise de soi" (lire ICI). L'offre gratuite de réseaux sociaux et leur succès planétaire, tel Facebook, appréhendée dans ce cadre, n'est sûrement pas gratuite … Sa valorisation boursière démentielle en témoigne …mais il n'y a pas que ça … Ces réseaux peuvent aussi être regardés comme une compensation de masse offerte au vide sidéral de l'individualisme consumériste dans les sociétés "avancées" … L'amitié comme connecteur Facebook c'est le grand déballage de l'amitié. Le terme "ami" est omniprésent dans chaque page. On vous informe continuellement que des amis vous attendent, que vous avez des amis en commun avec quantité de personnes dont vous ne soupçonniez pas l'existence, on vous incite à en rechercher de nouveaux ; les performances en recherche d'amis de vos propres amis vous sont données en exemple. Bref, si vous ne vous lancez pas dans une recherche effrénée d'amis, que faites-vous ici ? Cette pression constante qui est le fonds de commerce du site n'a pas d'autre objet que de faire oublier l'imperfection fondamentale de la relation d'amitié qui la rend complètement inadéquate à ce qu'elle est censée faire, à savoir élargir le champ de vos relations sociales, vous procurer une visibilité personnelle accrue, accroître à peu de frais votre capital social lequel pourra éventuellement se convertir ultérieurement en capital culturel voire en capital économique si l'on suit P. Bourdieu. La création de vide Car la relation "être ami avec" a le grave inconvénient de n'être pas transitive. Cela signifie que si A est ami avec B d'une part et que B est ami avec C d'autre part il n'y a aucune raison logique pour que A soit ami avec C. C'est d'abord un fait d'expérience que chacun peut constater mais c'est surtout le résultat d'un simple examen du contenu des relations. Car quand on devient ami avec quiconque c'est que l'on n'éprouve envers cette personne un sentiment positif qui résulte le plus souvent d'un partage de valeurs ou de choix de vie. La relation d'amitié présuppose donc, du fait de ce partage, une réciprocité certaine. Alors il est facile de voir que si l'amitié de A et B est fondée par exemple sur une passion commune pour le vélo et celle de B et C sur un penchant prononcé pour les whiskys pur malt il n'y a dans ces informations aucune raison a priori qui permettrait de conclure a une amitié possible entre A et C. On peut même conjecturer dans ce cas précis une très faible probabilité qu'il en soit ainsi. Elle n'est pas impossible certes mais pas plus que l'amitié entre deux personnes prises au hasard. Il en résulte que passé le premier cercle d'amis avec lesquels on a un vécu commun résultant de rapports réels dans la vie réelle, les relations que l'on peut entretenir avec les amis de nos amis n'ont a priori aucun fondement. Tout au plus peut il y avoir suspicion que c'est avec ceux-là qu'il y aurait le plus de chances d'établir, éventuellement et sans aucune garantie, si l'occasion s'en présentait, une relation qui pourrait être qualifiée peu ou prou d'amicale.C'est probablement la raison pour laquelle Facebook avance systématiquement le nombre d'amis en commun que A et C peuvent avoir. Il s'agit là d'une pression d'ordre statistique fondée sur l'idée qu'en remplaçant B par B 1 , B 2 , B 3 …ou plus on accroit la possibilité de trouver dans l'un des B un petit quelque chose qui permettra de donner un fondement à une relation entre A et C qui ne soit pas tout à fait vide. C'est un pur artefact car on s'en remet encore au hasard … Un artefact qui m'a valu bien des effarements quand étant moi-même en position A je me suis vu proposer un C avec lequel j'ai toujours été en très mauvais termes, ce qui m'a conduit à reconsidérer sur le champ le contenu de mes relations avec tous ces B intermédiaires. … Bref, le premier cercle des relations, fondées en pratique sociale, ouvre sur un faisceau de relations issues certes de nos amis réels mais dont l'autre bout ouvre désespérément sur un vide social réel presque absolu. De la poussière interstellaire … Partager du vide, ça n'est pas rien ! Cependant le succès de Facebook montre que ce profit, même s'il est très faible, n'est pas négligeable ce qui montre combien la demande de lien social est pathétique. Les virtualités de vie sociale qu'apporte Facebook semblent suffire peut-être même parce qu'elles épurent la relation humaine de toute charge émotionnelle inhérente à une rencontre physique. Une relation purement formelle indépendante de toute existence réelle c'est quad même une relation. Une coquille vide peut un jour trouver un contenu … qui sait ? Et puis un mouvement social peut un jour s'emparer de ses formes vides pour les investir et y incarner ses combats et ses espérances, comme on peut le voir actuellement dans le Maghreb. Et c'est peut-être là que se situe le véritable intérêt de Facebook et autres réseaux sociaux : accueillir des combattants de la liberté …

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