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Billet de blog 19 octobre 2010

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Finance : le grand marché des prophéties

Pour les néolibéraux il importe de développer les marchés financiers, de faire en sorte qu'ils puissent fonctionner le plus librement possible, parce qu'ils constituent selon eux le seul mécanisme d'allocation efficace du capital. Le manifeste des "économistes atterrés"*, constats à l'appui, s'inscrit en faux

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Pour les néolibéraux il importe de développer les marchés financiers, de faire en sorte qu'ils puissent fonctionner le plus librement possible, parce qu'ils constituent selon eux le seul mécanisme d'allocation efficace du capital. Le manifeste des "économistes atterrés"*, constats à l'appui, s'inscrit en faux et professe que "l'erreur majeure de la théorie de l'efficience des marchés financiers consiste à transposer aux produits financiers la théorie habituelle des marchés de biens ordinaires". Autrement dit que la spéculation sur les activités économiques relève des mêmes lois (essentiellement la loi de l'offre et la demande) que les biens durables. La valeur estimée d'une action Total à la fin du mois serait dans le même panier que le kilo de pommes de terre. Une confusion catégorielle serait donc au cœur de la crise ... Comment est-ce possible ?

Cela peut sembler rationnel …Mettre l'argent là où il est le plus économiquement utile est une louable préoccupation pour qui se soucie du bien commun sans pour autant négliger ses propres intérêts. Qu'un lieu où se confrontent les points de vue soit créé pour permettre de la réaliser en est la conséquence directe. Dans le passé il y eut en France feu le Commissariat au Plan, promoteur "d'ardentes obligations". Avec la mondialisation s'est imposée l'idée que la concurrence financière libre et non faussée pouvait seule permettre une optimisation satisfaisante. Les détenteurs de capitaux disponibles, mus par leurs intérêts personnels –voire leur cupidité, peu importe- seraient à même et par nature de faire la meilleure estimation possible de la valeur des titres. Nous serions alors dans le meilleur des mondes possible et toute autre considération –par exemple un excès de redistribution- ne saurait que retarder l'avènement d'un monde parfait. Mais il y a deux présupposés de taille, à savoir que les "investisseurs" disposent tous de la bonne information et qu'ils la traitent convenablement.L'information est une prophétieL'achat d'un titre coté, quel qu'il soit, se réalise généralement au nom de sa valeur estimée dans un futur quelquefois lointain (un mois, une ou plusieurs années) quelquefois extrêmement proche (quelques millisecondes dans un système informatisé). C'est donc l'idée que l'on peut se faire, par exemple, de la valeur à venir d'une entreprise ou de la capacité d'un Etat à rembourser ses dettes, combinées avec l'idée que l'on se fait des appréciations des autres opérateurs sur le même marché. John Dewey illustre parfaitement et de façon très générale ce propos : "En d'autres termes, une idée est une traite tirée sur des choses existantes et une intention d'agir de façon à les arranger d'une certaine façon. D'où il suit que si la traite est honorée, si des existences, découlant de ses actions, se réarrangent ou se réajustent de façon proposée par l'idée, cette idée est vraie." Cependant on voit bien que la vérité de l'idée n'est connue qu'a posteriori, quand la traite est honorée, quand des actions ont eu lieu et ont confirmé que le réarrangement qu'elles ont produit dans le monde réel est bien celui qui était escompté. Là est d'ailleurs l'essence du pragmatisme … Mais si l'information est incomplète, biaisée, fumeuse voire manipulée alors on ne parlera plus de traite mais de prophétie.Une prophétie c'est l'annonce d'événements futurs par voyance, pressentiment ou conjecture. On retrouve tous ces condiments sur les marchés financiers : des gurus (par exemple Georges Soros) aveuglément suivis, des impulsifs qui croient voir des arbres qui vont monter jusqu'au ciel ou presque et des mathématiciens de haut-vol capables de modéliser les phénomènes boursiers de façon à formuler des conjectures assorties d'un calcul de risque. Quoiqu'il en soit, l'information, même lorsqu'elle se base sur des faits est inégalement répartie, souvent polluée par des rumeurs ; elle reste donc largement prophétique tant par les données premières que par les projections pas ou peu contrôlables sur le futur dont elle est le support.Les marchés financiers sont des casinosOn ne court aucun risque en achetant un kilo de pommes de terre ; sa valeur est déterminée au moment de l'achat par des processus antérieurs (production, mise en marché, négociation des prix) dans le monde réel. Il n'y a plus rien d'aléatoire dans le prix puisque tout ce qui était aléatoire a déjà eu lieu. En revanche la valeur des "biens" présentés sur les marchés financiers est fondamentalement aléatoire puisqu'elle dépend de circonstances inconnues ou non maîtrisées au moment de la conclusion de l'échange. Chacun d'eux est en réalité un signe dont l'objet est un vague être in futuro appartenant le plus souvent à un espace peuplé de fantasmes et de fantasmagories résultant de la projection des désirs d'acteurs mus et généralement aveuglés par une cupidité constitutive. Acheter c'est donc valider une prophétie ; faire acte d'achat c'est comme jeter une mise sur une table de jeu. Et quand un joueur rafle un jackpot la table toute entière l'imite sur le champ; on se dirige alors à grand pas vers la ruine des joueurs à moins qu'on fasse sauter la banque ! Les employés d'Enron, encouragés par leur direction ont cru qu'ils pourraient maximiser leur retraite en pariant sur la santé prétendument florissante de leur entreprise. Ils ont généralement perdu les économies de toute leur vie en l'espace de quelques semaines, tandis que l'action Enron, cotée à 80 dollars un an auparavant s'est retrouvée à moins d'un dollar.Mondocasino La mondialisation est inséparable de l'économie casino dont elle est un corollaire … les "solutions" apportées à la crise ont consisté en fait à maintenir à flot les casinos ruinés avec l'argent des victimes des joueurs professionnels. On s'attend à ce qu'elles renversent la table …*http://www.assoeconomiepolitique.org/spip.php?article140

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